Les
projecteurs sont braqués sur l’Europe, et plus
particulièrement sur la zone euro, depuis que le grand jeu s’y
est déplacé et installé. Ce qui ne devrait pas faire
oublier le reste du monde, en particulier les pays
développés. Où en sont donc les Etats-Unis, le Japon
et le Royaume Uni ? Sont-ils dans la même impasse que la zone euro, qui
s’enferre dans sa propre crise ?
Aux
Etats-Unis, c’est la Fed qui joue le rôle du sauveur. Bien
qu’elle ne semble pas trop assurée de son affaire et ne cesse
d’expliquer que l’Etat fédéral doit
également jouer le sien afin de conjointement relancer
l’économie. A ce point que son président, Ben Bernanke, laissait dernièrement entendre
qu’après le QE 2, un QE 3 serait envisageable. En termes moins
elliptiques, qu’un nouveau round de quantitative easing
(assouplissement quantitatif) serait si nécessaire engagé, se
traduisant par un nouveau programme d’achats d’obligations
américaines.
De
son côté, l’administration Obama
s’adapte à la situation politique créée par la
victoire des républicains à la Chambre des
représentants, où ils vont être majoritaires dès
la nouvelle législature. Faisant face à de très
virulentes offensives, elle concède des compromis peu glorieux. Ils
n’augurent pas dans l’immédiat d’une
réduction du déficit budgétaire, tant en raison de la
prolongation pour deux ans de la détaxe dont
bénéficiaient les revenus les plus élevés que des
délicates discussions au sein de la commission ad hoc chargée
d’étudier entre parlementaires des deux bords des mesures de
réduction de celui-ci.
Au
Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre n’est pas plus à
l’aise. Prise entre une inflation jugée préoccupante et
une croissance qui ne l’est pas moins, tiraillée en son
sein par des avis contradictoires sur la conduite à tenir, elle en
tire comme conclusion de ne rien faire. L’attentisme domine, une fois
épuisée l’enveloppe de 293 milliards d’euros de son
programme d’assouplissement quantitatif de mars 2009, alors que la reprise
est chaotique et incertaine et que vont entrer en vigueur en début
d’année les mesures d’austérité
décidées par le gouvernement Cameron.
Au
Japon, c’est le gouvernement qui a lancé un programme de 44
milliards d’euros sous forme d’une rallonge budgétaire
destinée à relancer l’économie. La Banque du Japon
ayant auparavant décidé d’acheter, pour un même
montant dans un premier temps, des actifs financiers adossés
à l’immobilier, ou bien des effets de commerce ou encore des
obligations d’Etat. Les plans et les mesures continuent de se succéder,
toujours sans sortir le pays de la trappe à liquidité
dans laquelle il est tombé. Seule consolation, le dollar monte par
rapport au yen, ce qui favorise les exportations et donc la croissance.
D’un
pays à l’autre, les potions utilisées sont différentes
– pour ne pas dire opposées – mais elles ont en commun
d’être inefficaces. Les 16 pays européens de l’euro,
ainsi que la BCE, ne sont finalement pas plus mal lotis.
Le
monde occidental est en panne de croissance et ne sait pas pourquoi.
Essayant toutes les combinaisons de remèdes – panachant des
interventions des banques centrales et des plans de relance, ou les
proscrivant au contraire – les gouvernements tirent dans tous les sens
une machine qui recherche son équilibre et aurait certainement besoin de
l’être dans un seul.
Devant
les marchés tout puissants, les gouvernements se comportent
comme des petits garçons. Incitant à penser que soit ils sont particulièrement timorés, soit
ils ont partie liée, soit encore ils n’ont plus les moyens de
faire dans ce Far West là la loi. Ce monde est à la
dérive, ce qui faisait office de démocratie
représentative est en train de se révéler être un
trompe l’œil, puisque le pouvoir n’est pas là
où sont les élus.
Le
marché obligataire allemand vient de donner un fâcheux signal :
pour la troisième fois consécutive, une émission vient
de n’être que partiellement souscrite et le taux consenti
s’élève. Comme si les marchés anticipaient
que, d’une manière ou d’une autre, l’Allemagne devra
finalement mettre au pot commun européen, bien qu’elle s’y
refuse avec obstination. Sur le marché des T-bonds américains
à dix ans, un autre signal vient d’être donné, leur
taux monte également à la suite de mesures
décidées par Barack Obama, qui vont augmenter le déficit
budgétaire. Même l’Allemagne subit le contre-coup
de la crise européenne, tandis que les Etats-Unis voient leur taux
monter au lieu de descendre comme prévu, suite au QE 2 de la Fed. Les
marchés font de la politique et les politiciens ne
maîtrisent pas la finance.
Une
ère est en train de se clore, dans laquelle le crédit
était facile, aussi bien pour les ménages que pour les Etats.
L’ensemble dopait une croissance dont on ne se souciait pas trop
de savoir de quoi elle était faite, tant qu’elle se poursuivait
allégrement. Un peu, dans un autre funeste domaine, comme le prix de
l’immobilier, dont le destin était croyait-on d’en faire
éternellement autant.
Le
crédit n’est plus ce qu’il était et la croissance
non plus. Quels autres repères faut-il se donner, quelle
économie faut-il remettre sur pied et comment ?
Bien
poser les problèmes permet, dit-on, de les résoudre à
moitié. Se refuser à le faire, comme constaté, ne peut
avoir que de sombres conséquences. Les banques centrales sont toujours
le dernier recours du système financier, le prenant sans conditions
sous sa protection, créant les conditions pour que s’exerce son
racket. Les gouvernements donnent désormais toute l’apparence
d’être comme ces financiers qui ont pris le pouvoir dans les
grandes entreprises. Ne connaissant pas le métier de celles-ci, mais
se forgeant une réputation de gestionnaires hors pair grâce
à leur maîtrise impitoyable de la bottom
line (la ligne du bas des comptes d’exploitation).
Mais
ce monde ne parvient pas à retrouver son assiette.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
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en tout ou en partie à condition que le présent alinéa
soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
un « journaliste presslib’ » qui
vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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