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1. Les
oppositions nationales et les migrations
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Si les relations commerciales jouissaient d'une entière
liberté, il se produirait le fait suivant: seules les conditions de
production les plus favorables seraient utilisées. Pour la production
des matières premières, on rechercherait les biens-fonds qui,
à données égales, pourraient fournir le plus grand
rendement. L'industrie de fabrication s'installerait à l'endroit
où pour la fabrication d'une unité de marchandise (absolument
prête à la consommation, y compris donc le transport jusqu'au
lieu de la consommation) le minimum de frais de transport serait
nécessaire. Les ouvriers s'établissant dans le voisinage des
endroits de production, la répartition de la population doit s'adapter
aux conditions naturelles de la production.
Les
conditions naturelles de la production ne sont immuables que lorsque
l'économie l'est elle-même. Les forces qui donnent leur
mouvement à l'économie ne cessent de les transformer. Dans
l'économie qui se transforme, les hommes émigrent des endroits
moins favorisés du point de vue des conditions de la production vers
les endroits plus favorisés. Dans l'organisation économique
capitaliste, capital et travail, sous la pression de la concurrence,
émigrent vers les places les plus favorisés. Dans le cercle de
la communauté socialiste, le même événement se
produit d'après les décisions de ceux qui assurent la direction
de l'économie. C'est toujours le même phénomène.
Les hommes émigrent vers les endroits où ils trouvent les
conditions de vie les plus favorables(1).
Ces migrations ont pour l'organisation des relations internationales des
conséquences très importantes. Elles amènent les tenants
d'une nation offrant sur soi des possibilités de production moins
avantageuses, sur le sol d'autres nations plus favorisées par la
nature. Les conditions dans lesquelles se produisent ces immigrations peuvent
avoir des résultats opposés. Ou bien les immigrés sont
assimilés par leur nouveau milieu, et alors la nation des
émigrés est affaiblie proportionnellement au nombre des
émigrés. Ou bien les immigrés conservent dans leur
nouvelle patrie leur caractère national, ou même s'assimilent
les habitants du pays, alors c'est la nation où ils ont
émigré qui peut redouter de cette immigration un
préjudice causé à sa position nationales. Le
fait d'appartenir à une minorité nationale crée à
ceux qui en font partie maint désavantage politique(2).
Ces désavantages sont d'autant plus forts et sensibles que le rayon
d'action du pouvoir politique est plus étendu. Dans un État
nettement libéral, ces désavantages se font moins sentir, c'est
dans un État socialiste qu'ils sont le plus forts. Plus ces désavantages
sont fortement ressentis et plus s'accroît chez chaque peuple le
désir de préserver ses ressortissants du destin qui frappe les
minorités nationales. Grandir en nombre, posséder la
majorité dans de vastes et riches régions devient un but
politique digne d'un grand effort. Mais cela c'est l'impérialisme(3). Dans les trente dernières années du
XIXe siècle et dans les premières du XXe, l'impérialisme
employait très volontiers, comme moyens servant ses fins, les
offensives de politique commerciale: tarifs protectionnistes, interdictions
d'importation, primes à l'exportation, avantages de fret, etc. On a
accordé moins d'attention à un autre moyen important de la
politique impérialiste, qui revêt chaque jour une plus grande
importance: les barrières opposées à l'immigration et
à l'émigration. Mais l'ultima ratio de la politique
impérialiste est la guerre. Tous les autres moyens qu'elle emploie ne
lui semblent que des expédients insuffisants.
Rien ne nous autorise
à croire que dans un État socialiste, il serait moins
désavantageux d'appartenir à une minorité nationale. Ce
serait plutôt le contraire. Plus l'individu dépend, en toute
chose, de l'autorité, plus les décisions des corps politiques
ont d'importance pour la vie de chaque individu, et plus fortement sera
ressentie l'impuissance politique à laquelle sont condamnées
les minorités nationale.
Cependant, si nous
étudions le problème de la migration dans la communauté
socialiste, nous pouvons nous dispenser d'examiner particulièrement
les difficultés qui surgissent entre les nations du fait des
migrations. Car dans une communauté socialiste, il doit
déjà se produire entre membres d'une même nation des
difficultés causées par le problème de la
répartition du sol – problème sans intérêt
pour le libéralisme, mais problème capital pour le socialisme.
2. La
tendance décentralisatrice du socialisme
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Dans l'économie capitaliste, le capital et le travail sont en
mouvement jusqu'à ce que le profit ait atteint partout le même
niveau. L'état de repos est atteint lorsque le capital et le travail
en sont arrivés dans tous leurs emplois à la même
productivité limite.
Considérons
d'abord les migrations d'ouvriers, en négligeant pour l'instant les
migrations de capital. Les ouvriers qui accourent en foule à un
certain endroit y pèsent sur la productivité-limite. Le revenu
du travail, le salaire, baisse, et par là un tort est causé aux
ouvriers qui travaillaient en cet endroit avant l'immigration. Ces ouvriers
voient dans les immigrés la cause de leurs salaires réduits.
Leur intérêt particulier exige une prohibition de l'immigration.
Empêcher l'afflux de nouveaux ouvriers devient un point du programme de
la politique particulière de tous les groupements d'ouvriers.
Le
libéralisme a montré qui faisait les frais de cette politique.
D'abord, ce sont les ouvriers qui sont touchés, forcés de se
contenter d'un salaire peu élevé, en des endroits où les
conditions de production sont moins favorables et où la
productivité-limite est moindre. Ensuite ce sont les
propriétaires des moyens de production assurant des conditions plus
favorables, qui ne peuvent atteindre le résultat qu'ils pourraient
obtenir s'ils embauchaient un plus grand nombre d'ouvriers. Mais cette
politique produit encore d'autres effets. Un système qui
protège les intérêts particuliers immédiats de
différents groupements entrave la production générale et
nuit en définitive à tous, y compris ceux qu'elle favorise en
première ligne. Quel sera le résultat final pour l'individu,
gagnera-t-il ou perdra-t-il avec le système de protection,
comparativement au bénéfice que lui procurerait la pleine
liberté de mouvement économique? Cela dépend du
degré de protection qui lui est assuré à lui et à
d'autres. Sans doute le résultat total de la production avec le
système protectionniste est inférieur à celui obtenu
avec l'économie libre et la moyenne du revenu y est moindre. Mais il
est fort possible qu'avec le système protectionniste, certains
individus s'en tirent plus avantageusement qu'avec l'économie libre.
Plus la protection des intérêts particuliers sera
appliquée d'une manière rigoureuse, et plus grande sera la
perte générale pour la collectivité et il sera d'autant
moins vraisemblable qu'il puisse y avoir des individus qui à ce
régime gagnent plus qu'ils ne perdent.
Du reste, dès qu'existe, en principe, la possibilité de
sauvegarder des intérêts particuliers et des privilèges,
la lutte s'engage entre les intéressés pour savoir qui passera
avant l'autre. Chacun cherche à devancer son voisin et à
acquérir plus de privilèges que les autres, pour pouvoir
encaisser plus d'avantages. L'idée d'une protection égale, sans
aucune lacune, de tous les intérêts n'est qu'un mirage issu
d'une théorie superficielle.
Car si tous les intérêts particuliers étaient
également protégés, personne ne retireraient un avantage
de cette protection. Tous sentiraient également les
désavantages d'une productivité diminuée. Chaque
individu a l'espoir d'obtenir pour lui-même une protection plus forte
qui lui donnera l'avantage sur ceux qui sont moins protégés, et
c'est cela seulement qui l'attire vers le système protectionniste.
Chacun demande à ceux qui ont le pouvoir, de lui accorder et maintenir
des privilèges particuliers.
En dévoilant les effets de la politique protectionniste, le
libéralisme a brisé les forces qui combattaient pour
l'obtention de privilèges. On s'était enfin rendu compte, qu'en
mettant les choses au mieux il n'y aurait que très peu de personnes
pouvant retirer du système protectionniste un véritable
bénéfice, et que la grande majorité y perdrait. Cette
constatation priva les champions du système protectionniste de
l'adhésion de la masse; les privilèges disparurent, parce
qu'ils avaient perdu leur popularité.
Pour rappeler à la vie le système protectionniste, il fallait
d'abord anéantir le libéralisme. L'attaque fut menée de
deux côtés. Du point de vue nationaliste, et du point de vue des
intérêts des ouvriers et de la classe moyenne compromis par le
capitalisme. Le point de vue nationaliste a abouti à un effort en vue
de fermer les frontières, le second point de vue à accorder des
privilèges aux chefs d'entreprises et ouvriers qui n'étaient
pas assez forts pour soutenir la concurrence. Mais une fois que le
libéralisme est complètement surmonté et que le
système protectionniste n'a plus à redouter de lui aucune
atteinte, rien ne s'oppose plus à l'élargissement du domaine
des privilèges particuliers. On a cru longtemps que les mesures de
protection territoriale efficaces étaient liées aux
frontières nationales et politiques, de sorte que l'on ne saurait plus
songer au rétablissement de douanes intérieures, à la
suppression de la liberté de circulation et aux mesures de cette
sorte. Sans doute l'on ne pouvait penser à de telles mesures, aussi
longtemps qu'on tenait encore compte de ce qui restait des conceptions
libérales. Lorsque, en Allemagne et en Autriche, on s'en fut entièrement
débarrassé, dans l'économie des années de guerre,
on vit s'introduire du jour au lendemain toute sorte de mesures d'isolement
locales. Les districts de population agricole surabondante, pour assurer
à leur population le bon marché des aliments se
groupèrent pour s'isoler des districts qui ne peuvent nourrir leur
population qu'en important des vivres. Les villes et les régions
industrielles rendirent l'immigration plus difficile pour empêcher la
hausse des vivres et des loyers. Les intérêts particuliers des
régions brisèrent l'unité du territoire
économique, sur laquelle le néomercantilisme étatique
avait fondé tous ses plans.
En admettant que le socialisme puisse jamais être
réalisé, de grandes difficultés s'opposeraient à
une réalisation homogène du socialisme mondial. Il se pourrait
– et l'on ne peut négliger cette éventualité
– que les ouvriers des différents pays, districts, communes,
entreprises, industries, estimassent que les moyens de production qui se trouvent
dans leur domaine sont leur propriété dont aucun
« forain » ne doit tirer profit. Alors le socialisme se
décomposerait en de nombreuses communautés socialistes
indépendantes, si même il n'arrivait à se réduire complètement
en syndicalisme. Le syndicalisme n'est pas autre chose que la réalisation
logique du principe décentralisateur.
1. Cf. mon
exposé dans Nation,
Staat und Wirtschaft (Trad. fr. Nation,
État et Économie), Vienne, 1919, pp. 45. et dans Liberalismus (Trad. fr.
Le Libéralisme), Iéna, 1927, pp. 93.
2. Cf. Nation, Staat
und Wirtschaft (Trad. fr. Nation, État et Économie),
Vienne, 1919, pp. 37.
3. Cf. ibid., pp. 63. – Liberalismus (Trad.
fr. Le Libéralisme), pp. 107.
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Article
originellement publié par le Québéquois Libre ici
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