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Le scénario de leur horreur

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Published : May 25th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

L’un des artisans les plus déterminés de l’opacité bancaire à la française, le gouverneur de la Banque de France Christian Noyer, vient à son tour de lancer un terrible cri d’alarme. La perspective d’une restructuration de la dette grecque entraînant l’effondrement des banques grecques et de l’économie du pays serait selon lui « le scénario de l’horreur ». L’amenant à également écarter la solution d’un rééchelonnement, car « posant des problèmes juridiques très compliqués » dont nous ne saurons rien de plus, vu le risque qu’il soit assimilé à une restructuration.


Il fait donc sienne la détermination affichée de plusieurs hauts responsables de la BCE de cesser toute aide aux banques grecques en cas de restructuration. Une menace qu’il oublie de mentionner et que Jean-Claude Trichet, qui fait pour l’instant donner ses lieutenants, n’a pas encore avalisée. Impliquant de céder ou de jouer à la roulette russe : « la BCE ira-t-elle jusqu’au bout » ?


Herman Van Rompuy, le président de l’Union européenne, n’est pas moins catégorique, tout en l’exprimant selon son tempérament : « les risques de telles opérations sont grands par rapports aux avantages potentiels ».


Der Spiegel vient de lever un coin du voile sur la nature de ces risques, qui ne se limitent pas à de seuls dommages atteignant la Grèce, comme on peut s’en douter. L’Eurosystème, qui regroupe la BCE et l’ensemble des banques centrales de l’Union européenne, a en effet engrangé 480 milliards d’euros d’actifs mis en pension comme collatéraux. Peu d’informations sont disponibles à ce propos, mais le magazine allemand affirme que ces actifs ont été pour une part indéterminée surévalués à cette occasion, et que le risque qui y est attaché est insuffisamment provisionné. Il donne l’exemple des actifs mis en gage par Depfa, le propriétaire d’HRE en grande difficulté.


On comprend mieux, dans ces conditions, que de nombreuses banques européennes puissent affecter la sérénité à propos d’une décote de la dette souveraine grecque : elles se sont largement dessaisies de leurs actifs risqués – dont la dette grecque – et c’est la BCE qui joue les bad bank sans le dire. Ce qui explique aussi que ces dernières aient rencontré aussi peu d’intérêt, car elles étaient inutiles dans ces conditions.


La BCE est donc dans une position moins confortable qu’elle ne peut l’admettre, prise entre un besoin de recapitalisation résultant d’une restructuration de la dette grecque et le refus des États d’en financer le roulement. Il ne lui reste plus comme choix que de faire supporter tout le fardeau à la Grèce, ce à quoi elle s’emploie avec acharnement.


Comment pourrait-elle en effet assumer publiquement que ce qu’elle a avalisé pour les banques n’est pas admissible pour un État ? Que la tolérance est pour les uns, l’intransigeance pour les autres ? Il ne s’agit plus de son statut et de ce qu’il lui interdit.


Mais ceci était déjà connu. Une seconde leçon à la portée tout aussi désastreuse peut être tirée de la situation d’impasse actuelle (il y a des mots qui reviennent souvent ces temps-ci). L’addition des efforts de la BCE et des États n’est pas suffisante pour régler la note de la crise financière. Faut-il être capable de tirer toutes les conséquences de cette dérangeante constatation.


Le reconnaître n’étant pas pensable, on ne peut que poursuivre l’application d’une stratégie qui a déjà failli et que l’on tentera, au dernier moment, de sauver une fois encore par des mesures destinées à gagner un peu de temps.


Est-ce que cela signifie pour autant que les banques s’en sortent, puisqu’elles sont si bien protégées ? Les ministres des finances de 7 pays de l’Union européenne, dont la Grande-Bretagne, l’Espagne, la Suède et la Slovaquie, viennent d’écrire à la Commission et n’en semblent pas si convaincus. Ils manifestent leur crainte commune que les règles de Bâle III auxquelles les banques vont être assujetties ne soient « diluées » avant même de devoir être appliquées. Coup de pied de l’âne pour les banques des autres pays, cette lettre illustre à merveille les tensions qui parcourent ce petit monde et qui parfois émergent.


« Nous avons dit très clairement que nous refléterions le niveau d’ambition de Bâle et l’équilibre général qui y a été trouvé » a rétorqué en pesant soigneusement ses mots pour ne pas s’enfermer Chantal Hugues, porte-parole de Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services financiers. La Commission prépare en effet pour juillet une révision de sa directive sur les fonds propres.


Les agences ne contribuent pas à calmer les esprits, en continuant de distribuer des mauvaises notes, et pas seulement aux États. Dernières en date après les grecques, quatre banques italiennes viennent d’en faire les frais, Standard & Poor’s ayant baissé à « négative » la perspective de leur note. L’explication donnée est instructive : « nous dégraderons la note de ces banques en cas d’abaissement de la note souveraine de l’Italie, compte tenu que ces banques sont principalement actives sur le marché interne. » On ne peut mieux expliquer comment le sort des États et des banques sont étroitement liés, dette publique et dette privée inextricablement liées.


En Grèce, les experts de la Troïka jouent les prolongations en prolongeant d’une semaine leur mission dont l’objet initial était le déblocage d’une tranche de 12 milliards d’euros des prêts de l’Union européenne et du FMI, sans laquelle le pays sera immédiatement en situation de banqueroute. Il s’agit en réalité de gagner du temps et de ne pas polluer le G8 de cette fin de semaine avec ce dossier, et de permettre à Angela Merkel de tenter de retrouver ses esprits et de rassembler ses troupes.


Christine Lagarde n’a pas ouvert la porte à un compromis, en déclarant au journal autrichien Der Standard : « La Grèce doit fournir des résultats… Nous avons déjà donné à Athènes plus de temps,pour rembourser ses crédits dans la zone euro, c’est déjà une concession… Il est donc légitime que nous attendions que la Grèce fasse sa part du travail ».


Le gouvernement grec s’est donc mis à la tâche et étudie, afin de le présenter début juin au Parlement, un nouveau plan de retour sur le marché comprenant de nouvelles mesures d’austérité et un vaste programme de privatisations de 50 milliards d’euros. Des députés dissidents du PASOK (socialistes) ont ce mardi matin déployé une banderole accrochée aux colonnes du parlement et proclamant : « La Grèce n’est pas à vendre ».


D’autres réactions sont attendues mais celle des marchés n’a pas tardé : le taux grec des obligations à 10 ans dépassait dans la journée d’hier 17 %… Les taux des obligations espagnoles, italiennes, portugaises, irlandaises se tendaient également, le Financial Times reprenant l’image de la cordée d’alpinistes utilisée par un analyste financier pour expliquer comment le sort de tous les pays de la zone euro était lié. Ce qui est désormais craint, c’est la contagion qui résulterait d’un défaut grec sur sa dette, que les marchés considèrent comme inéluctable.


Les dirigeants européens n’y apportent pas de réponse, si ce n’est des incantations renouvelées, dont Herman Van Rompuy est l’un des spécialistes : « De nouvelles mesures ambitieuses et déterminées de la part du gouvernement grec sont la clé… Nous ne laisserons pas l’euro échouer… Il ne faut pas spéculer sur notre détermination ».


Les gouvernements européens sont pris dans leurs contradictions et dans l’incapacité de trouver une stratégie commune de remplacement. On sait ainsi que les Italiens et les Espagnols se sont battus contre tout projet de restructuration de la dette grecque, de peur que la tempête qui s’en suivrait ne les atteigne durement. Plus le temps passe, moins il est aisé de trouver un dénominateur commun.


En haut, on ne peut plus gouverner comme avant, en bas, on manifeste comme on peut et par tous les moyens un rejet qui prend parfois des formes paradoxales. C’est le cas lorsque des gouvernements réputés de gauche sont balayés au profit de l’opposition de droite, dont le programme est pourtant sans équivoque. « Ne nous trahis pas ! » avaient lancé à José Luis Zapatero dans la liesse d’il y a sept ans les jeunes Espagnols. « Personne ne nous représente » est devenu l’un des slogans favoris des indignados sur les places centrales des villes dans toute l’Espagne.


Quel gouvernement européen est-il aujourd’hui assuré de son avenir ? Depuis Silvio Berlusconi en passant par José Luis Zapatero, José Socrates, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy (pour ne pas parler de la Belgique), les principaux chefs d’État et de gouvernement sont en difficulté et sont menacés de ne pas voir renouvelé leur mandat, au cas où ils se représenteraient. Les équipes britannique et irlandaise ont déjà été remplacées. L’instabilité politique qui en résulte, à laquelle s’ajoute la désignation d’un tout nouveau président de la BCE et d’un futur directeur général du FMI, n’aide pas à rassurer les marchés. La raison en est qu’ils ne parviennent plus à jouer le rôle qui leur est assigné, à collectivement formuler une solution à une crise dont ils n’osent plus annoncer la fin et qu’ils ne font qu’approfondir.


Cette crise politique n’est pas de celles qu’un simple changement de majorité, dans un sens ou dans un autre, est capable de régler.



Billet rédigé par François Leclerc



Paul Jorion




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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