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Florin
Aftalion, professeur émérite à l’Essec, a fondé dans les années 1980, avec
Georges Gallais-Hamonno, et dirigé la célèbre collection « Libre
échange » aux Presses universitaires de France (PUF) qui permit,
notamment, de découvrir Mises et Hayek en français. Il vient de publier Le
salaire minimum.
Dans cet
opuscule, le professeur Aftalion s’attache d’abord à présenter le salaire
minimum dans le monde. L’on apprend ainsi que c’est en 1896, en
Nouvelle-Zélande, que la première version du salaire minimum a vu le jour. Un
exemple suivi quelques années plus tard par des États fédérés australiens,
puis par le Royaume-Uni.
La France
adopta un « salaire minimum vital » en 1941 avec la Charte du
travail, promulguée par le régime de Vichy. Le modèle inspira, après la
Libération, le gouvernement de Georges Bidault qui, en 1950, créa le Smig (Salaire
minimum national interprofessionnel garanti). Un Smig qui deviendra Smic
(Salaire minimum interprofessionnel de croissance) en 1970. Florin Aftalion
s’attarde sur le cas de la France, notamment en décrivant la situation
ubuesque créée par Martine Aubry. Les 35 heures engendrèrent, en effet, six
taux horaires différents de Smic.
L’auteur
passe en revue d’autres pays, tels les États-Unis qui connaissent un salaire
minimum fédéral, mais aussi des salaires minima au niveau des États fédérés
et même des villes. Le Royaume-Uni est également étudié, tout comme
l’Allemagne qui appliquera un salaire minimum horaire national à partir du 1er
janvier 2015.
La Suisse
n’est pas oubliée, qui a rejeté par 76,3 % des voix en mai 2014, la mise
en place d’un salaire minimum national de 3 300 francs suisses par mois
(soit environ 18 euros de l’heure). « S’il avait été accepté, dit
Aftalion, ce salaire minimum aurait été le plus élevé au monde ».
Puis,
Florin Aftalion aborde la question du salaire minimum réduit, appelé plus
trivialement « Smic jeunes ». Devant l’importance du chômage des
jeunes non qualifiés, plusieurs pays ont adopté un salaire minimum réduit
pour les jeunes sans expérience et sans formation.
Aux
Pays-Bas, il existe un salaire minimum destiné aux jeunes de 15 à 24 ans
depuis 1974. Modulé en fonction de l’âge, il est compris entre 30 % et
85 % du salaire minimum adulte. Ce taux réduit semble efficace puisque
le chômage des jeunes aux Pays-Bas est relativement faible : 11,3 %
en mars 2014, contre 20 % en moyenne dans l’Union européenne et
23,4 % en France.
Car, bien
entendu, il n’est pas question d’instaurer un tel « Smic au
rabais » en France. Les gouvernements ont cependant cherché des moyens
pour réduire le coût salarial des jeunes. En 1994, la loi sur le contrat
d’insertion professionnelle (CIP) fait descendre dans la rue des centaines de
milliers de lycéens, d’étudiants, de syndicalistes, de gauchistes et de
socialistes. En 2006, les mêmes battent à nouveau le pavé contre le contrat
première embauche (CPE). En avril 2014, c’est le patron des patrons, Pierre
Gattaz, qui a proposé un « Smic jeunes transitoire » qui souleva
immédiatement un tollé.
Pourtant,
comme le rappelle le professeur Aftalion, plus de deux millions de jeunes travaillent
déjà pour un salaire inférieur au Smic dans le cadre des contrats en
alternance, des emplois d’avenir et des stages. Les contrats de génération,
créés en 2013, en subventionnant les entreprises qui embauchent un jeune de
moins de 26 ans tout en maintenant dans l’emploi un salarié âgé de plus de 57
ans, contribuent également à réduire le coût de la main d’œuvre.
L’auteur
insiste sur un point : « Le fait que des gouvernements de gauche
comme de droite aient institué des baisses des charges sur les plus bas
salaires (en plus de l’institution de contrats comme les contrats en
alternance ou les emplois d’avenir) montre bien que, sur l’ensemble de
l’échiquier politique, on considère qu’un coût du travail élevé par rapport à
la productivité de ses bénéficiaires est bien un facteur de chômage ».
Après un
chapitre sur le salaire vital (living wage), Florin Aftalion s’attaque
aux justifications théoriques et empiriques du salaire minimum. Il présente
et analyse des résultats de recherche, laissant de côté les argumentaires
idéologiques, dans un souci de compréhension des effets réels du salaire
minimum.
À la fin de
l’ouvrage, le professeur Aftalion se demande si le salaire minimum réduit
l’emploi et plus particulièrement l’emploi des jeunes. Et, à la suite de
Neumark et Washer qui ont analysé plus de cent études sur le sujet publiées
depuis 1990, il conclue par l’affirmative. Néanmoins, il reconnaît que les
résultats de nombreux travaux, conduits depuis une vingtaine d’années,
arrivent à la conclusion inverse. Des travaux, pour la plupart américains,
qui rejettent « quantité d’informations pertinentes », qui opèrent
« un choix erroné des variables de contrôle », ou encore qui
« limitent l’observation des effets des hausses du salaire minimum à des
périodes trop courtes pour que les réactions des firmes soient entièrement
observées ».
Si la
controverse perdure en ce qui concerne les effets de faibles hausses du
salaire minimum, Aftalion observe qu’il « semble unanimement admis que
[des] variations importantes du salaire minimum auraient un effet négatif sur
l’emploi ». Même Thomas Piketty est d’accord avec cette affirmation. Or,
en France, « le niveau actuel du Smic […], à la suite d’une longue série
d’augmentation automatiques accompagnées de ‘coups de pouce’, correspond à ce
qu’aurait pu être le résultat d’une seule et forte valorisation ».
Mais
comment réformer le Smic en France ? Florin Aftalion pense que
l’application aveugle d’un Smic élevé – 60 % du salaire médian français
– à tous les secteurs devrait être remise en cause. Par exemple, un salaire
minimum réduit dans le secteur de la restauration « ouvrirait sans doute
les portes de l’emploi à de très nombreux jeunes sans formation ».
C’est ainsi
qu’il propose soit des « salaires minimums négociés par branche »,
soit un « Smic-jeunes pour l’ensemble des employés ». Le succès de
la mesure aux Pays-Bas devrait convaincre qu’il s’agit d’une avancée sociale
« permettant à des centaines de milliers de jeunes d’apprendre un métier
et de commencer une carrière professionnelle ».
Autre
proposition, empruntée à The Economist du 13 décembre 2013 : les
ajustements du Smic ne doivent pas être décidés par les instances politiques
« trop facilement tentées par des raisons électoralistes, mais par des
spécialistes indépendants ou par le jeu de règles automatiques ». Bref,
c’est l’arrêt des fameux « coups de pouce ». Une bonne idée, mais
difficilement applicable en France à mon sens. En effet, depuis 2004, le taux
du livret A est issu d’une formule de calcul. Mais le gouvernement ayant
toujours le dernier mot, il n’applique pas la formule pour des raisons
politiciennes.
En tout cas
voilà des mesures efficaces contre le chômage, en particulier des jeunes. Qui
osera s’en emparer ?
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