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Le capitalisme est en grève !
C’est tout du moins ce qui ressort d’une
enquête du Wall Street Journal qui révèle que 1.700 milliards de dollars
rapatriés des filiales étrangères des grandes entreprises américaines ont été
déposés au chaud sur des comptes ouverts dans des banques US, car il ne fait
pas bon investir quand la récession sévit.
Pourtant déclarés pour trois
quarts d’entre eux l’avoir été, afin de ne pas être imposés par le fisc
américain (une finesse de sa réglementation, qui en comporte beaucoup
d’autres), ces fonds ont beaucoup voyagé au titre de l’optimisation
fiscale avant d’arriver dans leurs havres. L’un de leurs itinéraires a pu
être le suivant : dégagés de l’activité des filiales européennes, recueillis
en Irlande et passant par la plaque tournante de Hollande, ils ont rejoint un
paradis fiscal ou un autre, avant d’être rapatriés au plus près de leur
maison-mère, en dollars. On sait en effet comment l’Irlande a fait son beurre
du dumping fiscal en faveur des entreprises qui y trouvent une tête de pont
au sein de la zone euro, mais on connait moins les ficelles du « sandwich
hollandais », comme il est plaisamment nommé, qui imposent a minima
les royalties (dont la facturation permet facilement de transférer des fonds)
et reposent sur des conventions fiscales avantageuses avec les paradis
fiscaux.
La Hollande n’est certes pas
le seul pays de la zone euro à jouer ce discret rôle, pour prendre l’exemple
de Chypre, dont le système bancaire est suspecté de lessiver des capitaux
douteux d’origine russe, avant qu’ils ne soient retournées et investis en
Russie et en Ukraine. Il faut que la Troïka se penche sur son sort et
que le gouvernement allemand renâcle pour que ce secret de polichinelle
arrive sur la place publique. Véritable passoire, l’Europe est farcie de
paradis fiscaux, dont les frontières avec les pays qui jouent à leur profit
de la concurrence fiscale est bien étroite, car leurs rôles sont
complémentaire : cette concurrence stimule l’évasion, dont la Commission
estimait en mars dernier le montant à 1.000 milliards d’euros annuel. Un coup
d’arrêt brutal avait dès 1992 mis fin à toute velléité d’harmonisation
fiscale, lorsqu’il avait été décidé par les ministres des finances de l’Union
européenne d’imposer l’unanimité pour prendre toute décision d’ordre fiscal,
au prétexte que l’harmonisation fiscale « n’était pas une condition
nécessaire à l’achèvement du marché intérieur »… Les bonnes affaires des
uns ne font pas celles des autres, les États qui doivent diminuer leurs
déficits.
Les opérations de diversion
n’ont pas manqué ces dernières années, pour qu’à l’arrivée l’essentiel soit
préservé. On se rappellera la comédie jouée par l’OCDE à propos des
juridictions non-coopératives, qui ont comme par enchantement disparu de sa
liste noire de la honte. Ainsi que le fameux « Les paradis fiscaux,
c’est fini ! » de Nicolas Sarkozy dont l’objectif était que l’on n’y
regarde pas de plus près. Elle a pu être d’autant plus facilement jouée
qu’ils sont associés dans le grand public à la seule évasion des grandes
fortunes, alors qu’ils rendent bien d’autres services, et aux exotiques Iles
Caïmans, alors qu’il n’y a pas besoin de nager si loin pour trouver des eaux
troubles.
Pourtant, devant l’ampleur que
prenait le blanchiment de l’argent sale, dont les torchons de la drogue se
mélangeaient avec les serviettes de la finance, le Sommet de l’Arche avait en
1989 décidé de prendre le taureau par les cornes en créant le Groupe d’Action
Financière (GAFI). cette structure internationale comprend à ce jour 20 pays
et la Commission européenne… dont deux contre lesquels elle appelle à prendre
des mesures (l’Iran et la Corée du Nord). Il a fallu attendre le choc du 11
septembre 2001, pour que neuf recommandations destinées à lutter contre le
financement du terrorisme rejoignent les 40 déjà adoptées, toutes non
contraignantes…
Le doigt est trop rarement
pointé sur un troisième volet de l’activité des paradis fiscaux, rouage
essentiel de l’optimisation fiscale des entreprises. Tax Justice Network,
l’ONG spécialisée sur ces questions, estime à ce propos que « des
centaines de milliards de dollars [qui devraient provenir de l’imposition des
bénéfices des entreprises] sont annuellement perdus en Europe au profit de la
fraude fiscale et des montages d’évasion fiscale. »
Mais cela va plus loin encore,
car les paradis fiscaux sont l’arrière-cour du système financier, le lieu
d’élection du shadow banking dont ils sont les trous noirs, et des
discrètes filiales des établissements financiers et des entreprises où elles
pullulent. Le tableau offert n’est pas celui de deux mondes distincts reliés
par quelques étroites passerelles, mais celui d’un seul monde ! L’image qui
en ressort renvoie à celle que fournit l’impressionnante description du
contrôle des principales entreprises transnationales par un nombre réduit
d’établissements financiers de l’étude intitulée « Le réseau du contrôle global
de la société ». Décidément, notre vision du monde est retardataire et a
bien besoin d’être enrichie afin de mieux identifier les mesures essentielles
à prendre pour sortir du cadre. Tiré, le petit fil rouge de
l’optimisation fiscale en est un des moyens. Mais le secret qui entoure ses
données, qu’il soit privé ou protégé par les gouvernements, implique un
véritable travail d’explorateur.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre,
Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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