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L’endettement des 129 États notés par Standard & Poor’s progressera de
1,7% cette année et atteindra 44.300 milliards de dollars. Au fur et à mesure
que la masse de la dette publique s’accroît et que la croissance économique
s’installe dans ce qui est qualifié de stagnation séculaire – deux
tendances fortes – le risque de défaut souverain augmente. Que faire ?
Celui-ci n’apparait plus à l’horizon de lointains pays émergents mais en
Europe, même si le risque d’éclatement de la zone euro s’est éloigné depuis
l’épisode de 2011. La stratégie de désendettement qui y est imposée alimente
une crise sociale et politique qui autorise à douter de sa viabilité.
L’énormité d’autres dettes dont la croissance est sans fin, comme celles du
Japon et des États-Unis, est telle qu’il est feint de croire qu’elle pourront
être éternellement financées, faute d’alternative. A la vue de ce spectacle,
une constatation s’impose : la problématique du désendettement a de l’avenir.
Deux épisodes marquants ont récemment incité le FMI à accélérer sa
réflexion sur la conduite à tenir. En Europe, le fonds a renié sa doctrine en
intervenant pour soutenir la Grèce, conscient de son insolvabilité et n’ayant
comme seule ressource que de se faire rembourser en priorité, à charge pour
les États européens de régler ensuite l’addition. La restructuration de la
dette argentine a pour sa part été enrayée, suite au jugement d’un tribunal
new-yorkais qui a donné raison à deux fonds vautours réclamant le paiement
intégral de leurs titres. Ce qui a mis en valeur la faiblesse des dispositifs
de restructuration en vigueur qui reposent sur la présence d’une clause
d’action collective (CAC) lors de l’émission de titres de dette, avec pour
but d’imposer aux créanciers minoritaires d’accepter une restructuration si
la majorité le décide ainsi.
Cette disposition a été contestée avec succès devant la justice, créant
une jurisprudence pouvant faire obstacle aux restructurations dans l’avenir.
Le FMI s’est donc donné comme tâche prioritaire de la sécuriser, afin qu’un
tel scénario ne puisse pas se renouveler. En concertation avec
l’International capital market association (ICMA), une nouvelle clause a été rédigée.
Le principe du pari passu, qui proscrit tout traitement
discriminatoire entre créanciers, a été également adapté.
Mais la réflexion ne s’est pas arrêtée là, même si elle n’a pas suivi la
piste ouverte par Anne Krueger, une ancienne directrice générale du FMI, qui
avait proposé début des années 2000 d’instituer un tribunal international ad
hoc, avec comme mission d’organiser des restructurations de dette à grande
échelle. Les experts du FMI se sont penchés sur des hypothèses moins
audacieuses : entre le soutien conditionné du FMI à un pays pour l’aider à
sortir d’une mauvaise passe, et une restructuration s’il n’est pas solvable,
une troisième voie intermédiaire est explorée. Elle est dans l’air du temps
depuis que le principe même d’une restructuration est devenu tabou – une
étonnante innovation si l’on considère l’histoire de la dette qui n’en manque
pas – en raison du risque de déséquilibre du système financier global qu’elle
induit désormais, ce qui souligne sa fragilité. Afin de préserver l’intégrité
de la valeur des créances, il est donc privilégié de s’en tenir à un
aménagement sous condition des taux et du calendrier de remboursement de la
dette souveraine, lorsque cela se révèle indispensable.
Les experts en question ne pourront pas s’en tenir à ce dispositif, un tel
aménagement étant aussi un événement de crédit déclenchant le payement
des Credit default swaps (CDS) destinés à couvrir ce risque (ou à spéculer).
Le cas grec est une illustration de ses limites : le remboursement de la
dette du pays est déjà étalé jusqu’en 2054, et ses taux sont très bas, sans
que cela garantisse pour autant son remboursement. Dans la pratique, les
marges de manœuvre disponibles qu’il permet sont limitées (*).
Prisonniers de leur cadre de réflexion, les fonctionnaires internationaux
du fonds ne sont pas porteurs d’une solution à une crise de la dette vouée à
s’approfondir. Parallèlement à sa restructuration à grande échelle, il
faudrait en effet démonter les mécanismes de sa croissance pour l’arrêter, et
ne pas se contenter de pis-aller. Ce qui reviendrait à engager un travail sur
la dette équivalent à celui que Thomas Piketty a mené à propos des inégalités
en s’appuyant sur des audits systématiques de la dette. Adair Turner, puis
Yanis Varoufakis à sa suite, ont suggéré que les banques centrales
parachèvent ce qu’elles ont entamé avec leurs achats de titres souverains, en
émettant de la dette perpétuelle. S’ils font preuve de plus d’imagination et
de moins de conformisme (le second sachant que la voie de la restructuration
de la dette grecque est barrée), ils ne sortent toujours pas du cadre établi
: la question n’est pas de gérer à moindre dégâts le stock de la dette
existante mais de réduire son flux, une fois qu’elle aura été restructurée à
grande échelle.
En élargissant la réflexion, on tombe immanquablement sur des questions
épineuses…
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(*) Le Parlement grec a décidé la mise en place une commission d’audit de la
dette à laquelle participeront des personnalités internationales qualifiées,
dont Eric Toussaint le porte-parole du CADTM.
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