A la fin des années 1990, l’économie
irlandaise était en plein essor. Les raisons en étaient notamment le taux
très faible de l’impôt sur les sociétés, qui s’affichait à 12,5%, ainsi que
la bulle sur l’immobilier qui alimentait le PIB du pays. Pour toutes sortes
de raisons, l’Irlande était alors un véritable aimant pour les
investissements directs venus de l’étranger, et faisait bien des jaloux parmi
les pays d’Europe.
Soutenu par une monnaie peu
chère, le gouvernement irlandais s’est embarqué dans un boom immobilier qui a
duré de 1997 à 2006, et qui a vu multiplié par plus de quatre le prix d’un
domicile type. Grâce à ses recettes fiscales, le gouvernement s’est aussi
lancé dans une frénésie de dépenses : les investissements dans les
services de santé ont été multipliés par cinq et les salaires des
fonctionnaires ont doublé.
Malheureusement, la crise
financière globale a fait s’effondrer l’économie irlandaise du jour au
lendemain. Le PIB du pays a décliné de plus de 14% au cours des deux années
qui ont suivi. Le budget du gouvernement est passé de gros surplus en 2006 et
2007 à un déficit de 14,3% du PIB en 2008.
En réponse à cette crise
économique, le peuple irlandais et ses élus ont fait quelque chose que très
peu d’autres pays oseraient faire : ils ont opté pour l’austérité
fiscale. Le gouvernement a réduit ses dépenses et rehaussé les taxes. Depuis
2008, sept programmes budgétaires ont fait sortir 28 milliards d’euros de l’économie
au travers de réductions de dépenses et de hausses de taxes, une somme qui représente
17% du PIB actuel de l’Irlande.
L’austérité fiscale va à l’encontre
du dogme keynésien selon lequel, en temps de crise, les gouvernements
devraient accroître leurs dépenses pour surmonter les retournements
économique – quel que soit leur niveau d’endettement. Bien que j’aurais
préféré voir l’Irlande réduire davantage ses dépenses plutôt qu’augmenter les
taxes, j’applaudis la détermination du peuple à embrasser un gouvernement
plus restreint plutôt que les dépenses déficitaires pourtant en vogue aujourd’hui.
Mais ce resserrement de ceinture
n’a pas été applaudi par tous les économistes, et a particulièrement dérangé
le roi des apologistes du Keynésianisme, Paul Krugman.
Krugman, que l’austérité
irlandaise semble avoir accablé de chagrin, a dévoué des quantités absurdes
de temps et d’encre à se plaindre du programme d’austérité irlandais et à
prédire le trépas économique imminent du pays. Il en a même fait une affaire
personnelle en 2010 en déclarant que « ce qu’il y a de mieux avec les
Irlandais en ce moment, c’est qu’il y en a si peu ». Ceux qui sont
familiers avec la désastreuse famine qui a fait plus d’un million de morts en
Irlande peuvent légitimement remettre en question la conscience de ce libéral
spécifique.
Selon Krugman, la réduction des
dépenses de l’Irlande devrait être repoussée jusqu’à ce que le pays ne soit
plus coincé dans un « piège de la liquidité ». Cette trappe de la
liquidité dont il s’inquiète est en réalité ce par quoi le marché libre vient
en aide à l’économie en réduisant son endettement. Mais Krugman est convaincu
que seules des dépenses accrues peuvent aider les économies à s’en libérer. Pour
lui, l’Irlande devrait suivre l’exemple du Japon, qui souffre aujourd’hui de
sa troisième récession en autant d’années, d’une multitude de décennies
perdues, d’une devise en chute libre et d’un ratio dette/PIB de 250%. C’est
un très gros prix à payer pour éviter la réalité économique et attendre
patiemment de sortir du piège de la liquidité.
Il est évident que Krugman
craigne de voir le succès de l’expérience de l’Irlande délégitimer la
doctrine de dépenses déficitaires de John Maynard Keynes et remettre en
question ce qui lui est le plus cher. Mais voyons donc qui s’en tire le mieux
– la très austère île d’émeraude ou la terre de tous les déficits budgétaires ?
Après tout, existe-t-il un meilleur exemple d’austérité que le Japon d’aujourd’hui ?
Dès le lancement de son
programme d’austérité, l’économie de l’Irlande a enregistré une croissance
lente entre 2010 et 2012. En revanche, en 2014, l’économie irlandaise a gonflé
de 4,8%, pour enregistrer la plus forte croissance de tous les pays de l’Union
européenne, et une croissance plus élevée que toutes les croissances
annuelles des Etats-Unis depuis la Grande récession. L’économie irlandaise a
enregistré une croissance d’1,9% au second trimestre de l’année 2015, après
avoir enregistré une expansion révisée à 2,1% au premier trimestre, qui s’est
avérée supérieure aux attentes de Krugman et du marché en général.
L’Irlande a pu parvenir à un tel
taux de croissance en réduisant son déficit budgétaire de 14,3 à 4,1% de son
PIB depuis 2008. Le pays a été le premier de la zone euro à sortir d’un plan
de refinancement du FMI. En Irlande, le taux de chômage ajusté à l’inflation
est passé sous la barre des 9% pour la première fois depuis 2008, ayant
atteint 8,9% en octobre 2015.
Pendant un bref instant en
décembre 1989, le marché boursier japonais (le Nikkei 225) a surpassé le
marché américain en termes de taille, pour atteindre un pic de 38.916 et un
ratio cours/bénéfices de 80. L’immobilier japonais représentait alors la
moitié de la valeur de l’ensemble des terrains à l’échelle du monde, avec 24
trillions de dollars. Quand les bulles japonaises sur l’immobilier et les
actions ont éclaté, les Japonais, en bons Keynésiens, se sont embarqués dans
un programme de dépenses qui, tout au long des années 1990, a représenté plus
de 100 trillions de yens. Et où en est le pays aujourd’hui ? Il a déjà
perdu deux décennies et demie, et n’est pas au bout de ses peines.
Pour le plus grand plaisir des
Keynésiens, en 2012, le Japon a embrassé l’Abénomie, une stratégie économique
qui a consisté à redoubler d’efforts en employant toujours plus des mêmes
politiques de dépenses et de création monétaire. L’une des trois flèches de l’Abénomie
étant dirigée vers une croissance des dépenses déficitaires du gouvernement,
le Japon enregistre actuellement un déficit budgétaire de 8% de son PIB. Une
autre de ces flèches est dirigée vers la destruction de la devise nationale
afin de faire gonfler les exportations. En revanche, nous venons d’apprendre
que les exportations japonaises ont baissé en octobre pour la première fois
en quatorze mois. Le seul objectif auquel semble être parvenu Abe est une
récession.
L’économie japonaise a
enregistré un déclin de 0,2% au troisième trimestre de 2015, et a été
incapable d’enregistrer une reprise durable de son PIB depuis la fin de la
Grande récession.
Pire encore, le PIB du Japon n’est
allé nulle part en termes nominaux depuis plus de dix ans et, grâce aux
politiques de dévaluation qui ont été employées, s’est contracté en termes
réels.
Mais rien de cela ne dissuade
Krugman de croire que tout ce qui manque à l’Abénomie est une conviction de
doubler sans cesse la dose de mesures employées. Krugman choisit de continuer
de croire en des mensonges, et préfère des décennies perdues à quelques
années d’austérité. Dans un article écrit en 2013, il s’est puérilement
plaint du fait que « l’invocation de l’Irlande comme modèle à suivre ne
peut être qu’une mauvaise blague ». Il semblerait toutefois qu’il soit
lui-même devenu le dindon de la farce.