La
tragédie qui a frappé la Nouvelle-Orléans est connue de tous.
Ce qui l’est moins, en revanche, est l’Histoire de cette grande
ville, qui fut fondée par le tristement célèbre John
Law. Le lien qui existe entre les évènements actuels et ce
qu’il s’est passé il y a plus de trois siècles est
si incroyable que j’en viens presque à me demander si le
fantôme de John Law n’est pas revenu hanter ces terres.
John
Law, fils d’un orfèvre fortuné, est né en Ecosse
en 1671. Il hérita de la fortune de sa famille à
l’âge de 12 ans et devint rapidement un jeune homme séducteur
et oisif. Il passa le plus clair de son temps à jouer de
l’argent dans les casinos de Londres. Il était grand et beau, et
était selon les dires de ceux qui l’ont rencontré un
personnage très charmant. Il était également un
excellent escrimeur, ce qui s’avéra être pour lui un don
utile. Il perdit la quasi-intégralité de sa fortune sur les
tables de casinos. Après que sa mère eut réglé
ses dettes pour lui, le jeune John Law réalisa qu’il devrait
désormais se montrer intelligent s’il voulait un jour rencontrer
le succès. Il était un grand amoureux des mathématiques,
ce qui le poussa à appliquer de nouvelles théories de la
probabilité à ses activités de pari. C’est ainsi
qu’il parvint finalement à refaire fortune. Son obsession pour
les jeux d’argent le poussa à fréquenter les membres les
moins admirables de la société. Il fut impliqué dans de
nombreuses rixes qui bien souvent se terminaient en duels. Lors de
l’une de ces disputes, en 1694, il tua son adversaire et fut
jeté en prison pour assassinat. Par des circonstances
inexpliquées et grâce à l’aide de ses amis, il
parvint à s’échapper. Il partit s’installer
à Amsterdam. A l’époque, la banque d’Amsterdam
était un centre de dépôt de pièces d’or et
d’argent. La banque émettait des certificats papiers contre tout
dépôt, qui pouvait être utilisé comme monnaie en
lieu et place de métal précieux. Cette idée
révolutionnaire inspira grandement John Law. Il finit par tomber
amoureux de la femme d’un riche banquier et s’enfuit avec elle en
Suisse. Son nom sera divulgué plus loin.
Law
et sa femme partirent ensuite pour la France. Law établit rapidement
des connections auprès de la haute société et
recommença à jouer. Il retourna brièvement en Ecosse,
où sa fascination pour l’économie atteint son point
culminant avec l’écriture de son livre de 120 pages
intitulé ‘Money and Trade Considered with a Proposal for Supplying the Nation with
Money’. Son ouvrage proposait la création d’une banque
nationale autorisée à émettre de la monnaie soutenue par
Scottish Land, sur le modèle de ce qu’il a pu voir à
Amsterdam quelques années auparavant. Quelques temps après, Law
retourna à Paris où il s’associa avec Philippe, duc
d’Orléans et Régent de France après la mort de
Louis XIV en 1715.
Law
réussit à convaincre le Régent que
l’économie Française était dans le marasme en
raison d’une pénurie d’or qui contenait le potentiel de
croissance économique. Selon lui, du papier soutenu par des actifs
réels pouvait régler ce problème et stimuler
l’économie.
Le
Régent autorisa Law à mettre en place son nouveau
système. La première Banque de France fut instaurée,
ainsi qu’une société connue sous le nom de Compagnie de
l’Ouest. Des actions furent émises au nom de la compagnie, et de
la monnaie papier fut émise, soutenue par ces actions. Tout comme pour
la bulle des Mers du Sud qui a gonflé en Angleterre dans le même
temps que le projet Mississippi entraînait une mania
spéculative, la promesse de découvertes de diamants et
d’or en Louisiane poussa le prix des actions jusqu’à des
niveaux records, ce qui permit à Law d’imprimer toujours plus de
monnaie. John Law vendit la Banque Nationale de France à la couronne
et fut nommé Secrétaire du Trésor. Pendant un temps, la
France fut prospère et tout sembla pour le mieux. Les Français
inventèrent le terme ‘millionnaire’ pour qualifier les
personnes qui étaient rapidement devenues très riches. John Law
fut le premier ‘millionnaire’ de l’Histoire. Sous les
ordres directs de John Law, une colonie fut établie en Louisiane,
à laquelle fut donné le nom de Nouvelle-Orléans, en
référence à son ami et bienfaiteur le duc
d’Orléans.
Comme
tous les systèmes fiduciaires de l’Histoire, celui de John Law
finit par s’effondrer. Les investisseurs les plus intelligents
commencèrent à vendre les actions surévaluées de
la société, ce qui entraîna une vente panique. En 1720,
l’action s’effondra complètement, tout comme la monnaie
papier qu’elle soutenait.
John
Law eut finalement à fuir le pays pour sauver sa peau, puisque
très nombreux étaient ceux qui en avaient après lui. Il
fut capturé à la frontière Française avec un
wagon rempli d’or et d’argent. Il dut abandonner son
trésor pour pouvoir s’échapper et éviter la mort.
Non
seulement il abandonna son trésor, il abandonna aussi sa femme et ses
enfants à Paris pour pouvoir s’enfuir rapidement. Le nom de sa
femme était Catherine Knowles Seigneur (la
version Française du prénom Katrina !). John Law fonda la
ville de la Nouvelle-Orléans, qui fut bien plus tard ravagée
par un ouragan portant le nom de la femme qu’il avait si
lâchement abandonné. Les casinos de la côte, tout comme
ceux qui étaient autrefois fréquentés par John Law,
furent entièrement dévastés.
Le
Dow Jones est aujourd’hui très proche de son record historique
né d’une mania spéculative qui s’est
développée dans les années 1990. Les Etats-Unis
imprimaient trop de monnaie sous prétexte d’avoir une
économie en pleine croissance supportée par la mania
spéculative d’un public d’investisseurs.
Andrew
Johnson dirigeait les forces Américaines qui ont vaincu les Britanniques
à la Nouvelle-Orléans lors de la guerre de 1812. Il devint plus
tard le 7e Président des Etats-Unis. Il abolit Second Bank
of the United States en refusant de renouveler sa charte. Il pensait
qu’une banque nationale était inconstitutionnelle et concentrait
bien trop de pouvoir entre les mains d’une élite alliée
de trop près aux Anglais.
Le
mardi 15 septembre 2005, le président Bush promettait de reconstruire
la Nouvelle-Orléans grâce à ce qu’il surnomma
lui-même le plus gros projet de reconstruction de l’Histoire des
Etats-Unis. Personne n’a jamais précisé d’où
proviendrait l’argent qui permettrait cette reconstruction. En omettant
ce point, Bush a poursuivi la tradition de Law et laissé la
Réserve Fédérale imprimer les billets dont il avait besoin.
Son discours a été prononcé à Jackson Square,
à la Nouvelle-Orléans, à l’ombre de la statue
d’Andrew Jackson. L’homme qui avait aboli le
prédécesseur de la Réserve Fédérale. Il
promit d’éliminer la pauvreté en Louisiane,
celle-là même qui était à l’origine du
racisme dans la région. Je ne peux m’empêcher ici de tirer
un trait entre ce discours et les promesses de John Law et de son projet
Mississippi des années 1700.
Le
vendredi 16 septembre 2005, le prix de l’or atteignait un record sur 17
ans. Certains investisseurs ne manqueront certainement pas de noter
l’ironie qui se cache ici.
La
ville fondée par John Law fut dévastée par un ouragan
qui portait le même nom que sa femme. La flambée insensée
des marchés des actions aux Etats-Unis depuis Katrina ne peuvent que
nous rappeler la mania autour de la compagnie de l’Ouest, qui
promettait de profiter pleinement de son exploitation des
La
reconstruction de la Louisiane entraînera sans doute la création
de nouvelle monnaie et de nouvelles dettes. Le fantôme de John Law
hante-t-il la Nouvelle-Orléans ? Le projet de reconstruction de
la Louisiane signera-t-il l’arrêt de mort du système
fiduciaire ?
‘L’Histoire
ne se répète pas – elle ne fait que rimer’ disait
Mark Twain.
Voici
un extrait de ce que seraient les activités d’Army Corps of Engineers
à Nouvelles-Orléans :
‘Les agences militaires de la Commission sont
chargées de la reconstruction du Mississippi – un travail tel
qu’il n’aurait pu être surpassé que par sa
construction initiale.
Ils construisent des
barrages ici et là pour contrer le courant, des digues pour le
confiner, et sur de nombreux kilomètres le long du Mississippi, ils
façonnent son banc jusqu’à la laisse de basse mer en
l’inclinant à la manière d’un toit de maison et
utilisent des pierres pour le soutenir. A de nombreux endroits, ils
protègent les rivages de rangées de pilotis.
Quelqu’un qui connaîtrait quelque peu le
Mississippi réaliserait très certainement que dix mille
Commissions de rivières, même avec les mines du monde derrière
elles, ne pourraient contenir son courant anarchique, le confiner, lui dire
où aller, le faire obéir ou barrer son chemin d’une
obstruction qu’il ne pourrait pas arracher ou contourner, ou de
laquelle il ne pourrait pas se moquer’.
C’est
extrait ne provient pas de CNN mais de ‘Life on the Mississippi’,
écrit par Mark Twain en 1882. Twain parlait bien évidemment du
système de levées qui soutenait le Mississippi, et pas du lac
Pontchartrain, mais la ressemblance est frappante.
S’il
est une chose que l’on peut apprendre de l’Histoire, c’est
que jamais personne n’en apprend quoi que ce soit ! Les Hommes ne
cessent jamais de commettre les mêmes erreurs, encore et encore !
Pour tous ceux qui pensent que l’Histoire est sur le point de se
répéter, voici de quoi s’inquiéter.
Toute
personne superstitieuse et qui détient des réserves
considérables de devises fiduciaires devrait se demander si le
fantôme de John Law est revenu hanter la ville qu’il a
créée de son vivant.
Même
John Law savait qu’il avait besoin d’or et d’argent
lorsqu’il a tenté d’échapper aux
conséquences de ses actes.
Vous
avez de l’or ?
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