Stephanie Kelton, professeur de l’université de Stony Brook de New York, est l’une des partisanes les plus enthousiastes de la théorie monétaire moderne. Cette théorie radicale estime qu’il n’y a pas de limite à la dette publique tant qu’un pays est capable de la rembourser avec sa propre devise. Elle a lancé une controverse lorsqu’elle a cité l’exemple du Japon en tant que preuve du bien-fondé de cette théorie.
La critique la plus courante de la TMM est que l’inflation va grimper alors que les déficits dérapent. Pour la réfuter, Kelton cite l’exemple du Japon, où l’inflation est inexistante malgré des déficits qui se succèdent et qui a propulsé la dette du pays à plus de 200 % de son PIB.
Le but de cet article n’est pas de discuter de la solidité de la théorie monétaire moderne. Il a pour objectif d’expliquer pourquoi le Japon a été en mesure d’accumuler les déficits. Ou, pour aller encore plus loin, l’environnement qui a d’une certaine manière rendu ces déficits inévitables.
L’épargne japonaise contrebalance la
dette publique
En bref, cela est dû aux excédents d’épargne du secteur privé. Le graphique de la banque du Japon ci-dessus, qui représente les fluctuations des fonds, montre les évolutions annuelles des fonds des secteurs principaux du Japon, à savoir les ménages, les entreprises non financières, les institutions financières, le secteur public, les acteurs étrangers et autres. Un chiffre négatif signifie que le secteur en question emprunte à d’autres secteurs afin de couvrir le trou. Un chiffre positif signifie que le secteur épargne ou a des fonds excédentaires.
Les évolutions de ces balances nous permettent de percevoir les changements structurels qui ont eu lieu dans l’économie japonaise à partir des années 90.
Par exemple, les entreprises non financières sont passées de déficitaires à un excédent d’épargne. C’est au même moment que le secteur public est devenu déficitaire. Cette situation perdure depuis.
Du côté des ménages, l’excédent d’épargne qui a perduré jusque dans les années 90 a baissé, mais il y a toujours un excédent. Les acteurs étrangers sont toujours déficitaires, ce qui signifie que la balance commerciale du Japon est positive.
Globalement, les déficits et les
excédents s’annulent. Le crédit n’est pas une mauvaise chose par
nature. (…)
L’épargne représente les revenus moins la consommation. Si tout le monde souhaite épargner beaucoup, l’économie va souffrir d’un manque de demande pour tomber dans un cycle de contraction.
Au Japon, le secteur privé était
fortement endetté après avoir fait des investissements excessifs
durant le développement de la bulle de la fin des années 80. À la
fin des années 90, ils se sont mis à assainir leurs finances afin
d’ajuster le tir. (…)
Le début de l’endettement du Japon a démarré après que les entreprises aient commencé à stocker du cash. Cela explique pourquoi les taux des obligations japonaises ne grimpent pas malgré des émissions massives, et restent à des niveaux planchers. Cela ne signifie pas pour autant que le Japon peut continuer sur cette voie sans courir de risque.
La génération des baby-boomers d’après-guerre, qui sont désormais des septuagénaires, va bientôt rejoindre le camp des « personnes âgées de stade avancé » (sic) de plus de 75 ans qui puisent dans leur épargne afin de couvrir leurs dépenses du quotidien. La tendance d »excédent dans le secteur privé pourrait également changer à long terme. Dans ce cas, l’énorme dette japonaise pourrait ne plus être tenable en raison du manque de support de l’épargne domestique. En cas de tels changements, le prix des obligations japonaises pourrait s’effondrer, ce qui ferait exploser les taux.
L’effondrement de la valeur en termes
réels, ajustée à l’inflation, des obligations du Japon seraient
particulièrement catastrophiques. Cela signifierait que les porteurs
privés de ses obligations enregistreraient de lourdes pertes. Vu ce
risque, une reconstruction fiscale à long terme doit être pensée
afin de maintenir les déficits et la dette publique à des niveaux
tenables.
Article de Masaharu Takenaka, professeur d’économie à l’université Ryukoku de Kyoto, publié dans le Japan Times