Il est une
idée reçue dont le cou mérite d’être tordu
une bonne fois pour toutes. Les libéraux croiraient au Marché
comme certains croient en Dieu, et pour le libéral, ce Dieu
Marché et sa main invisible feraient invariablement advenir le bien
sur terre, dans la grâce de la concurrence libre et parfaite.
Non, le
libéral n’attend pas du marché un monde idéal et
sans problèmes. En fait, il n’attend tout simplement pas de
monde idéal du tout. Pas plus du marché que de la
régulation.
Il
considère en revanche que la complexité du monde est telle, que
la somme des acteurs dans la liberté de leurs choix est plus à
même d’appréhender cette complexité que le plus
clairvoyant des planificateurs. Et il en déduit que la bonne marche
des choses sera vraisemblablement plus entravée que garantie, par
l’action du régulateur.
En ce
qu’il rapproche le plus grand nombre d’acteurs, de producteurs,
de consommateurs, d’investisseurs, et en ce qu’il nait de leurs
décisions et de leurs contrats, le marché est simplement une
expression du réel. Dans une certaine mesure, la régulation est
un refus de ce réel. Et comme le constatait Lénine sur son lit
de mort avec la lucidité de la fin, « les faits sont
têtus ».
En parasitant
le marché pour le contraindre à l’idée qu’il
se fait de ce qu’il devrait être, le régulateur
génère des mouvements de marché qui n’ont de
pertinence qu’à l’aune de son action (de subvention ou de
taxation) et non d’un lien réel avec l’offre, la demande,
ou la rareté de telle ou telle ressource. S’il y a cycle,
c’est donc du fait du déni de réalité du
régulateur, qui lutte contre le réel jusqu’à ce
que ce déni explose, et purge les mauvais investissements : En
gonflant une bulle, puis en la regardant éclater.
Certes, la
société connaît parfois des enthousiasmes qui peuvent
être déçus, mais de façon marginale, et rapidement
ajustés par le marché. C’est justement le respect des
mouvements du marché qui constitue ce gant de crin permanent et qui
permet d’opérer en continu les ajustements nécessaires.
Alors bien
sûr, l’adaptation permanente ne dispense pas de certaines
difficultés. Mais en
permettant à certains secteurs de l’économie de
résister trop longtemps au marché, la régulation
garantit le plus souvent leur mort violente, le jour où elle ne
suffira plus à financer le déni qui l’a
éloigné du réel.
Accepter le
réel, c’est d’ailleurs parfois accepter la faillite. Et
être individuellement responsable de la réussite ou de l’échec
de ce que l’on entreprend est en réalité la
régulation la plus efficace. C’est sans doute là le
cœur de l’éthique libérale. Et c’est bien
contre cette acceptation parfois douloureuse du réel que les
politiques brandissent si régulièrement la morale. Pourtant, il
faut le répéter, refuser la faillite, c’est se tromper de
morale.
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