Chacun
a le nez sur sa crise. Les Européens d’un côté, les
Américains de l’autre, sans omettre les Japonais. Au-delà
des frontières de ce monde qualifié d’Occidental, les
pays émergents subissent le contre coup de la crise des autres.
Au
nombre de toutes les illusions qui sont propagées – elles ne
manquent pas – celle qui veut croire que chacun aurait dans son petit
coin la solution à ses propres problèmes est une des plus
répandues et des plus fausses. Les crises régionales ne sont
certes pas identiques, leurs contextes étant différents, mais
elles sont de même origine. Elles appellent donc une réponse
d’ensemble, que l’on est loin d’entendre souvent
formulée.
La
prochaine nomination d’un nouveau directeur général du
FMI illustre on ne peut plus crûment le fait que les vrais enjeux ne
sont pas publiquement débattus. L’attention se porte sur la
nationalité des candidats, mais pas sur leurs intentions, sur
l’orientation qu’ils proposent pour le FMI. Tout au plus
parle-t-on de sa gouvernance.
Le
risque est grand que ce qui avait été entamé ne soit
remis en cause, ou au moins retardé. Sans le clamer sur les toits, le
FMI se positionnait discrètement afin de devenir l’artisan
d’un nouvel ordre monétaire, une sorte de banque centrale
mondiale en mesure de régler le problème qui ravage toute
l’économie occidentale : la dette, dont on ne sait plus
comment se débarrasser et que l’on voudrait recommencer à
produire. Tout confondue, elle est l’addition de la dette «
publique » avec la « privée », si la distinction a
un sens, car on a vu comment les vases étaient communicants –
à sens unique – quand cela s’est
révélé indispensable à la survie du
système.
L’émergence
d’un nouvel ordre monétaire sanctionnant la fin du rôle
prédominant du dollar et l’arrivée d’un cocktail
de devises incluant au moins le yuan chinois et l’euro est une longue
voie sinueuse qui s’est finalement imposée, tout en étant
repoussée. Moins clair est le savant mécanisme permettant de
tirer un trait sur la montagne de dette que ce même système a
produit et qui n’est définitivement plus remboursable. Plus
limité au modeste – quoique conséquent – niveau du
marché immobilier américain, mais à
l’échelle de l’ensemble des grands acteurs privés
et publics qui interviennent sur ce que l’on a coutume d’appeler les
marchés mondiaux.
Comment
faire ? Les questions sont posées, mais restent en l’air. A
croire que les réponses ne sont pas pour nous, si tant est
qu’elles existent. Car elles imposent des remises en cause que rien
dans l’attitude de ces acteurs ne permet de croire qu’ils sont
prédisposés à commencer de les concevoir.
Les
Européens cafouillent lamentablement à propos de la
Grèce, pris au piège de leurs contradictions et de leur
détermination à éluder la nature de leur
problème. Ils vont rouler la dette et presser le citron, que
peuvent-ils inventer d’autre ? Les Américains ne
préparent pas mieux, face aux échéances de
déplafonnement de leur dette publique et de la prochaine
élection présidentielle. Car si les impasses s’expriment
au plan financier, leurs conséquences sont autant de gouffres qui dans
tous les domaines pourraient s’ouvrir sous leurs pieds.
Une
période s’achève, cruellement pour certains. Beaucoup
moins pour d’autres qui ont encore l’illusion – une de plus
– qu’ils vont élégamment s’en tirer,
protégés par leur matelas et ce qu’il leur permet
d’acheter, y compris les consciences. La croissance et la richesse
à crédit reposaient sur le bon fonctionnement d’un
mécanisme qui ne va pas pouvoir être remis en marche. Il ne se
profile plus comme choix possible que de redistribuer – mot honni
– la richesse disponible ou de la défendre, non sans violence si
nécessaire, abrité derrière les murs de toute nature des
citadelles d’aujourd’hui.
De
leur côté, crédités de scores
inégalés de croissance masquant les déséquilibres
de leurs sociétés, les pays émergents ne sont pas au
mieux, déstabilisés par les effets de la crise occidentale. Les
hausses de l’énergie et des produits alimentaires
suscitées par la spéculation financière ainsi que
l’afflux des capitaux se dirigeant vers les zones à plus fort
taux d’intérêt contribuent à générer
une forte inflation. Le modèle de développement mondialiste
qui a été emprunté crée de fortes distorsions.
Telle
qu’elle a été pratiquée, la mondialisation
est en passe d’atteindre ses limites, il faut la reconfigurer pour
continuer. Mais l’idée poursuivie par les milieux financiers
occidentaux, selon laquelle ils allaient pouvoir exercer leurs talents sur
ces nouveaux terrains de jeu – et réutiliser les recettes qui
leur ont si bien réussi – rencontre des obstacles
imprévus. Ils ne sont pas encore les sauveurs qu’ils croyaient
pouvoir naturellement être, il va leur falloir inventer des
stratagèmes pour pénétrer les places. Comme Monsanto
avec ses OGM.
Le
monde entier se tient par la barbichette. Si le sujet n’était
pas aussi décisif pour la vie de centaines de millions de personnes,
c’est sur ce mode plaisant que pourrait être
résumée la situation. Dans ce domaine également, un
grand écart s’impose pour appréhender les contours de ce
que pourrait et devrait être une autre mondialisation. Pour ne
pas en laisser le privilège à ceux qui n’ont su en
impulser qu’une version mercantile et lui en substituer une autre qui
reposerait sur une autre logique.
Oxfam
vient de tirer une nouvelle fois la sonnette d’alarme en avertissant
que nombre des neuf milliards d’habitants du monde de 2050 est promis
à souffrir de la faim si le modèle qui s’est
imposé de production agricole n’est pas changé.
« Le système alimentaire ploie sous l’intense
pression du changement climatique, de la dégradation
écologique, de la croissance démographique, de la hausse des
prix de l’énergie, de l’augmentation de la demande de
viande et de produits laitiers, de la concurrence pour l’obtention de
terres pour produire des biocarburants, de l’industrialisation et de
l’urbanisation ».
Selon
Oxfam, des investissements plus importants sont nécessaires dans
l’agriculture paysanne et familiale, la valorisation des ressources
naturelles, un meilleur accès aux marchés pour les petits
exploitants, la lutte contre le gaspillage – notamment de l’eau
– et l’arrêt des subventions à la production des
bio-carburants, la fin de la domination du marché des semences et des matières
premières agricoles par quelques compagnies multinationales.
La
gauche parle de réforme et la droite de rupture, deux lunes qui ne
font plus le poids. Des logiques irréductibles ont commencé
à s’affronter autrement qu’en paroles. De Madison à
Athènes, du Caire à Madrid, jusqu’où portera
l’indignation qui s’exprime par bouffées ?
C’est une bonne question, mais il n’y a pas d’autre moyen
d’y répondre qu’en y contribuant..
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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