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Le produire français est à la mode

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Published : January 10th, 2012
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Category : Editorials

A chaque élection, les mêmes thèmes reviennent en boucle. Aujourd'hui, un de ces "marronniers" de la vie politique est la "relocalisation" de l'industrie française, source de mesures supposées la favoriser, au premier rang desquelles la fameuse TVA sociale éreintée ici même il y a peu.

Mais certains candidats imaginent un retour à un protectionnisme bien plus contraignant, qu'il soit européen, voire, pire encore, national. Dans la période économique difficile que nous connaissons, de telles politiques protectionnistes, qu'elles soient revendiquées ou masquées, seraient absolument suicidaires. Voyons pourquoi.

D'où vient la valeur de ce que nous consommons ?

Lorsque vous achetez un jouet, un smartphone, un ordinateur ou un appareil électrique, il y a toutes les chances qu'ils aient été fabriqués en Chine, ou en Asie du sud est. Le politicien démagogue y verra une invasion inacceptable de produits "étrangers".

Toutefois, il y a des chances que la réalité soit beaucoup plus complexe. Ainsi, une grande partie de ces produis aura certes été fabriquée en Chine. Mais avant d'être fabriqués, ces articles auront dû être conçus, puis vendus, ce qui aura supposé de bien caractériser les consommateurs potentiels.

Or, lorsque l'on regarde un produit moderne, on constate que sa valeur provient bien plus de l'adéquation aux besoins du consommateur qu'il suscite, ou de la cote d'amour que sa marque recèle, que du seul fait qu'il ait été fabriqué. De surcroît, la capacité de nombreux intermédiaires de nous délivrer ces produits à proximité de chez nous, voire chez nous, au lieu de nous obliger à aller les chercher chez des producteurs du monde entier, ajoute à ces "produits" une valeur immense. Des ordinateurs qui resteraient stockés dans les hangars de lenovo sans la "supply chain" qui permet à ces produits de franchir des milliers de kilomètres, n'auraient que très peu de valeur à nos yeux.

Autrement dit, dans un monde ou des milliers de références se battent pour conquérir le portefeuille de la ménagère comme du yuppie, la capacité d'un produit à se faire connaître, à séduire, à s'adapter au plus près des besoins du consommateur, à lui être livré, avec un service après vente et des prestations annexes de qualité, comptent autant que la fabrication du produit lui même, voire, de plus en plus souvent, beaucoup plus.

La valeur ajoutée est la clé

La Valeur Ajoutée, encore est toujours, est la base de toute l'économie. Quand vous vendez un produit made in China, ou made in Mexico, vous importez certes une valeur ajoutée par la fabrication créée dans ces pays, mais vous encaissez également la valeur ajoutée créée par la conception, le marketing, la distribution du produit, qui peuvent être en partie bien de chez nous. Ou d'ailleurs. Et ces valeurs ajoutées peuvent être infiniment supérieures à celles apportées par la simple fabrication du produit.

Et bien sûr, lorsqu'un méchant industriel américain fait fabriquer en chine un produit vendu au Brésil conçu par une boite de design Française, la France récupère une petite partie de la vente faite au Brésil. Bref, un peu partout, des entreprises de tous les pays récupèrent un peu de la valeur ajoutée de transactions conduites dans le monde entier.

Georges Kaplan illustre à merveille ce principe dans un article dont je copie un extrait :

L’exemple classique c’est l’iPhone d’Apple qui est, comme vous le savez certainement, assemblé par oxconn à Shenzhen. Voilà les faits [5] : pour faire produire un iPhone, vous avez besoin de $172,46 de composants produits principalement par Toshiba (Japon), Samsung (Corée du sud), Infineon (Allemagne) et quelques entreprises américaines comme Broadcom, Numonyx et Cirrus Logic. Ces composants sont importés par l’empire du milieu puis assemblés par Foxconn pour un coût par appareil de $6,5. Quand le produit est fini, il est directement livré près de chez vous et passe la douane à $178,96 FAB. En termes de comptabilité nationale, nous avons donc bien importé un iPhone « made in China » pour une valeur de $178,96 mais ce que cet exemple démontre, c’est que ce qui est effectivement « made in China », ce sont les $6,5 d’assemblage – soit 3,6% du prix d’importation.
Le pays qui s'enrichit le plus est donc celui dont les entreprises sont capables de maîtriser la plus grande part de la valeur ajoutée. Si dans quelques secteurs, la production reste un élément important de cette VA (la légendaire qualité de fabrication des voitures allemandes ou des pianos Estonia les distingue sans aucun doute du véhicule ou du clavier lambda...), dans d'autres, elle est nulle : un costume dessiné en France et fabriqué en Turquie ne se distingue en rien d'un costume dessiné en France et frabriqué en France.

Le mouvement est général : la part de la production dans la VA chute régulièrement. Il ne suffit pas de fabriquer un objet pour le vendre : les fonctions "différenciantes", la conception et le marketing, ont une valeur souvent bien plus importante de nos jours.

Le désarroi des cols bleus

Le corollaire désagréable pour ceux qui travaillent à la fabrication de ce que nous consommons, est que leurs emplois sont condamnés à voir leur rémunération chuter, en part relative, par rapport à ceux qui exercent des tâches tertiaires, dans le marketing, la conception, le financement, etc...

Ainsi, les rémunérations des "cols blancs" croissent bien plus vite que la population et la rémunération des ouvriers, fussent-ils de plus en plus qualifiés, ce qui a provoqué, ces 25 dernières années, un accroissement de la prospérité sans précédent dans tous les pays occidentaux, ainsi que dans tous les pays émergents qui se sont intégrés à cette dynamique créée par la mondialisation des échanges.

Aussi, délocaliser la fabrication en Chine, au Mexique, ou ailleurs, revient à maximiser la part que l'entrepreneur français, européen ou américain pourra consacrer aux tâches qui ajoutent le plus de valeur à leur prestation.

Et plutôt que de vouloir utiliser la force législative ou fiscale pour maintenir en France des emplois de production de gamme basse, dont la valeur ajoutée ne justifie plus le maintient dans un pays à forte masse salariale, mieux vaut utiliser une part de la valeur ajoutée dégagée par la délocalisation pour financer la reconversion professionnelle des personnes qui doivent changer de métier.

Empêcher l'internationalisation de la production, c'est pénaliser la création de valeur

Même des processus de fabrication complexes comme ceux de nos automobiles, gagneront de plus en plus à être transférés chez les pays pour l'instant à bas salaire, dans l'UE ou en dehors, tels que la Slovaquie, la Turquie, le Mexique (pour le marché US), ou la Roumanie, et peut être demain la Chine ou l'Inde, afin de permettre aux constructeurs d'améliorer le contenu de leurs automobiles à moindre coût, au bénéfice du consommateur.

Une conséquence évidente s'impose alors : Rendre moins attractive la délocalisation des fabrications en Chine, par exemple en appliquant des droits de douane prohibitifs, revient à empêcher des transactions dont la concrétisation justifie toute une chaîne de création de valeur en partie encore localisée dans nos pays. Empêcher la délocalisation de la production en Chine tue la création de valeur ajoutée hors production en Europe.

Il est donc absolument vital que les entreprises européennes puissent profiter de l'atelier pour l'instant à bas prix que constitue la Chine, pour favoriser cette création d'emplois à haute valeur ajoutée en nombre suffisant pour poursuivre l'élévation globale de notre niveau de vie.

Europe : comment rester un creuset de création de valeur ?
L'enjeu, pour l'Europe, n'est pas de se protéger de la perte des emplois industriels du passé, mais de rester une place dans laquelle il est possible et attractif de créer ces emplois à haut potentiel, éventuellement "néo-industriels", d'ailleurs, ce qui suppose que nous ayons à la fois une main d'oeuvre de qualité, du capital, et une fiscalité qui n'incite pas ce capital humain et financier à aller s'investir ailleurs. Or, dans ce domaine, nous sommes en grand danger.

Si nos universités forment encore une élite de qualité, le niveau général d'éducation des masses, lui, fait peur. Certes, ne dramatisons pas, la France attire encore beaucoup d'investissements de haute qualité.

Mais ces investissements seront-ils pérennes si la situation éducative et fiscale du pays continue de se déteriorer ? Quel avenir s'offrira à ceux que notre école laisse à l'âge adulte sans avoir assimilé les compétences de base du citoyen, sans la moindre capacité de mener à bien un raisonnement logique, sans esprit critique, ou sans être en mesure de lire un document un peu complexe ? Et si notre élite, mobile, trouve plus rémunérateur de s'employer massivement ailleurs, qui créera des emplois pour les déshérités du système éducatif ?

Car ne nous y trompons pas. La Chine, l'Inde, le Brésil, etc... grâce aux revenus générés par ces fabrications destinées initialement à l'occident riche, développent de fait une classe de cadres intermédiaires et supérieurs qui leurs permettront à terme de ne plus être que les simples réservoirs de cols bleus de l'occident. Leurs entreprises emmagasineront le savoir faire qui leur permettra d'investir les créneaux à forte valeur ajoutée dans lesquels ils se situent encore en retrait. Leurs systèmes éducatifs se modernisent à grande vitesse. De copieurs et sous-traitants, ils deviendront concurrents de plein exercice, et encore l'emploi du futur est-il ici abusif, cette évolution ayant déjà commencé.

Si nous ne corrigeons pas le tir, le déclin de notre système éducatif et notre fiscalité punitive de la prise de risque pourraient, dès le second tiers du présent siècle, cantonner un pays comme la France au rôle de pourvoyeur de cols bleus mal payés pour le compte de décideurs des pays émergés...

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Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org).
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