Le
11 mars 2011, un puissant séisme, puis un tsunami dévastateur,
ravageaient des régions entières du Japon, déclenchant
la troisième catastrophe nucléaire de l’histoire
après Three Mile Island et Tchernobyl. Plus
de quatre mois après, la situation n’est toujours pas
stabilisée à Fukushima, en dépit des affirmations
officielles, Tepco, l’opérateur
technique, ayant transformé une usine produisant de
l’électricité en une fabrique d’eau radioactive,
qu’il ne parvient toujours pas à maîtriser.
La
nature de cette catastrophe est différente de Tchernobyl, dont la
réédition était crainte. Après une
première phase aiguë, avec fusion du combustible, percement des
cuves des réacteurs et formation de coriums,
la situation est aujourd’hui chaotique, imposant dans l’urgence
de continuels bricolages, toujours susceptible de rebondissements. Contenue,
la crise est rampante, sans que la longue phase de
démantèlement qui doit suivre puisse être entamée.
Destinée à durer une décennie et plus, elle va imposer d’avancer
dans l’inconnu.
Par
nature, l’activité nucléaire s’inscrit dans une
longue échelle de temps. Elle recèle aussi un immense potentiel
destructif, ces deux caractéristiques impliquant des
responsabilités qui ne peuvent être éludées. Ne
pouvant être banalisée, elle se rappelle de temps en temps
à notre mauvais souvenir.
Fukushima
a fait resurgir une sourde inquiétude et généré
de nouvelles interrogations sur le risque nucléaire civil. C’est
la mesure même de celui-ci qui est désormais en cause. Des responsables
en viennent à dire qu’il faut penser à
l’impensable. Puisque le « zéro risque »
n’existe pas, est-il admissible de le prendre, vu son potentiel
destructeur ? Aucune réponse ne peut être apportée, sauf
des propos apaisants et l’annonce de progrès technologiques,
déjà mis en cause, qui aboutissent à de tels
surcoûts qu’ils alourdissent encore l’équation
économique et financière de l’électro-nucléaire,
déjà suspecte.
En
ces temps de sortie du nucléaire par l’Allemagne et
l’Italie, le Japon est le laboratoire d’une réduction
obligatoire de 15% de la consommation d’électricité
durant l’été, tant des usines que des japonais dans leur
vie de tous les jours. A terme, les industriels craignent une délocalisation
de certaines productions et militent pour la relance des 36 des 54 centrales
stoppées, qui produisent habituellement 30% de
l’électricité.
Les
voies de la propagation de la contamination vont-elles pouvoir être
étudiées dans des conditions de transparence que Tchernobyl
n’a pas permis, dans le contexte de la société
soviétique de l’époque ? Des obstacles et des
résistances se dressent, déjà illustrées par des
campagnes de mesure imparfaites suivant des protocoles accommodants. Le
secret auquel le nucléaire a accoutumé n’a pas disparu
pour autant dans une société démocratique.
Les
polémiques sur de nouvelles évacuations réclamées
se poursuivant, des populations entières ont été
déplacées ou ont le sentiment d’être prises en
otage. La chaîne alimentaire a été touchée,
démontrant qu’il n’est pas possible de mettre toute une
région sous cloche. Pour donner une seule image, 34.000 enfants de la
région de Fukushima vont être équipés en
permanence de dosimètres.
Les
rallonges budgétaires se succèdent. La production a
été atteinte plus que prévu et la dette publique –
200% du PIB – ne va pouvoir qu’enfler.
Les
conséquences ne sont pas uniquement économiques et sociales,
elles sont également politiques. Le débat sur la sortie du
nucléaire a été engagé par le premier ministre
lui-même, sous la pression de l’opinion publique : un sondage
publié il y a un mois dans le Tokyo Shimbun a montré que quatre
japonais sur cinq y sont favorables.
Enfin,
dans toute l’étendue de son influence et des connivences sur
lequel il s’appuie, il a émergé un puissant complexe électro-nucléaire – sur le mode du
complexe militaro-industriel américain – dont on observe avec
quelle force il se bat pour obtenir la relance du parc nucléaire. Sous
couvert de « stress tests », cette mode accommodante habillant les
centrales nucléaires ainsi que les établissements financiers,
un étrange rapprochement pour un procédé dans les deux
cas peu convaincant.
Fukushima,
c’est un zéro pointé.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
|