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On dit parfois que l’argent ne
fait pas le bonheur, mais l’argent n’est pas la richesse.
Pourtant, c’est la confusion majeure de notre époque
pétri d’illusion monétaire. L’argent est le moyen
de la richesse, l’expression de celle-ci mais non sa cause. Il existe
des phénomènes qui sont établis au niveau
microéconomique mais dont la pertinence disparaît au niveau
macroéconomique. C’est le cas de l’équation argent
= richesse. Illustrons cette proposition.
L’argent et la richesse
Que fait le gagnant du loto qui apprend qu'il vient de remporter le jackpot?
Il cesse immédiatement de travailler puisqu’il est devenu riche.
Ce comportement est rationnel puisque le loto est une sorte de système
de répartition. L’heureux élu empoche en fait la mise des
millions de perdants malchanceux tandis que l’État encaisse au passage
sa commission puisqu’il détient le monopole du jeu. À
aucun moment, il n’y a de création artificielle d’argent,
donc le gagnant est réellement riche. Il y a eu redistribution (ou re-répartition) de l’argent des millions de
perdants au profit de la poche de l’unique gagnant.
Imaginons maintenant
que le gouvernement décide d’imprimer des milliards
d’euros pour les distribuer à l’ensemble de la population
comme si nous devenions tous les gagnants d’un super loto. Confondant
l’argent avec la richesse, le gouvernement décide de nous distribuer
des millions d’euros pour éradiquer la misère et les
inégalités. Qui ne voterait pas pour un tel gouvernement? Mais
les lois de l’économie ne sont pas soumises à la loi de
la majorité.
Nous croyant riches,
nous décidons tous d’arrêter de travailler. Pourquoi
travailler quand on est millionnaire? Et nous nous rendons dans les magasins
pour dépenser notre bonne fortune. Mais voilà, les magasins
sont fermés. Les vendeurs et commerçants aussi sont devenus
millionnaires. Pourquoi travailler pour un salaire de vendeur? Pourquoi
dorénavant supporter la tyrannie des clients? Évidemment, le
médecin, le boulanger, le fonctionnaire, le garagiste tiennent tous le
même raisonnement car la dictature du marché est universelle. Et
tous de célébrer la fin du travail.
Du coup, la machine
à fournir des biens et services – la seule vraie richesse
– est arrêtée. Avec effroi, les gens découvrent
rapidement que l’horrible machine économique est en panne. Les
biens et services deviennent rapidement introuvables. Les magasins sont
pillés et la baguette de pain se négocie quelques millions
d’euros sur le marché noir comme au temps maudit de
l’hyperinflation allemande.
Les gens
réalisent peu à peu qu’ils sont millionnaires mais
pauvres: car si personne ne travaille, la misère et le rationnement se
généralisent et l’argent perd toute sa valeur.
Produire de
l’argent et inonder l’économie de liquidités
(planche à billets) est le plus sûr moyen de détruire
l’économie. Produire des richesses (l’activité
humaine) est le seul moyen de faire tourner et prospérer
l’économie. Pour produire des richesses, il faut cependant
accumuler et entretenir un capital (humain et technologique). C’est une
contrainte inévitable et un effort permanent. Telle est
l’essence de l’économie qualifiée de capitaliste
comme si les deux termes n’étaient pas redondants.
La vague anticapitaliste
Mais la crise est passée par là. La crise économique est
cependant un alibi commode pour ressortir les vieilles lunes
anticapitalistes. Les médias nous parlaient déjà de la
crise dans les années 1970. À cette époque, le
président Giscard D’Estaing entrevoyait le « bout du
tunnel » tandis que la gauche se proposait de « changer
la vie ». François Mitterrand a rassemblé la gauche
pour conquérir le pouvoir en 1981. Mais durant les années 1980,
le refrain de la crise n’a jamais cessé ce qui a donné
lieu à une succession d’alternances et de cohabitations qui ont
mis en échec les tentatives de réformes profondes. Sur fond de
crise permanente, les Français ont aussitôt chassé du
pouvoir ceux qu’ils avaient élus avec enthousiasme.
À chaque fois,
c’est donc le même constat d’échec, c’est la
même déception. À vouloir tout confier à
l’État, nous avons sans doute poussé les hommes et femmes
politiques en dehors de leur domaine de compétence. Peut-on changer
l’économie? Qu’entend-on réellement par changer
l’économie? En tout état de cause, on a moins de chance
d’améliorer l’économie si l’on se refuse
à en comprendre les mécanismes profonds, ce qui revient
à plonger au coeur de la nature humaine
elle-même. Et dans un pays où l’on se complaît
à s’enliser dans des discussions éternelles qui
n’ont pas d’issues pratiques, il faudra bien admettre un jour que
tout n’est pas politique.
N’y a-t-il pas
en effet un vice de forme à vouloir élire nos dirigeants sur
des programmes et sur des objectifs économiques? N’y a-t-il pas
un problème de fond à faire des sondages d’opinion sur
des programmes et des objectifs économiques? La majorité des
Français aimeraient toucher un salaire sans avoir à travailler
et la majorité des étudiants aimeraient obtenir un
diplôme sans avoir à passer des examens. Est-ce pour autant
raisonnable, réaliste et réalisable? Tout le monde
s’accorde à vilipender le libéralisme, mais c’est
pourtant à ceux qui ont l’intention d’intervenir dans
l’économie qu’il revient de démontrer la justesse
de leur raisonnement et l’efficacité de leurs actions.
C’est normalement celui qui accuse qui doit fournir la preuve. La
question n’est pas anodine car l’économie n’est
seulement une question d’opinion: les lois de l’économie
ne se décident dans aucun parlement et ne peuvent se plier sous le
poids d’aucune majorité.
Pourtant l’anticapitalisme progresse sur cette méconnaissance
arrogante de notre condition économique, elle-même
profondément liée à l’insupportable condition humaine.
La montée de l’anticapitalisme en France a de quoi laisser
perplexe. C’est à croire que la gauche n’a jamais
été au pouvoir. Si un projet anticapitaliste était
possible, il existerait déjà car le capitalisme ne date pas
d’aujourd’hui et son effondrement imminent est annoncé
depuis que le capitalisme existe. Tous les pays qui ont tenté une
expérience anticapitaliste l’ont payé au prix fort.
Certes, le chômage est un mal terrible qu’il nous faut combattre;
mais non seulement le chômage n’existait pas dans les pays
communistes, mais de surcroit, il était interdit. Dans les pays
communistes, on travaille toujours pour l’État et pour la
Révolution, jamais pour soi (car l’individualisme est
condamné). Ne pas travailler était donc considéré
comme un crime contre l’État, comme une attitude
réactionnaire et antirévolutionnaire: il n’y avait donc
pas de chômage dans les pays anticapitalistes, il y avait des camps de
travail.
Il ne s’agit
aucunement de nier l’importance des problèmes de
l’économie de marché mais ils sont d’une autre
nature que les solutions totalitaires mises en oeuvre
par les pays qui condamnent le marché. Aucun pays ne prospère
sur les ruines de l’économie capitaliste.
D’ailleurs,
l’expression « économie capitaliste » est
un pléonasme car le moteur de l’évolution
économique est fondé sur l’accumulation du capital, ce
qui est la définition technique du capitalisme. Il faut donc
être clair avec ses idées quand on mène un combat
politique en cessant de mentir aux gens. Le discours anticapitaliste se
nourrit chez nous de la haine viscérale qu’inspirent le
libéralisme et toutes ses déclinaisons. Pourtant, quelle est
cette alternative? Que nous propose-t-on pour sortir de l’enfer
capitaliste? Pour le savoir, il faut remonter aux écrits de Marx car
les idées ne sont pas nouvelles et n’ont jamais
été renouvelées. Tous ceux qui se réclament de
l’anticapitalisme se réfèrent implicitement ou
explicitement au marxisme.
Pour sortir du
capitalisme, il faut collectiviser les moyens de production, supprimer la
propriété privée (et donc la liberté dont elle
est le support) et sortir de la démocratie pour confier le pouvoir
à un parti unique (animé par une pensée unique) qui mettra
en oeuvre une dictature – la dictature du
prolétariat – seul instrument pour concrétiser le projet
anticapitaliste. Tant que les discours et les concepts ne seront pas
clarifiés, nous serons perpétuellement en campagne avec le
risque de réinventer indéfiniment le fil à couper le
beurre.
La campagne
perpétuelle
Car la France est perpétuellement en campagne électorale et les
Français sont perpétuellement engagés ou
empêtrés dans les conflits sociaux. Sur les plateaux de télévision,
on se plaît à discuter de l’imminence d’une
révolution et à imaginer le monde post-capitaliste. Au lieu de
laisser les gouvernements en place agir et gouverner comme s’ils
s’étaient retrouvés au pouvoir par le fait du hasard, de
la chance ou de la force brute, les Français regrettent les anciens
gouvernants (alors qu’ils les détestaient quand ils
étaient en fonction) ou se prêtent à rêver
d’un homme – ou d’une femme – providentiel subitement
révélé à la prochaine échéance. De
son côté, au lieu de laisser librement les Français
travailler, entreprendre, étudier selon leurs besoins ou leurs
objectifs, le gouvernement légifère, réglemente, taxe,
empêche puis aide, soutien, encourage ou protège…
Quand un fumeur
prétend qu’il arrêtera de fumer demain, c’est
qu’il n’arrêtera jamais. Notre pays a tellement
reporté des réformes que d’autres pays ont
affrontées dès les années 1980 que l’on est en
droit de se demander si elles se feront un jour. Et à force de ne pas
faire les choses en leur temps, on prend aussi le risque de faire tout
à la va-vite, dans la précipitation et l’incompréhension
générale. Peut-on sérieusement penser que le
gouvernement actuel a décidé de détruire le meilleur
système d’enseignement supérieur au monde? Tout le monde
s’accorde à observer la catastrophe en cours dans
l’éducation nationale et l’université qui se
produit depuis des décennies sous l’effet de la massification de
l’enseignement et du dogme égalitaire – qui est tout sauf
équitable – imposé par la gauche depuis 1968. Et il ne
faudrait rien faire au nom du sacro-saint statu quo, de la dictature du
consensus qui aboutit à l’immobilisme, et donc au déclin
français dans un monde en perpétuelle évolution. Et
l’on peut faire le même constat dans le système de
santé, dans la police ou l’administration en
général.
Mais si les
responsables politiques ne font rien, on leur reprochera leur
passivité. Après tout les
fonctionnaires sont aux ordres des ministres et non l’inverse; mais
s’ils agissent et quand ils agissent, alors c’est la coalition
des mécontents qui s’agite en criant à la conspiration
bruxelloise ou au complot mondialiste. Peut-on toujours incriminer la classe
politique, ce qui semble être le sport préféré de
ceux qui ont le monopole de la parole médiatique, et en particulier de
ceux qui se pensent intelligents? Le fonctionnement de la démocratie
implique l’existence de partis politiques. C’est incontournable.
Si on exècre à ce point les responsables politiques, alors il
faut vivre dans une dictature gouvernée par des militaires, des
technocrates ou un superordinateur. Ou alors il faut installer des
régimes communistes qui ne tolèrent aucun débat.
Ne croyez pas
cependant que je voue une dévotion subite et aveugle au personnel
politique français pétri dans l’ensemble
d’étatisme et de dirigisme. Mais je crois (sans m’en
réjouir) à la loi du marché et celle-ci fonctionne aussi
dans le monde politique quoi qu’en pensent ses pourfendeurs. Comme la
plupart des gens sont demandeurs de toujours plus de droits, plus de revenus
et moins de contraintes, moins de devoirs et moins d’efforts, alors les
hommes et femmes politiques développeront des discours politiques
toujours plus démagogiques – façonnés à
l’audimat des bons sentiments – pour coller au mieux à la
demande de la majorité des électeurs en tentant de rassembler
les éternels mécontents. Comme les gens n’aiment pas
entendre le discours libéral (qu’ils connaissent à
peine), les rares hommes politiques qui ont osés afficher leur
sensibilité libérale ont été exclus du
marché politique français. Et c’est ainsi que les
Français se retrouvent face à une classe politique qu’ils
ont contribué à façonner et qu’ils exècrent
dans le même temps. Ils plébiscitent la
« malbouffe » pour la vilipender ensuite.
Il convient donc sans
doute de retrouver le sens profond de termes comme « république »,
« citoyen »,
« démocratie »,
« nation », « peuple » ou
« État ». Car au nom d’une conception
dévoyée de la démocratie et de la
« solidarité citoyenne », on se dirige vers une
société peuplée d’individus totalement asservis
à un État qui leur proposera un « contrat
social » funeste: en échange de sa providentielle
protection, nous devrons lui accorder un jour notre plus totale soumission.
C’est ainsi que
les peuples s’enchaînent eux-mêmes et se condamnent dans le
même temps tout en célébrant leur propre abdication.
Jean Louis Caccomo
Chroniques
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