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Le mardi 18
mars, Thierry Lepaon, numéro un de la CGT,
affirmait qu’on «parle beaucoup des salariés qui seraient
assistés, des chômeurs qui seraient assistés.
Aujourd'hui, pour nous, c'est le patronat qui est assisté par ce
gouvernement […] 200 milliards d'euros d'aides versées tous les
ans au patronat […] dix fois le déficit des caisses de
retraite». Ce chiffre
semble exagéré puisque un
rapport de la mission gouvernementale pour la modernisation de
l’action publique (p. 16) évalue le montant total des aides à
110 milliards d’euros, soit 5,41% du PIB français de 2012 (Source :
INSEE). Reparties entre des milliers de dispositifs différents, le
chiffre reste néanmoins important. Les entreprises françaises
seraient-elles donc à ce point assistées ? Essayons
d’y voir plus clair.
Tout
d’abord, les aides aux entreprises se présentent sous
différentes formes selon le dispositif analysé. La plus grosse
partie des aides, soit 88,8 milliards d’euros, consiste en des allègements
fiscaux et sociaux. On y trouve les allègements
« Fillon » pour les bas salaires, le Crédit d’impôt
recherche (CIR), le Crédit impôt pour la compétitivité
et l’emploi (CICE), les niveaux de TVA à taux réduits, et
quelques autres aides d’État, régionales,
départementales et municipales. Des aides de ce type financent aussi la
formation professionnelle, le logement et les services à la personne
des employés.
Or ce type
d’aides aux entreprises ne correspond pas à de
l’assistanat. La notion d’assistanat implique, en effet, des
aides sans contrepartie. Or, les
entreprises souscrivant à un dispositif d’aide sont toujours
assujetties à des contreparties spécifiques aux types
d’aide souscrits. Elles peuvent concerner l’installation, l’embauche
et la formation des demandeurs d’emploi dans une zone sensible.
C’est le cas des aides à l’installation et à
l’embauche dans les Zones Franches urbaines (ZFU).
Un autre type de contrepartie est l’embauche et la formation de
catégories spécifiques de travailleurs ou de demandeurs
d’emploi. Ceci concerne notamment le CIR, l’aide à
l’embauche pour un contrat d’apprentissage et le contrat de
génération. D’autres contreparties visent les installations
matérielles coûteuses d’une entreprise (aides pour
l’environnement) ou les activités spécifiques d’une
entreprise, comme les
centaines d’aides à la culture et aux artistes.
En aucun cas,
les entreprises ne reçoivent de fonds sans une obligation quelconque
en matière d’investissement ou d’embauche. Ensuite, si
certaines aides sont
données sur simple déclaration, comme dans le cas du
CIR, dans la grande majorité des cas, la mise en place des
contreparties ne garantit pas automatiquement l’accès aux aides
qui ne sont souvent libérées qu’après
vérification de dossier. Cela représente un coût administratif
important pour les entreprises. Elles doivent faire les investissements avant
d’avoir confirmation des aides, ce qui représente un coût
significatif en termes de compétitivité.
Autre point
important ; les aides aux entreprises ont généralement un
caractère fiscal. Elles allègent le fardeau qui pèse sur
les entreprises. Il ne s’agit donc pas des privilèges et encore
moins d’assistanat. Les aides aux entreprises impliquent de fait
rarement des subventions liées au développement de produits
spécifiques (exception faite des aides liées à la
Politique agricole commune – PAC – et des aides à
l’industrie militaire). Autrement dit, les aides publiques aux
entreprises ne sont pas des subventions des coûts de production. Elles
sont des aides qui soulagent les entreprises d’un fardeau fiscal et
social devenu trop lourd.
Le
caractère fiscal des aides aux entreprises permet d’expliquer en
partie le bilan mitigé qu’elles présentent en
matière de développement économique en France. Prenons
le cas des ZFU. La loi favorisant l’installation des entreprises en ZFU
date de 1997. Elle a été modifiée en 2004. Si le
dispositif est une réussite à ses débuts, on constate
dès 2001 un essoufflement qui ne sera pas atténué
après la réforme de 2004, comme l’indique cette étude
de l’INSEE. Deux raisons expliquent cette stagnation. Tout
d’abord, les entreprises ont du mal à satisfaire les exigences en
matière d’embauche dans les ZFU, zones où la main
d’œuvre n’est pas suffisamment spécialisée.
Ensuite, bon nombre d’établissements à s’être
installés dans ces zones, l’étaient déjà
ailleurs. Ils n’étaient pas des créations
d’entreprise. Autrement
dit, l’objectif pour ces entités était surtout d’alléger
leurs charges fiscales et sociales. Mentionnons aussi une autre raison qui si
elle n’est pas mentionnée dans l’étude de
l’INSEE, n’en est pas moins importante. Il s’agit du caractère
limité dans le temps des
allègements et des exonérations fiscales et sociales. Ils
s’éteignent au bout de 8 ans. En outre, ces aides sont
limitées à l’embauche de 50 salariés tout au plus.
La
deuxième vague des ZFU a quant à elle été
impactée par une mesure beaucoup plus attractive pour les entreprises,
à savoir la mise en place des allègements
« Fillon » pour les bas salaires en 2003, accessibles à toutes les entreprises, grandes
et petites.
Le CIR est un
bon exemple de ce que les « aides » sont devenues
essentielles au « bon » fonctionnement des entreprises
dans une France surchargée fiscalement. Très critiqué parce que
les montants en hausse année après année ne sont pas accompagnés
par des augmentations de l’embauche dans la recherche privée
(voir ici
et ici),
ce dispositif reste essentiel pour les entreprises. À tel point d’ailleurs
que les gouvernements qui se succèdent le voient comme un acquis pour
celles-ci. Les entreprises menacent souvent de délocaliser leur
recherche si le dispositif était supprimé. Le fait est que le
CIR subventionne les charges fiscales et sociales liées à des
projets de recherche et pas
uniquement les embauches de scientifiques.
Ainsi, face
à l’ampleur du fardeau fiscale et social en France, les aides
publiques sont devenues nécessaires à l’existence
même de plusieurs secteurs d’activité de l’économie.
C’est ainsi que les entreprises éligibles y ont recours
massivement. Tant que les gouvernements ne sauront pas reformer la structure
fiscale et sociale en France, ces aides seront effectivement une
nécessité. En effet, nous pourrions dire que ces aides aux
entreprises représentent plutôt une aide indirecte aux
travailleurs soutenus par M. Lepaon, car les postes
de travail créés par ces aides n’existeraient pas si
celles-ci venaient à disparaître sans un allégement du fardeau
fiscal et social français.
Ces
dispositifs comportent néanmoins un élément
discriminatoire qui favorise les entreprises bien pourvues en capital au détriment
des entreprises plus modestes. Le coût d’accès aux
dispositifs en question et les critères
d’éligibilité rendent ces dispositifs hors de portée
de la plupart des TPEs et PMEs
qui sont pourtant créatrices de plus de 50% des emplois en France.
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