John Maynard Keynes a un jour
remarqué qu’ « une nation endettée n’apprécie pas ses créditeurs,
et il est inutile d’en attendre un sentiment de bonne volonté ». Pour ce
qui est de l’arrangement entre la Chine et l’Occident concernant les
Etats-Unis, je dois ajouter que le contraire est tout aussi vrai, notamment
lorsqu’un créditeur pense que son débiteur est endetté jusqu’au cou. Mais
chacun a appris à vivre avec l’autre sur cette toile complexe de la dette et
de la monnaie, des balances commerciales entremêlées et des intérêts
commerciaux imbriqués que nous appelons les marchés internationaux. Ne pas le
faire irait contre l’intérêt des intérêts nationaux de chacun.
Je m’attends à ce que cette
synergie se poursuive lorsqu’un peu plus tard cette année, la Chine
inaugurera sa propre version du fixing du prix de l’or à Shanghai et quand
trois banques d’Etat chinoises rejoindront le nouveau fixing du LBMA en fin
de mois. Je ne fais pas partie de ceux qui perçoivent une guerre chaude entre
les fixings de Londres et de Shanghai, ou entre l’Occident et la Chine. Je
pense plutôt que nous pourrons atteindre un équilibrage des intérêts - une sorte de guerre froide entre les
entreprises physiques de Shanghai et les entreprises papier de Londres. La
Chine ne chercherait pas à être admise dans le club international de Londres
si elle ne cherchait pas à y imposer certaines règles communes – si un qui
pro quo n’a pas déjà été atteint.
Je n’essaie pas de dire que
les nouveaux mécanismes du marché de l’or n’auront pas un effet
transformateur. Au contraire, nous devrions nous attendre à des
transformations majeures pour 2015. En tête de liste, nous avons la
possibilité de voir Shanghai forcer Londres à honorer ses prix et livrer du
métal physique au marché chinois. Les trois banques d’état chinoises qui
feront bientôt partie du nouveau régime de onze membres du fixing de Londres
joueront le rôle de conduit pour ces livraisons – qui devrait pour le moment
maintenir le flux de métal au travers des centres de Londres, Zürich, Hong
Kong et Shanghai. La Chine pourrait aussi chercher à mettre en place un
système de règlement honnête trop longtemps laissé de côté par l’ancien
régime. J’y reviendrai plus tard.
Le prix de l’or en Chine
La question que tout le monde
se pose est de savoir si oui ou non nous devrions nous attendre à voir la
Chine faire grimper le prix de l’or au travers de ce nouveau mécanisme.
Pour le moment, et pour une
raison évidente, la Chine demeure un acheteur d’or. C’est sa politique
nationale. En laissant de côté le jargon économique, les Etats-Unis doivent à
la Banque populaire de Chine 1,3 trillion de dollar, la plus grosse somme de
monnaie qu’une nation ait jamais eue à rembourser à une autre. Le reste du
monde doit à la Chine la somme de 2,7 trillions de dollars. La Chine, dans un
sens, est devenue le souverain bancaire du reste du monde. Le Japon se trouve
en deuxième position, loin derrière la Chine, avec 1,26 trillion de dollars
de réserves étrangères. En termes clairs, la Chine est en tête de la guerre
des monnaies, et si elle se montrait imprudente, elle pourrait en devenir la
première victime.
La Chine, au cours de ces
quelques dernières années, a fait face à ce problème en se lançant dans un
programme d’acquisition d’or qui ne peut être décrit que comme entreprenant
et agressif. Certains pensent que les réserves d’or du pays ont augmenté de
1.054 tonnes (chiffre officiel) à plus de 5.000 tonnes (un chiffre sur lequel
tombent d’accord une majorité d’experts), et une estimation, publiée la
semaine dernière, place ses réserves actuelles à 30.000 tonnes (une
estimation que je trouve très difficile à justifier). Koos Jansen, l’un des meilleurs experts de la
mobilisation d’or en Chine, estime que de 2007 à 2014, le pays a importé
8.800 tonnes d’or. Cette estimation, basée sur les mouvements du métal physique
au travers du marché de Shanghai, pourrait être la plus justifiée. Mais
personne ne peut être certain de la manière dont ces importations sont
divisées au sein de la banque centrale du pays, ses banques d’Etat et son
peuple. Mais peu importe ses réserves, la Chine s’est lancée dans la plus
importante mobilisation d’or depuis que les Etats-Unis ont établi leurs
réserves d’or de 20.000 tonnes à la suite de la deuxième guerre mondiale.
Une analyse des lois
fondamentales actuelles de l’offre et de la demande nous indique que la Chine
a peut-être déjà atteint un point de diminution de rendements en termes
d’acquisition des réserves de métal existantes. Au cours de ces deux
dernières années, les ETF ont été vidés, à l’exception du métal qui
appartient aux plus gros investisseurs. La production minière globale stagne
à environ 2.800 tonnes, et pourrait bientôt décliner. Pour ce qui est de la
demande, les banques centrales en tant que groupe sont des acheteurs nets de
métal. Les efforts nationaux de rapatriement de métal peuvent être une source
cachée de demande très peu souvent discutée par les analystes. La Chine est
déjà en compétition avec l’Inde, le reste de l’Asie, le Proche-Orient et les
investisseurs occidentaux pour ce qui est des réserves existantes. Elle
parvient en effet à établir des règlements en or sur le marché de Shanghai,
et les dynamiques de l’offre et de la demande, de plus en plus étroites,
devraient jouer le rôle de catalyseur pour une hausse des prix – peut-être
même de catalyseur principal, quelque chose que nous n’avons pas vu depuis
des décennies.
Le chien du marché physique
de l’or finira-t-il par battre la queue du marché papier ?
Il y a un autre aspect qu’il
est important de souligner. Si le marché de l’or a atteint une sorte de tournant
et que les quantités d’or commencent désormais à diminuer et finiront par
disparaître complètement, alors l’intérêt économique de la Chine serait mieux
servi par une hausse du prix de l’or – que l’on appelle la deuxième jambe de
la stratégie de marché de long terme.
Un prix en yuan couplé à un
règlement en métal physique et une demande domestique accrue pourrait briser
l’emprise du marché papier sur les prix internationaux. Les législateurs
chinois, dans de telles circonstances, n’auront besoin de rien de plus que de
rester sans rien faire à mesure que la demande physique de la Chine fera
flamber le prix de l’or au travers des nouveaux mécanismes de marché.
C’est pourquoi je perçois les
dernières interventions de la Chine sur le marché de l’or comme une tentative
de fusionner avec et d’influencer la structure actuelle du marché plutôt que
de la contourner ou de la remplacer. La Chine, de mon point de vue, cherche
la synthèse plus que l’antithèse, et bien que quelques-uns puissent s’en
trouver attristés, je perçois cette stratégie comme fortifiante pour le futur
du marché de l’or, et plus haussière encore pour le prix de l’or sur le long
terme qu’une politique de confrontation. En occupant une chaise autour de la
table de la détermination du prix de l’or, la Chine jouera le rôle de
mandataire pour les propriétaires de barres et pièces d’or tout autour du
monde.
Compte tenu du flux de
pouvoirs économiques de l’Occident vers l’Orient, il semble évident que l’or
devrait surfer au sommet de cette vague. Après tout, les intérêts de l’Orient
sur l’or sont liés à sa culture, et cet attachement qu’il ressent pour l’or
n’est pas prêt de disparaître. Le temps est avec la Chine et les
accumulateurs d’or qui possèdent leur métal directement et peuvent se
permettre d’attendre que le spectacle commence. Sur le calendrier chinois,
2018 sera l’année du Chien de terre. D’ici là, le chien du marché physique
aura finalement battu la queue du marché papier, plutôt que le contraire.
Finalement, l’aphorisme deviendra réalité : celui qui possède le marché
de l’or établi les règles.