La
frénésie de la « réalité augmentée » n’aura pas duré longtemps.
Le premier avertissement m’est
parvenu au milieu du mois de juillet, après que ma femme m’a annoncé que l’un
de ses collègues, qui profitait de sa pause déjeuner pour aller chasser des
Pokémon plutôt que manger, avait supprimé l’application de son téléphone.
Il ne s’agissait alors bien
sûr que d’un échantillon de taille n=1, étudié alors que la frénésie n’en était
encore qu’à ses débuts. Dans toutes les rues, des gens, les yeux rivés sur
leur téléphone, marchaient avec une lenteur d’escargot sur l’Embarcadero ou
le long de Columbus, ou n’importe où ailleurs à San Francisco, aux
Etats-Unis, et dans les autres pays du monde dans lesquels le jeu était
disponible.
Le brouhaha qu’a fait le jeu
dans les médias était assourdissant. Plus personne ne cessait d’en parler.
Quand deux personnes sont tombées d’une falaise en jouant au jeu le 13
juillet à Encinitas, en Californie, et se sont blessées, nous en avons
entendu parler aux informations nationales.
Une semaine après son
lancement au début du mois de juillet, Pokémon Go a dominé l’Apple Store. A
l’époque, beaucoup pensaient que son nombre d’utilisateurs actifs quotidiens
dépasserait rapidement celui de Twitter.
Une peur sans précédent s’est
emparée des plateformes de médias sociaux comme Twitter, Facebook, Whatsapp
et Snapchat : leurs utilisateurs passaient bien trop de temps dans la
« réalité augmentée » de Pokémon Go. Les applications des médias
sociaux ont reculé en termes de « temps partagé », un jargon
signifiant que nos cerveaux se trouvent coupés en tranches et monétisés par
de nombreuses compagnies de la Silicon Valley et d’ailleurs.
Mais parmi le reste des 7,5
milliards de personnes sur Terre qui n’étaient pas intéressés par l’idée de
chasser des mini-monstres sur leur écran de téléphone, cette frénésie a
beaucoup amusé et causé beaucoup de roulement d’yeux. Beaucoup se sont
demandés où s’en allait l’humanité.
Pokémon Go est une application
gratuite. Mais elle n’est ultimement pas gratuite pour ceux qui souhaitent y
jouer : afin de progresser dans le jeu, les utilisateurs doivent
effectuer des achats en lignes, en devises. Les investisseurs se sont léché
les babines.
Le succès initial du jeu a
fait griller les serveurs, ce qui a été perçu comme un signe
prometteur : un succès cuisant pour le nouveau jeu. Il suffisait de
nouveaux serveurs pour que tout reparte de plus belle.
Et puis il y a eu l’affaire
des utilisateurs qui s’étaient inscrits via leur compte Google ou
Apple : sans qu’ils ne le sachent, ils avaient donné à l’application un
accès illimité à leur compte Google, ainsi qu’à leur liste de contacts et à
tout ce qu’ils avaient sauvegardé sur le cloud.
Encore une fois, aucun
problème. Tout le monde s’en moquait. Et les analystes ont élevé le jeu
jusqu’à un nouveau niveau. Voici ce qu’en a dit Han Joon Kim, de chez
Deutsche Bank :
« Pokémon Go est allé
au-delà du succès et est devenu un phénomène, pour atteindre le sommet des
graphiques de revenus dans les trois régions dans lesquelles le jeu a été
lancé : Etats-Unis, Australie et Nouvelle-Zélande. »
Nous
avons reçu d’autres avertissements quant à ce phénomène : les foules
amassées sur les trottoirs, les yeux rivés sur leurs téléphones, se sont peu
à peu amoindries. Et soudainement, Pokémon Go a fait l’objet d’un grand
silence médiatique. Toute mention au jeu a simplement disparu.
Et les chiffres viennent
maintenant nous indiquer que la frénésie s’est tue : Bloomberg,
citant des données publiées par Sensor Tower, SurveyMonkey et Apptopia, a
rapporté que « les nombres d’utilisateurs actifs, de téléchargements et
de temps passé sur l’application chaque jour ont tous entamé une tendance
baissière ».
Et c’est un euphémisme. Le
nombre d’utilisateurs quotidiens actifs a atteint un pic de 45 millions à la
mi-juillet avant de plonger. Il a déjà perdu 38% et se trouve désormais
autour de 28 millions.
Les directeurs de Snapchat,
Whatsapp, Twitter et al. Ont pu pousser un
soupir collectif de soulagement.
« Cette tendance
baissière devrait apaiser les inquiétudes des investisseurs quant à l’impact
de Pokémon Go sur le nombre d’heures passées chaque jour sur les applications
des sociétés mentionnées ci-dessus, » écrit Victor Anthony, analyste chez
Axiom Capital Management. Cette frénésie de courte durée pourrait être un
mauvais signe pour les autres jeux de réalité augmentée dont on parlait tant
il y a encore quelques semaines.
Les investisseurs ont certes
fait l’expérience de montagnes russes ! Les actions de Nintendo, un
investisseur de Niantic Inc, qui a développé le jeu, ont chuté de 1,3% mardi
à Tokyo pour atteindre 22.595. Le 10 juillet, en réponse à cette frénésie,
les actions de Nintendo avaient gagné 25% pour atteindre le maximum de hausse
intra-journalière autorisée, ce qui a représenté la plus importante hausse de
la valeur des actions Nintendo depuis l’entrée en bourse de la compagnie en
1983, avant même la naissance d’une majorité des joueurs de Pokémon Go. En
deux jours, les actions Nintendo ont gagné 34%.
Maintenant que le ballon a
laissé s’échapper de l’air, les actions Nintendo ont perdu 31% depuis le pic
de Pokémon Go, mais ont toutefois gagné 35% depuis le début de l’année bien
qu’elles aient baissé de 4% sur un an. Dans ce graphique quotidien de la
valeur des actions Nintendo depuis février, vous pourrez voir la flambée puis
le déclin des volumes de négoce :
Pour les investisseurs, la
frénésie s’est résumée à cela : les actions ont gagné 131% entre le 6
juillet (14.000) et le 19 juillet (32.400), avant que Pokémon Go n’enregistre
un déclin. Les actions Nintendo ont depuis perdu plus de la moitié de ces
gains. Pokémon Go est devenus une frénésie qui a fait perdre beaucoup
d’argent à beaucoup d’investisseurs.
Et dans les rues, les gens en
sont revenus à allouer de plus grosses tranches de leur « temps
partagé » aux grosses sociétés de la Silicon Valley et de San Francisco.
« Tout
est distordu, plus rien n’est naturel, » s’est lamenté le directeur de
stratégie de crédit de Citigroup. Lisez ceci : “Mother
of all Shorts” when Stocks Cave to Reality?