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1.
Étendue dans l'espace de la communauté socialiste
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La caractéristique de l'ancien socialisme est de prôner le retour à la
production très simple d'autrefois. Son idéal est le village autarcique, ou
tout au plus le district autarcique: une ville avec quelques villages groupés
autour d'elle. Pour les champions de ce socialisme ancien, commerce et
relations commerciales sont plutôt antipathiques; à plus forte raison le
commerce extérieur leur apparaît-il comme quelque chose de nuisible et qu'il
faut supprimer. Le commerce extérieur, disent-ils, apporte dans le pays des
marchandises inutiles, dont on pouvait se passer autrefois. Il est donc prouvé
qu'on n'en a pas besoin; c'est seulement la facilité qu'on eut de se les
procurer qui provoqua cette dépense inutile. Ce commerce extérieur pervertit
les moeurs et traîne avec lui des usages et des conceptions étrangers. Le
cynique et stoïque principe vital de l'autarcie est interprété de bonne heure
par les utopistes comme signifiant: se suffire à soi-même économiquement.
Plutarque vante la Sparte de Lycurgue, idéalisée de manière romanesque, quand
il écrit qu'aucun vaisseau chargé de biens marchands n'entrait dans ses ports(1)
Attachés à cet
idéal de l'autarcie économique et méconnaissant le caractère du commerce et
des relations commerciales, les utopistes perdent de vue le problème de
l'étendue de leur État idéal. Que les frontières de leur pays fabuleux soient
vastes ou restreintes ne joue aucun rôle dans leurs raisonnements. Le plus
petit village offre assez de place pour la réalisation de leurs plans. C'est
ainsi que l'idée se fait jouir de réaliser à titre d'essai l'utopie sur une
petite échelle. Owens fonde New-Harmony à Indiana, Cabet au Texas une petite
Icarie, Considérant également au Texas un phalanstère modèle,
« réduction lilliputienne de la nouvelle Jérusalem », comme il est
dit avec mépris dans le Manifeste Communiste.
Peu à peu, les
socialistes s'aperçurent que l'on ne pouvait prendre comme principe du
socialisme l'autarcie d'un espace restreint. Thompson, un élève Owens, fait
remarquer que l'égalité entre membres d'une commune ne prouve pas que l'on
pourrait mener à bien l'égalité entre membres de différentes communes. Aussi,
suite logique de cette observation, son idéal revêt la forme d'un socialisme
centralisateur. Saint-Simon et son école étaient nettement centralistes(2). Pecqueur disait de ses plans de réformes qu'ils étaient
nationaux et universels(3).
Ainsi se pose au
socialisme un problème particulier. Peut-il y avoir sur cette terre un
socialisme limité dans l'espace, ou bien toute la terre habitée doit-elle
former une communauté socialiste homogène?
2. Le
problème des frontières physiques de la communauté socialiste et le
marxisme
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Pour le marxisme il ne peut y avoir qu'une solution de ce problème: la
solution oecuménique.
Le marxisme part de ce
principe que déjà le capitalisme, par une nécessité interne, a imposé sa
marque au monde entier. Le capitalisme n'est pas limité à un peuple ou à
quelques peuples. Il est au-dessus des nations, il est cosmopolite. « À
la place de l'ancienne simplicité de besoins, à la place de l'isolement local
et national, des relations commerciales se sont établies de toute part,
rendant toutes les nations dépendantes les unes des autres. » Avec les
bas prix de ses marchandises – son arme la plus puissante –, la bourgeoisie
contraint toutes les nations à adopter la manière de produire de la
bourgeoisie, si elles ne veulent pas courir à leur ruine. « La bourgeoisie
force les nations à introduire chez elles la soi-disant civilisation,
c'est-à-dire à s'embourgeoiser. En un mot, elle se crée un monde à son image. »
Et cela est valable non seulement pour la production matérielle, mais aussi
pour la production intellectuelle. « Les produits intellectuels des
diverses nations deviennent un bien commun à toutes. La partialité et la
mesquinerie nationales deviennent de jour en jour plus impossibles, et les
nombreuses littératures locales et nationales finissent par former une
littérature mondiale. »(4)
Il
s'ensuit, d'après la conception matérialiste de l'histoire, que le socialisme
lui aussi n'est pas un phénomène national, mais international. Il représente
une phrase historique de toute l'humanité et non pas d'un seul peuple. La
question de savoir si telle ou telle nation est déjà « mûre » pour
le socialisme n'a même pas besoin, d'après le marxisme, d'être posée. Le
capitalisme rend le monde entier mûr pour le socialisme et non pas seulement
un pays isolé, ou même une industrie isolée. Les expropriateurs, dont
l'expropriation marquera un jour le dernier pas vers la réalisation du
socialisme, l'on ne peut se les représenter autrement que comme de grands
capitalistes, dont les capitaux sont placés dans le monde entier. Pour le
marxiste, les expériences socialistes des utopistes sont aussi stupides que
la proposition, évidemment ironique, qu'avait faite Bismarck d'introduire à
titre d'essai le socialisme dans un des districts polonais de la Prusse(5). Le socialisme est une époque historique que l'on ne
peut fabriquer artificiellement, à titre d'essai réduit, dans une cornue.
Pour le marxisme, le problème de l'autarcie d'une communauté socialiste ne
peut même pas se poser. La seule communauté socialiste qu'il puisse envisager
embrasse toute l'humanité et tout l'univers. La direction économique est
unique pour le monde entier.
Les marxistes d'une
époque plus récente ont reconnu, il est vrai, que tout au moins pour un temps
il fallait envisager l'existence juxtaposée de plusieurs communautés
socialistes indépendantes(6). Si l'on accorde cela,
il faut aller jusqu'au bout et considérer le cas où une ou plusieurs communautés
socialistes existeraient au milieu d'un monde reposant à peu près partout sur
une base capitaliste.
3. Le
libéralisme et le problème des frontières
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Lorsque Marx et à sa suite la plupart des écrivains socialistes modernes, se
représentent la réalisation du socialisme exclusivement sous la forme d'un
État socialiste mondial et homogène, ils oublient que de puissantes forces
s'opposent à cette génération oecuménique.
D'où provient cette
légèreté qui escamote simplement ces problèmes? Nous ne croyons pas nous
tromper en disant qu'elle est la conséquence d'opinions régnant à l'époque de
la formation du marxisme sur la contexture politique future du monde,
opinions dont rien ne justifiait l'emprunt, ainsi que nous le montrerons plus
tard. À cette époque, la doctrine libérale se croyait fondée à considérer
tous les particularismes régionaux ou étatiques comme la survivance d'un
atavisme politique. Le libéralisme avait exposé, d'une manière irréfutable
pour tous les temps, sa doctrine sur les effets du protectionnisme et du
libre-échange. Il avait montré que tout ce qui entrave les échanges
commerciaux tourne au détriment de tous ceux qui y sont intéressés. Il
s'était employé avec succès à réduire les fonctions de l'État ne se pose pas.
Pour lui, l'État n'a d'autre mission que de protéger la vie et la propriété
des citoyens contre les assassins et les voleurs. Il est donc de peu
d'importance pour le libéralisme que tel ou tel pays fasse ou non partie de
« chez nous ». Que l'État s'étende plus ou moins dans l'espace
semble indifférent à une époque qui abolit les barrières douanières et qui
cherche à uniformiser les systèmes juridiques et administratifs des
différents États. Vers le milieu du XIXe siècle pour les libéraux les plus optimistes
l'idée d'une société des nations, d'un véritable État mondial pouvait sembler
réalisable dans un avenir assez proche.
En ce temps-là, les
libéraux n'avaient pas assez prêté attention au plus grand obstacle qui
s'opposait au développement du libre-échange mondial: le problème national.
Les socialistes, eux, ne s'aperçoivent pas du tout que pour la société
socialiste cet obstacle est encore bien plus important. L'incapacité qui
empêche les marxistes d'aller plus loin que Ricardo en matière d'économie
politique et leur inintelligence de toutes les questions de politique
nationale leur interdit d'entrevoir seulement les problèmes qu'elles
soulèvent.
1.
Cf. Poehlmann, t. I, pp. 110., pp. 123.
2. Cf. Tugan-Baranowsky, Der moderne
Sozialismus in seiner geschichtlichen Entwiclung, Dresde, 1908, p. 136.
3. Cf. Pecqueur, p. 699.
4. Cf. Marx-Engels, Das
kommunistische Manifest, p. 23.
5.
Cf. Bismarck, Discours prononcé à la séance du Reichstag, le 19 février 1878. Fürst
Bismarcks Reden, édit. v. Stein, t. VII, p. 34.
6. Cf. Bauer, Die
Nationalitätenfrage und die Sozialdemokratie, Vienne, 1907, p. 519.
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Article
originellement publié par le Québéquois Libre ici
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