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Le miroir aux alouettes de l’ajustement du Yuan

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Paul Jorion.
Published : June 21st, 2010
1493 words - Reading time : 3 - 5 minutes
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)



Que peut-on voir dans l’annonce par la banque centrale chinoise de son ajustement prochain du taux de change du yuan ? Un geste politique symbolique, à la vieille du G20 de Toronto de la semaine prochaine, devant la montée de la pression exercée en faveur d’une telle décision ? Le début d’un réel ajustement favorisant, comme il est espéré par ceux qui le réclament le plus fort, la croissance américaine  ?

Cette décision est présentée comme pouvant réparer la panne dans laquelle se trouve l’économie occidentale, en réduisant le déséquilibre global caractérisé de manière superficielle comme commercial. Voulant tenter, dans les faits, de corriger les effets de la mondialisation telle que le capitalisme financier l’a brutalement dessinée. Qui a abouti à une désindustrialisation rapide des pays développés, et au processus inverse dans les pays émergents. Non sans provoquer d’important dégâts. Sociaux des deux côtés, lourdement environnementaux dans les seconds.

De ce point de vue, une convergence a pu être décelée, des deux côtés, dans l’aggravation des inégalités sociales, cachées dans les pays émergents par l’amélioration des conditions de vie de classes intermédiaires qui s’y développent, bénéficiant des retombées de la croissance du produit intérieur brut (PIB). Au contraire encore dissimulée dans les pays développés, en raison de l’importance de celles-ci, en dépit de la détérioration du statut de leurs couches inférieures.

Après avoir crié au miracle économique, il a finalement été reconnu que les émergents devaient développer leur marché intérieur. Non pas parce que leur modèle de croissance fondé sur les exportations était générateur d’un déséquilibre aggravé de la distribution de la richesse. Mais parce qu’il rendait insoluble – la machine à fabriquer de la dette ne pouvant plus y pourvoir comme auparavant – le problème de la compensation de l’inégalité de cette distribution dans les pays développés. Induisant des déséquilibres qui n’ont rien de commerciaux, mais seront sociaux et politiques.

A court terme, la recherche du retour à un équilibre commercial est vue d’une manière encore plus étroite, afin de favoriser le retour d’une croissance permettant de réduire la bulle de la dette publique. Une perspective qu’il va falloir abandonner, parmi d’autres.

Un rapport de l’OCDE intitulé « Le basculement de la richesse » vient d’être publié, dont la conclusion est sans équivoque. « La crise financière et économique a accéléré cette transformation structurelle de l’économie mondiale », déplaçant le « centre de gravité économique de la planète (…) vers l’Est et le Sud, des pays de l’OCDE vers les pays émergents ». Le poids de ces derniers est en train, si ce n’est déjà fait, de dépasser celui des pays occidentaux. Plus inquiétant encore, c’est le commerce que l’on dénomme Sud-Sud, qui est en plein essor. Contournant ces mêmes pays et apportant à la demande occidentale une réponse qui n’est pas exactement celle qui est espérée.

Tout occupé à l’analyse de ses moyennes statistiques, l’OCDE néglige une constatation essentielle : le basculement de la richesse n’est pas uniquement un phénomène géographique. Il est aussi un phénomène social, induisant non pas la réduction mais l’accroissement de la distribution de celle-ci.

Toutes les conséquences, comme on pouvait s’y attendre, n’ont toutefois pas été tirées du changement stratégique que représente le rééquilibrage global. Il est plus commode d’en rester à ce niveau d’analyse des flux commerciaux – et des parités des monnaies – plutôt que d’aborder la problématique des modèles de développement économique, ce qui aboutit à une remise en cause inacceptable du système.

Les financiers ne l’entendent pas ainsi, entendant – après avoir induit la délocalisation de la production industrielle – agrandir leur casino en y rajoutant une gigantesque aile consacrée à la finance émergente. Etant déjà parvenus, à force de bons conseils et de saines pratiques, à favoriser l’émergence d’une formidable bulle immobilière en Chine. Les travaux pratiques de l’école du capitalisme financier y commencent mal.

La question angoissante devant laquelle tous se trouvent au sein du bloc occidental est désormais la suivante : sur quels gisements d’activité va donc bien pouvoir repartir la croissance ? Amenant certains, comme les Britanniques, à défendre bec et ongles leur industrie financière en raison de sa forte contribution au PIB. D’autres à chercher dans la poursuite de leur modèle exportateur leur salut, comme l’Allemagne et le Japon. Conduisant tout le monde à s’engager sur une étroite planche de salut, le « green business », préparant dans ce secteur une grosse bousculade dont les pays « émergents » pourraient tirer les marrons du feu, compétitivité oblige.

Les plus lucides fondent leur espoirs dans l’élévation du niveau de vie et des salaires dans les pays émergents afin de réduire l’avantage compétitif qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer. S’illusionnant sur le temps qui sera nécessaire pour que ce rééquilibrage soit effectif. Sous-estimant les dégâts qui entretemps devront être enregistrés.

L’issue serait de remettre en cause la mondialisation telle qu’elle a été engagée et de la remettre sur la voie d’une coopération économique visant à combler – et non pas à reproduire – les inégalités de toutes natures qui sont à l’origine des profonds déséquilibres actuels, qui ne seront sinon pas surmontés, continuant de produire les mêmes effets.

A l’inverse, toute idée de protectionnisme et de refuge derrière des murs, quels qu’ils soient, est dans la pratique illusoire – le point de non retour a été dépassé – et renvoie à une détestable interrogation : quel sera le sort de ceux qui n’auront pas le bénéfice d’être réfugiés à l’intérieur de la citadelle ?

La décision des dirigeants chinois ne modifie pas la donne actuelle. Elle va nécessairement être cosmétique, ne modifiant pas substantiellement les flux commerciaux internationaux, comme espéré par les Américains. L’appareil industriel américain serait-il vraiment en mesure de prendre le relais et de relancer une production nationale confiée aux Chinois ? On peut en douter.

Le développement du marché intérieur chinois, qui viendrait en substitution de leurs exportations, est par ailleurs un lent processus parsemé de nombreux obstacles. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler comment l’Union soviétique, qui s’était sous Krouchtchev assignée le même objectif, n’y était pas réellement parvenue avant son effondrement. Les sociétés bureaucratiques, cet étrange mode de production pour lequel Karl Marx avait ébauché une analyse avec le mode de production asiatique ne brillent pas par leur grande souplesse et capacité à évoluer. La Chine d’aujourd’hui n’étant pas, bien entendu, l’Union soviétique d’hier.

L’impasse de la situation actuelle – l’emploi récurent de ce mot est malheureusement inévitable – s’exprime de deux manières similaires : les solutions monétaires qui sont envisagées ne sont plus opérantes. Les banques centrales ne parviennent pas à relancer la croissance en maintenant très bas leurs taux – en contradiction avec la théorie – tandis que les Etats n’ont aucune chance de régler l’angoissante disparition de leur croissance. Que ce soit en modifiant aujourd’hui les parités monétaires, ou en réformant demain le système monétaire international. Si les faits sont rebelles à la théorie, que faut-il changer des deux ?

L’équilibre de la terreur – appelé aussi la guerre froide – a pu être maintenu tandis que la capitalisme financier faisait la démonstration de sa supériorité sur les pauvres avatars d’un socialisme qui avait eu le mauvais goût d’émerger dans des pays à faible niveau de développement économique, contrairement aux prévisions des révolutionnaires. Dans le camp des vainqueurs, les idéologues croyaient que c’était acquis pour toujours. Car il est bien connu que ce sont toujours ceux-ci qui écrivent à leur façon l’histoire, dans l’attente que la vérité historique puisse être établie.

Avec la mondialisation, un autre équilibre était revendiqué, économique et financier et non plus militaire. Mais il n’a pas été trouvé et nous en sommes-là. Sans qu’il soit encore reconnu – et pour cause – que remédier au déséquilibre qui se poursuit, sans qu’il soit même nécessaire de prédire de nouveaux épisodes de crises aiguës, est une tâche hors de portée si l’on ne se résout pas à de sérieuses mises en cause.

Ce que nous vivons va bien au-delà de la fin des Trente glorieuses. Dans l’immédiat, vu le simulacre de régulation financière qui est en cours, les clefs de la maison sont toujours confiées à ceux qui y ont mis l’incendie. Triste et inquiétante constatation.


Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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