L’un
des artisans les plus déterminés de l’opacité
bancaire à la française, le gouverneur de la Banque de France
Christian Noyer, vient à son tour de lancer un terrible cri
d’alarme. La perspective d’une restructuration de la dette grecque
entraînant l’effondrement des banques grecques et de
l’économie du pays serait selon lui « le
scénario de l’horreur ». L’amenant à
également écarter la solution d’un
rééchelonnement, car « posant des problèmes
juridiques très compliqués » dont nous ne saurons
rien de plus, vu le risque qu’il soit assimilé à une
restructuration.
Il
fait donc sienne la détermination affichée de plusieurs hauts
responsables de la BCE de cesser toute aide aux banques grecques en cas de
restructuration. Une menace qu’il oublie de mentionner et que
Jean-Claude Trichet, qui fait pour l’instant donner ses lieutenants,
n’a pas encore avalisée. Impliquant de céder ou de jouer
à la roulette russe : « la BCE ira-t-elle jusqu’au
bout » ?
Herman
Van Rompuy, le président de l’Union
européenne, n’est pas moins catégorique, tout en
l’exprimant selon son tempérament : « les
risques de telles opérations sont grands par rapports aux avantages
potentiels ».
Der
Spiegel vient de lever un coin du voile sur la nature de ces risques, qui ne
se limitent pas à de seuls dommages atteignant la Grèce, comme
on peut s’en douter. L’Eurosystème,
qui regroupe la BCE et l’ensemble des banques centrales de
l’Union européenne, a en effet engrangé 480 milliards
d’euros d’actifs mis en pension comme collatéraux. Peu
d’informations sont disponibles à ce propos, mais le magazine
allemand affirme que ces actifs ont été pour une part
indéterminée surévalués à cette occasion,
et que le risque qui y est attaché est insuffisamment
provisionné. Il donne l’exemple des actifs mis en gage par Depfa, le propriétaire d’HRE en grande
difficulté.
On
comprend mieux, dans ces conditions, que de nombreuses banques
européennes puissent affecter la sérénité
à propos d’une décote de la dette souveraine
grecque : elles se sont largement dessaisies de leurs actifs
risqués – dont la dette grecque – et c’est la BCE
qui joue les bad bank
sans le dire. Ce qui explique aussi que ces dernières aient
rencontré aussi peu d’intérêt, car elles
étaient inutiles dans ces conditions.
La
BCE est donc dans une position moins confortable qu’elle ne peut
l’admettre, prise entre un besoin de recapitalisation résultant
d’une restructuration de la dette grecque et le refus des États
d’en financer le roulement. Il ne lui reste plus comme choix que
de faire supporter tout le fardeau à la Grèce, ce à quoi
elle s’emploie avec acharnement.
Comment
pourrait-elle en effet assumer publiquement que ce qu’elle a
avalisé pour les banques n’est pas admissible pour un
État ? Que la tolérance est pour les uns, l’intransigeance
pour les autres ? Il ne s’agit plus de son statut et de ce
qu’il lui interdit.
Mais
ceci était déjà connu. Une seconde leçon à
la portée tout aussi désastreuse peut être tirée
de la situation d’impasse actuelle (il y a des mots qui reviennent souvent
ces temps-ci). L’addition des efforts de la BCE et des États
n’est pas suffisante pour régler la note de la crise
financière. Faut-il être capable de tirer toutes les
conséquences de cette dérangeante constatation.
Le
reconnaître n’étant pas pensable, on ne peut que
poursuivre l’application d’une stratégie qui a
déjà failli et que l’on tentera, au dernier moment, de
sauver une fois encore par des mesures destinées à gagner un
peu de temps.
Est-ce
que cela signifie pour autant que les banques s’en sortent,
puisqu’elles sont si bien protégées ? Les ministres des
finances de 7 pays de l’Union européenne, dont la
Grande-Bretagne, l’Espagne, la Suède et la Slovaquie, viennent
d’écrire à la Commission et n’en semblent pas si
convaincus. Ils manifestent leur crainte commune que les règles de
Bâle III auxquelles les banques vont être assujetties ne soient
« diluées » avant même de devoir
être appliquées. Coup de pied de l’âne pour les
banques des autres pays, cette lettre illustre à merveille les
tensions qui parcourent ce petit monde et qui parfois émergent.
« Nous
avons dit très clairement que nous refléterions le niveau
d’ambition de Bâle et l’équilibre
général qui y a été trouvé » a
rétorqué en pesant soigneusement ses mots pour ne pas
s’enfermer Chantal Hugues, porte-parole de Michel Barnier, commissaire
européen chargé du marché intérieur et des
services financiers. La Commission prépare en effet pour juillet une
révision de sa directive sur les fonds propres.
Les
agences ne contribuent pas à calmer les esprits, en continuant de
distribuer des mauvaises notes, et pas seulement aux États.
Dernières en date après les grecques, quatre banques italiennes
viennent d’en faire les frais, Standard & Poor’s
ayant baissé à « négative »
la perspective de leur note. L’explication donnée est
instructive : « nous dégraderons la note de ces
banques en cas d’abaissement de la note souveraine de l’Italie,
compte tenu que ces banques sont principalement actives sur le marché
interne. » On ne peut mieux expliquer comment le sort des
États et des banques sont étroitement liés, dette
publique et dette privée inextricablement liées.
En
Grèce, les experts de la Troïka jouent les prolongations en
prolongeant d’une semaine leur mission dont l’objet initial
était le déblocage d’une tranche de 12 milliards
d’euros des prêts de l’Union européenne et du FMI,
sans laquelle le pays sera immédiatement en situation de banqueroute.
Il s’agit en réalité de gagner du temps et de ne pas
polluer le G8 de cette fin de semaine avec ce dossier, et de permettre
à Angela Merkel de tenter de retrouver ses
esprits et de rassembler ses troupes.
Christine
Lagarde n’a pas ouvert la porte à un compromis, en
déclarant au journal autrichien Der Standard : « La
Grèce doit fournir des résultats… Nous avons
déjà donné à Athènes plus de temps,pour rembourser ses
crédits dans la zone euro, c’est déjà une
concession… Il est donc légitime que nous attendions que la
Grèce fasse sa part du travail ».
Le
gouvernement grec s’est donc mis à la tâche et
étudie, afin de le présenter début juin au Parlement, un
nouveau plan de retour sur le marché comprenant de nouvelles mesures
d’austérité et un vaste programme de privatisations de 50
milliards d’euros. Des députés dissidents du PASOK
(socialistes) ont ce mardi matin déployé une banderole
accrochée aux colonnes du parlement et proclamant : « La
Grèce n’est pas à vendre ».
D’autres
réactions sont attendues mais celle des marchés n’a pas
tardé : le taux grec des obligations à 10 ans
dépassait dans la journée d’hier 17 %… Les taux des
obligations espagnoles, italiennes, portugaises, irlandaises se tendaient
également, le Financial Times reprenant l’image de la
cordée d’alpinistes utilisée par un analyste financier
pour expliquer comment le sort de tous les pays de la zone euro était lié.
Ce qui est désormais craint, c’est la contagion qui
résulterait d’un défaut grec sur sa dette, que les
marchés considèrent comme inéluctable.
Les
dirigeants européens n’y apportent pas de réponse, si ce
n’est des incantations renouvelées, dont Herman Van Rompuy est l’un des spécialistes :
« De nouvelles mesures ambitieuses et déterminées de
la part du gouvernement grec sont la clé… Nous ne laisserons pas
l’euro échouer… Il ne faut pas spéculer sur notre
détermination ».
Les
gouvernements européens sont pris dans leurs contradictions et dans
l’incapacité de trouver une stratégie commune de
remplacement. On sait ainsi que les Italiens et les Espagnols se sont battus
contre tout projet de restructuration de la dette grecque, de peur que la
tempête qui s’en suivrait ne les atteigne durement. Plus le temps
passe, moins il est aisé de trouver un dénominateur commun.
En
haut, on ne peut plus gouverner comme avant, en bas, on manifeste comme on
peut et par tous les moyens un rejet qui prend parfois des formes paradoxales.
C’est le cas lorsque des gouvernements réputés de gauche
sont balayés au profit de l’opposition de droite, dont le
programme est pourtant sans équivoque. « Ne nous trahis pas
! » avaient lancé à José Luis Zapatero dans
la liesse d’il y a sept ans les jeunes Espagnols. « Personne
ne nous représente » est devenu l’un des slogans
favoris des indignados sur les places
centrales des villes dans toute l’Espagne.
Quel
gouvernement européen est-il aujourd’hui assuré de son
avenir ? Depuis Silvio Berlusconi en passant par José Luis Zapatero,
José Socrates, Angela Merkel
et Nicolas Sarkozy (pour ne pas parler de la Belgique), les principaux chefs
d’État et de gouvernement sont en difficulté et sont
menacés de ne pas voir renouvelé leur mandat, au cas où
ils se représenteraient. Les équipes britannique et irlandaise
ont déjà été remplacées.
L’instabilité politique qui en résulte, à laquelle
s’ajoute la désignation d’un tout nouveau président
de la BCE et d’un futur directeur général du FMI,
n’aide pas à rassurer les marchés. La raison en
est qu’ils ne parviennent plus à jouer le rôle qui leur
est assigné, à collectivement formuler une solution à
une crise dont ils n’osent plus annoncer la fin et qu’ils ne font
qu’approfondir.
Cette
crise politique n’est pas de celles qu’un simple changement de
majorité, dans un sens ou dans un autre, est capable de régler.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
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