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A
peine venait-il d’adopter, simultanément à 24 autres
dirigeants européens, les mesures de contrôle et de coercition
budgétaires du « pacte de stabilité et de croissance
» (qui n’en a que le nom) que Mariano Rajoy
a décidé de le briser. Le chef du gouvernement espagnol a en
effet annoncé que les engagements pris de réduction du
déficit public pour 2012 ne pourront être tenus, faisant
état de conditions économiques ayant changé et
annonçant pour la fin de l’année un taux de 5,8% du PIB
au lieu du 4,4% prévu, après avoir arrêté un
déficit au taux de 8,51% du PIB fin 2011.
Il
venait de recevoir une abrupte fin de non-recevoir à ses pressantes
demandes de révision de ses objectifs par les autorités de
Bruxelles et les chefs d’État et de gouvernement réunis
ces deux derniers jours en sommet. Irrecevables selon eux, car il
n’était pas envisageable de signer d’une main le
traité et d’accorder de l’autre une dérogation qui
de plus risquerait en appeler d’autres.
Des
émissaires de Bruxelles lui avaient pourtant suggéré de
présenter le 30 mars prochain un budget bâti pour parvenir
à l’objectif initial, quitte à le revoir plus tard dans
l’année après avoir fait preuve de ses meilleurs efforts,
mais Mariano Rajoy a préféré
trancher dans le vif. Avait-il le choix, si l’on considère que
cela lui aurait imposé de trouver et d’afficher 29 milliards
d’euros supplémentaires d’économies
budgétaires, après en avoir déjà prévu 15
milliards en décembre dernier lors de l’adoption d’un
ajustement budgétaire ? Ceci dans le contexte de l’entrée
du pays dans la récession et d’une situation sociale explosive.
Des
manifestations rassemblant des dizaines de milliers d’étudiants
et de lycéens se sont déroulées le 29 février
dans une quarantaine de villes espagnoles, la ville de Valence étant
en état de quasi révolte permanente. Le chômage touche
désormais plus de 4,7 millions d’espagnols, selon les chiffres
du ministère du travail, plus de 100.000 nouveaux chômeurs ayant
rejoint les précédents durant le dernier mois. Chez les jeunes
de moins de 25 ans, particulièrement touchés, la progression
est beaucoup plus rapide ; certaines régions, comme
l’Andalousie, dépassent le taux de 30% de chômeurs.
L’Institut national de la statistique a pour sa part rendu public le
chiffre de 5 millions de chômeurs, dépassé fin 2011, qui
correspond à un taux de près de 23%. Si près d’un
actif sur quatre est sans emploi, c’est un jeune sur deux qui se trouve
dans la même situation. Ce n’est plus l’économie qui
est sinistrée, c’est la société.
Après
avoir adopté début février une réforme
destinée à flexibiliser le marché du travail, le
gouvernement a commenté ces chiffres en expliquant qu’ils
justifient les réformes qu’il entreprend, ce qui risque
d’être diversement vécu à la suite des grandes
manifestations organisées par les deux grandes centrales syndicales.
De nouvelles mesures d’austérité, que le gouvernement
espagnol est appelé à prendre, ne pourraient
qu’accélérer la progression d’un chômage déjà
très élevé.
Une
nouvelle fois après la Grèce, la situation dans laquelle se
trouve l’Espagne illustre l’impasse dans laquelle se sont
engagés les dirigeants européens, dans laquelle ils persistent.
C’est cette fois-ci un représentant de la droite libérale
qui se trouve aux commandes, avec l’obligation de gérer des
contraintes qui vont en s’accroissant, sans espoir de parvenir au
résultat exigé comme il doit lui-même l’admettre.
Ironie de l’histoire, les Pays-Bas, dont le gouvernement minoritaire
s’appuie au parlement sur l’extrême droite de Geert Wilders, a été en pointe pour
réclamer le durcissement des contraintes destinées à
garantir la réduction des déficits publics, doit
simultanément procéder à de nouvelles coupes
budgétaires afin de respecter ses engagements. Près de 16
milliards d’euros d’économies supplémentaires
devraient être trouvées par le premier ministre Mark Rutte, afin de boucher au final un trou de 9 milliards
d’euros et de se retrouver dans les clous. D’après les
calculs du Bureau central du plan, un déficit au taux de 4,5% du PIB
est prévisible fin 2013, au lieu des 3% de prévus.
L’Espagne
doit rentrer dans le rang, ont estimé les dirigeants européens,
car admettre le contraire mettrait en évidence que le pare-feu
financier qu’ils s’efforcent de constituer n’est pas
destiné à jouer un rôle dissuasif, comme ils se plaisent
à le souligner, mais à être très rapidement
utilisé ; ce qui ne pourrait qu’éveiller des
marchés que l’on voudrait laisser assoupis, ainsi que compliquer
la tâche de la coalition allemande à qui il est demandé
de renforcer l’implication financière du pays. D’ailleurs,
ne leur donnant pas tort de ce point de vue, le marché obligataire
n’a pas tardé à se tendre à nouveau, à
l’annonce des prévisions de déficit espagnol et de la
nouvelle crise qu’elle annonce.
En
Allemagne, la proposition de nommer un commissaire européen aux
allures de pro-consul chargé de suivre
spécialement la Grèce rejaillit. La retraite humiliante a laquelle a été
contrainte Mariano Rajoy, lorsqu’il a
cherché à négocier avec ses confrères,
témoigne également des tensions qui agitent ce petit monde. Pas
de quoi affirmer, en tout cas, que « nous sommes en train de tourner la
page de la crise financière », comme vient de le faire Nicolas
Sarkozy, toujours prompt à fermer les dossiers afin de s’en
attribuer le mérite.
En
prenant au nom de la souveraineté nationale la décision de ne
pas plier, la droite espagnole se cherche des appuis dans le pays. La
réaction de l’Union européenne peut-elle être
d’imposer à l’Espagne un dispositif permanent de
surveillance, comme cela est déjà le cas pour l’Italie ?
Le morceau va être plus gros à avaler que la Grèce.
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