L’ »establishment »
financier des Etats-Unis a la capacité incroyable de célébrer l’incohérent
tout en ignorant le vital. La semaine dernière, alors que le Wall Street
Journal se posait des questions quant aux taux d’intérêt de la Fed d’ici ces
quatre à cinq prochaines années (un exercice que David Stockman
a comparé à l’étude du nombre d’anges qui pourraient tenir sur la pointe
d’une aiguille), les médias ont complètement ignoré l’une des informations
financières les plus pétrifiantes que j’aie jamais vues. Selon un petit
article du Financial Times, certains officiels de la Fed voudraient demander
aux petits propriétaires de fonds communs d’obligations de payer des
« frais de sortie » pour liquider leurs positions. Pardon ? Le
fait même qu’une telle politique puisse être considérée
nous en dit long sur la fragilité actuelle de notre marché d’obligations et
sur la folie collective des couches inutiles de régulation.
L’ancien membre de la direction
de la Réserve fédérale, Jeremy Stein, s’est prononcé sur ce qui est depuis
devenu une évidence aux yeux de nombreux investisseurs : le marché des
obligations est devenu trop important et trop peu liquide, et exposerait le
marché à des crises si une large portion des investisseurs décidait de vendre
en même temps. Un tel évènement s’est déroulé en 2008, alors que les fonds du
marché monétaire sont tombés sous le niveau requis. Afin de prévenir une
telle possibilité sur le marché des obligations, la Fed cherche à contrer une
possible vente panique en barrant la sortie aux investisseurs. Fort
heureusement, les règles qui gouvernent les transactions au sein de notre
société ne sont pas imposées par la Fed, mais sont les prérogatives de la SEC
– bien que, si vous pensez comme moi, vous serez d’accord sur le fait que
cela ne soit pas extrêmement rassurant. Comment en sommes-nous arrivés
là ?
Au cours de ces six dernières
années, la Réserve fédérale s’est efforcée de maintenir les taux d’intérêt
aussi bas que possible. Elle y est parvenue en fixant le taux des fonds
fédéraux à zéro depuis 2008. Le manque conséquent de rendement de la dette de
court terme a encouragé les investisseurs à acheter de la dette de plus long
terme, et plus risquée, ce qui a créé un marché haussier sur les obligations
de long terme. Les programmes de QE de la Fed ont étendu ce marché haussier
au-delà de ce que n’importe qui aurait pu anticiper, faisant de la dette de
long terme « sans risque » un actif bien trop attractif pendant
bien trop longtemps. En conséquence, les fonds communs de placement de dette
gouvernementale et d’entreprise de long terme ont atteint 7 trillions de
dollars à la fin 2013, soit une hausse de 109% depuis 2008.
Une partie du problème est
qu'une grande partie de ces fonds est endettée, puisqu'elle a emprunté sur le
court terme pour acheter sur le long terme. Les rendements s’en sont trouvés
gonflés dans un environnement de taux généralement peu élevés. Cela signifie
que lorsque des liquidations sont nécessaires, les fonds qui font l’objet
d’un effet de levier doivent vendre plus d’obligations de long terme pour
obtenir des fonds que les quantités de dollars nécessaires à leur
liquidation.
Mais maintenant que les
politiques de la Fed ont poussé les investisseurs vers les obligations de
long terme, elle veut s’assurer qu’ils ne chercheront pas à prendre leurs
jambes à leur cou. La Fed espère construire l’équivalent, pour le marché des
obligations, d’un motel dans lequel les investisseurs peuvent se présenter à
l’arrivée mais n’ont pas à annoncer leur sortie. L’étendue des frais
potentiels de sortie sont ouverts à la spéculation. Ils devraient cependant
être assez élevés pour pouvoir être efficaces, et devraient augmenter à
mesure que le désir de vendre gagne du terrain. Si tout le monde paniquait en
même temps, il est possible que ces frais s’avèrent prohibitifs.
Nous en arrivons à un point où
la Fed est supposée réduire ses achats d’obligations mensuels et réduire la
taille de ses bilans. La proposition de frais de sortie nous pousse à croire
que les choses pourraient vite devenir très moches si la Fed n’offrait plus
de liquidités illimitées (voir mon ancien commentaire de mai 2014 sur le
sujet, intitulé Too Big
To Pop).
Indépendamment du mépris de la
Fed pour les droits de propriété et les contrats (les investisseurs n’ont pas
signé pour des frais de sortie en achetant leurs fonds d’obligations), l’idée
que cette règle illustre à quel point les régulations du gouvernement peuvent engendrer une pile de stimulus contreproductifs
pourrait causer le chaos sur les marchés.
Dans le cas présent, les
problèmes ont commencé dès les années 1930, alors que l’administration de
Roosevelt donnait vie au FDIC pour apporter une assurance fédérale aux dépôts
bancaires. Avant cette date, les consommateurs étaient forcés de faire
attention à la réputation d’une banque, et décider par eux-mêmes si une
institution méritait de recevoir leur monnaie. Le marché libre fonctionnait
très bien pour le secteur bancaire, et pourrait fonctionner encore mieux
aujourd’hui, à une heure où internet est utilisé pour diffuser des
informations en temps réel. Mais l’assurance du FDIC a transféré le risque
des dépôts bancaires vers les contribuables. La vaste majorité des déposants
se moquent de ce que leur banque fait de leur argent. Ce danger moral est
partiellement à l’origine de la catastrophe de 2008, et a donné vie à l’ère
actuelle des Too Big To
Fail.
Dans une tentative de réduire
les risques imposés par le système bancaire aux contribuables, la loi Dodd/Frank mise en place après la crise a rendu plus
difficile pour les banques et les autres grosses institutions d’échanger des
obligations pour leurs propres comptes. C’est l’une des raisons pour
lesquelles le marché des obligations est moins liquide aujourd’hui que par le
passé. Mais ce manque de liquidités expose le marché à des risques. Certains
ont donc demandé une régulation de troisième niveau (frais de sortie) pour
corriger les distorsions créées par les deux premières. Et le cycle pourrait
encore continuer…
Ce qui est le plus attristant
n’est pas le fait que la Fed soit favorable à de tels frais de sortie, mais
que les médias financiers et le public ne s’en soucient pas. Si les autorités
imposaient des frais de sortie aux fonds d’obligations, pourquoi ne pas en
appliquer aux fonds d’équités ou même aux fonds de capitaux propres ?
Une fois que la ligne sera franchie, nous ne pourrons plus faire machine
arrière.
Mais
les politiques de la Fed semblent avoir pour objectif de gonfler les prix des
actifs et de les maintenir à des niveaux très élevés quoi qu’il arrive. Voilà
qui ne vient pas en aide à l’économie, mais rend très heureux les collaborateurs
de la Fed à Wall Street. Après tout, quel propriétaire de motel s’opposerait
à une loi qui empêcherait ses clients de partir ? La triste vérité,
c’est que si les investisseur conservent leurs obligations suffisamment
longtemps pour être exposés à de potentiels frais de sortie, ces frais
pourraient s’avérer être le dernier de leurs problèmes.
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