Il y a quelques mois, une interview de Thinkerview (visible ici) permettait de dresser un bilan peu reluisant de l’état de la police en France, du malaise qui s’y est installé depuis plusieurs années sans que ce malaise ne soit analysé, pris en compte, ni que des solutions ou des tentatives de solutions y soient apportées. Il y a quelques jours, une agression particulièrement violente de policiers à Viry-Châtillon donnait un tour encore plus tragique aux constats effectués.
À la suite de cette agression, je faisais le pari que, toujours aussi empoté dans une culture de l’excuse et une politique minimaliste en matière de lutte contre l’insécurité et la délinquance, l’État n’aboutirait à rien de concret et abdiquerait minablement devant les exactions commises dans l’Essonne.
Tout s’est déroulé comme prévu. Du tableau global de désengagement de l’État et ses sbires, on ne peut que regretter l’absence inhabituelle de petits articles de presse expliquant pourquoi tout ceci n’est pas si grave ou, alternativement, comment notre société peut très bien s’accommoder de ce genre de débordements un peu trop festifs et pas assez citoyens. L’angle écologique aurait pu être utilisé, comme ci-contre, ce qui aurait certainement pu mobiliser tout l’appareil étatique et déclencher l’ire des médias bien sensibilisés.
Finalement, il n’y a eu aucun article éco-conscient (ouf) et, surtout, un service politique minimum.
Il aurait pu y avoir des descentes dans la cité incriminée ; il aurait pu y avoir des arrestations, y compris pour les mineurs impliqués, cette minorité ne pouvant plus normalement servir d’excuse lorsqu’il s’agit d’une tentative d’homicides (importance du pluriel) en réunion, d’autant plus planifiée qu’on n’improvise pas un cocktail Molotov (ce qui en fait une tentative d’assassinat), le tout sur des dépositaires de la force publique ce qui constitue une circonstance aggravante. Il y aurait pu.
Mais évidemment, avec une justice qui rechigne à incarcérer (d’autant plus qu’il n’y a plus de place dans nos prisons vétustes qu’on renâcle d’ailleurs à reconstruire et agrandir), avec un système politique entièrement bâti sur la recherche compulsive du consensus et de l’absence de tout débordement, obtenir des incarcérations sera probablement fort complexe, pour ne pas dire voué à l’échec.
Et même si, après tout, c’est l’état d’urgence, il sert apparemment beaucoup pour faire pointer au poste des militants divers et variés, mais lorsqu’il s’agit de sécuriser un carrefour, « l’état d’urgence national quasi militaire attention ça ne rigole pas » ne sert plus à rien et se dégonfle comme un plan Vigipirate en plein attentat.
En pratique, les actions concrètes et palpables de l’État ont été pour le moins restreintes. Manu le Premier a courageusement proposé une distribution de cacahuètes, de voitures blindées et d’uniformes ignifugés. Heureusement que les pauvres fonctionnaires de police ont été attaqués par le feu et non par l’eau ; ils seraient maintenant munis d’un masque, d’un tuba et de bouteilles d’oxygène en dotation standard. Merci Manu.
Quant à Cazeneuve, la puissance de sa rhétorique aura permis de qualifier les criminels de « sauvageons ». Après tout, on se souviendra de Valls qui avait lui-même qualifié les émeutes du 13 mai 2013 au Trocadéro de simples bousculades.
Moyennant quoi, nous sommes le 20 octobre et tout le monde commence doucement à oublier l’histoire violente de Viry-Châtillon ; l’adjoint de sécurité qui n’a plus de mains ni de visage suite à ses brûlures va pouvoir panser ses plaies « en toute intimité » d’autant que ni sa hiérarchie ni la presse ne s’empresseront de remettre une pièce de le bastringue (ce serait dommage de désespérer Viry-Châtillon ou plus encore, la place Beauvau, n’est-ce pas).
Il n’y a ici aucun doute : on continue donc dans le foutage de gueule le plus complet de la part des dirigeants politiques. Là où une réponse concrète était attendue au-delà de l’événement, prenant en compte la situation sécuritaire de certaines zones chaudes du pays, du manque de prison, d’une déliquescence de la justice, d’une disparition de toutes limites face aux forces de l’ordre, on obtient quelques promesses cosmétiques, des petits discours aux envolées lyriques médiocres oubliées deux heures plus tard, et des ordres parfaitement ignobles en coulisse.
Malheureusement, cette absence de réponse de l’État finit par lasser, en premier lieu ceux qui se sentent de plus en plus souvent lâchés par leur hiérarchie, qui comprennent de moins en moins confusément que leur vie soit mise en danger pour des problèmes de police et de justice qui ne peuvent être traités, in fine, qu’au niveau le plus haut.
Or, cela fait des années, des décennies même que les agissements de plus en plus violents des petits caïds de banlieue, des racailles diverses et variées, des gangs de trafiquants plus ou moins identifiés et de toute une engeance syndicalo-militante délétère ne trouvent en face qu’une réponse de plus en plus molle : au prétexte du « Pas De Vague », au principe qu’il ne faut surtout pas enflammer certaines cités ou certains groupuscules médiatiques, qu’il ne faut surtout pas se retrouver avec un risque de plus en plus hypothétique de bavure, il n’est plus possible de faire régner l’ordre du tout.
Du reste, une majorité de la magistrature, de la presse et de la classe politique ont une vision, soit angélique soit dogmatique, de la situation au point d’avoir perdu toute idée de l’ampleur des dégâts provoqués par des décennies de renoncement à réaliser une justice fonctionnelle qui ne soit ni idéologique ni sociale.
Dès lors, le sentiment d’impunité devient tel que s’effacent les limites à ce qu’il est possible d’imaginer contre les policiers. Ce n’est même plus la première fois que des projectiles enflammés sont jetés volontairement dans une voiture de police – on se rappellera en effet qu’en mai dernier, un véhicule de police avait été pareillement incendié et que la réponse judiciaire avait été particulièrement inopérante, ou on se souviendra aussi de l’image du CRS en feu lors de la manifestation contre la loi Travail. C’est en revanche la première fois qu’un groupe d’individus décidés ne se contente pas d’enflammer le véhicule et va jusqu’à empêcher ses occupants de s’en extraire. La volonté de meurtre ne fait aucun doute.
À ceci, on peut (on doit ?) ajouter les menaces sur ce même corps de l’institution policière en dehors du service, comme en témoigne de façon macabre le double meurtre de Magnanville, et le fait que ces attaques proviennent aussi bien de la pire des racailles, des petits ou gros caïds de banlieue que des franges de l’extrême gauche (depuis les ZAD jusqu’aux manifestations diverses) ce qui montre que ce sentiment d’impunité et ces modes d’actions de plus en plus violents ont perfusé dans toute la société. Doit-on, pour compléter, remettre sur la table les récentes affichettes polémiques de la CGT, qui n’a jamais caché ni son petit côté mafieux, ni son envie d’en découdre violemment avec la police et les CRS ?
Tout ceci explique fort bien la grogne de plus en plus visible des policiers qui en viennent à manifester leur ras-le-bol. Ceci est rarissime pour des fonctionnaires dont le droit de grève et de manifestation est particulièrement encadré.
Au passage, on notera qu’à la suite de la première nuit de protestation, la réaction ferme du chef de la police, Jean-Marc Falcone, menaçant les troublions de sanctions, n’a pas eu du tout l’effet escompté puisqu’ils ont remis le couvert la nuit suivante, au point d’obliger le même Falcone à plus subtilement chercher l’apaisement. Il faut dire qu’il serait dommage d’alimenter le brouhaha médiatique autour de ces manifestations alors qu’un syndicat de police (Unité-Police SGP-FO) vient de lancer un appel à manifester le 26 octobre, « Une marche de la colère policière et citoyenne », ouverte à la population qui désire soutenir sa police, organisée à Paris et en province ce jour-là.
Difficile de ne pas comprendre qu’à présent, tout le monde marche sur des œufs, notamment les dirigeants de la police et de l’intérieur, ainsi que le gouvernement : la dernière des choses dont nos politiciens ont besoin actuellement, c’est d’un abandon de postes massif de la police et des forces de sécurité en général. Plus personne pour protéger leurs miches, voilà qui les inquiète franchement ! Et si, pour le moment, l’armée semble encore répondre au doigt et à l’œil, l’accumulation de problèmes et d’avanies diverses qu’elle a eu à subir elle aussi ces dernières années rend cette obéissance objectivement fragile.
Une police qui montre son ras-le-bol, et une armée qui hésiterait à suivre le gouvernement, cela n’a pas bon goût.
Or, en face, il est difficile de voir la moindre décision concrète qui pourrait raffermir la primauté de l’ordre et de la loi sur le chaos, l’insécurité, la délinquance, la criminalité ou même la barbarie. Et avec les élections présidentielles qui approchent, le pays semble totalement au point mort politique. Pire, on continue à employer massivement la police pour dresser des embuscades contre les vaches à lait d’automobilistes et ramener de l’argent dans les caisses de l’État.
Forcément, en procédant ainsi, l’insécurité va diminuer. Forcément.
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