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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Les marchés sont nerveux, les gouvernements
sont inquiets, voici venu le temps des conciliabules, qui ne contribuent pas
à leur tour à rassurer.
Ne
sachant plus à quoi s’en tenir, les analystes sont à la
recherche fébrile de l’indice ou du taux qui cette fois-ci
annoncera à temps que le lait va à nouveau déborder,
brutal et irrésistible. La volatilité qu’ils constatent
du côté des marchés est en soi un indice de la
crainte qui s’y est installée et qu’ils partagent.
Mais
quel sera le signal qui leur permettra d’anticiper ? Afin de se replier
à temps de positions avancées et hasardeuses, ou au contraire
de se préparer à faire de bonnes affaires (car, comme en tant
de guerre, une crise financière aiguë est une opportunité
à ne pas manquer pour profiter des meilleures occasions).
En
attendant, de nerveuses et massives transhumances de capitaux sont
signalées quasi quotidiennement, du marché des actions à
celui des obligations d’Etat et réciproquement. Manifestant un
bel opportunisme ou la recherche du meilleur et incertain refuge, au choix.
Pêle-mêle, toutes les raisons de cette situation sont
données. Mais c’est la crise européenne qui a la vedette, allez savoir si elle va
s’accélérer ou se tasser! Les paris, toutefois, se prennent
très majoritairement en faveur de la première hypothèse.
Si les banques
sont identifiées comme vecteur de la propagation mondiale de la crise,
leur bilan de santé reste très confidentiel, rendant
l’analyse incertaine. On subodore toutefois, non sans de sérieux
indices, que les banques européennes ont beaucoup fait le gros dos et
continuent d’être particulièrement fragiles. Aux risques
anciens qu’elles dissimulent s’ajoutent désormais les
nouveaux qui se profilent ; aux vieux stocks d’actifs toxiques toujours
égarés au fond de leurs livres de compte – ceux
qu’ils n’ont pu mettre en pension à la BCE –
s’additionnent les gros paquets d’obligations des Etats en
péril, pour lesquels l’hypothèse d’une
inévitable restructuration de la dette tient la corde. Une question de
temps, paraît-il.
Rien
ne va plus, mais qu’est-ce qui ne va pas au juste ? Ceux qui gardent la
tête sur les épaules constatent que les chutes (ou les hausses)
de tel ou tel indicateur ne sont pas d’une si grande amplitude que
cela, comparées aux temps qui ont suivi la faillite de Lehman Brothers, ce terrible
précédent dans toutes les pensées sinon sur toutes les
lèvres. Mais quand on ne cerne pas bien le mal, comment le
guérir ? Comment résoudre cette quadrature du cercle que représente la mise en place de la rigueur
sans porter atteinte à la croissance économique ?
L’OCDE
voudrait bien donner consistance à cette gageure, tout du moins le
temps de sa réunion ministérielle annuelle, qui vient de se
tenir à Paris. On s’aperçoit, en lisant plus attentivement
le texte de son communiqué final, qu’elle n’y parvient
qu’en procédant en deux temps : la reprise d’abord,
la lutte contre le déficit ensuite. «Il convient
d’élaborer des plans crédibles et transparents
d’assainissement budgétaire à moyen terme ».
Ce n’est pas précisément ce qui est proclamé comme
étant à l’ordre du jour lu devant l’Europe toute
entière.
Faisant
de la politique fiction, le FMI continue pour sa part de chevaucher les
contradictions en affichant la nécessité d’agir
simultanément sur les deux fronts, et de faire preuve d’un
discernement dont les gouvernements occidentaux aimeraient qu’il donne
la recette, pour la mettre à exécution.
A
chacun son dilemme. Transposé, cela donne ceci: faut-il sauver les
Etats pour sauver les banques, ou bien le contraire ?
Renflouer les premiers avec les moyens du bord pour éviter la chute
des seconds, ou bien cesser de jouer au billard et prendre le problème
bille en tête, avec les mêmes moyens qui ne sont pas
infinis ? C’est comme d’habitude la pire des solutions qui a
été choisie.
Les
Allemands voudraient tout faire à la fois, mais à leur
manière, après avoir annoncé vouloir remettre la
politique au poste de commande. Ce qui n’est pas nécessairement
une bonne nouvelle au vu de l’austère orientation
stratégique qu’ils préconisent, même si elle est
accompagnée dans le domaine de la régulation financière
d’audacieuses innovations – dont la portée est symbolique
à défaut d’être pratique – qui leur sont
beaucoup reprochées et les laissent isolés.
Va
donc pour officiellement sauver les Etats, si l’on y parvient ! Mais
l’agence Fitch joue à son tour le
facteur et vient apporter, après Standard & Poor’s,
une mauvaise nouvelle qui appuie là où ça fait mal, en
dégradant la note de la dette souveraine espagnole :
« La dégradation reflète l’opinion que le
processus d’ajustement vers un niveau plus bas d’endettement
privé et extérieur va matériellement réduire le
taux de croissance de l’économie espagnole à moyen
terme ».
Les
effets secondaires du remède, selon l’agence, sont aussi
négatifs que le mal lui-même, ce qui ne laisse aucune de marge
de manoeuvre. Or, l’Espagne – un
beaucoup plus gros morceaux que la Grèce
– était déjà de plus en plus donnée comme
candidate au prochain épisode de la crise européenne, alors que
les gouvernements de la zone euro tardent à mettre en place la
structure chargée de gérer leur plan d’aide. Retard
causé par des divergences persistantes avec les Allemands, qui veulent
garder le contrôle étape par étape de tout processus
d’activation.
S’agissant
de l’Espagne, on ne parle plus des risques de sa dette publique, mais
de l’ampleur de sa dette privée, trois fois plus importante.
Celle-ci a rendu nécessaire, et prioritaire, une restructuration qui
peine du réseau de caisses d’épargnes (qui contribue pour
moitié au chiffre d’affaires de l’ensemble du
système bancaire), très sérieusement atteint par le
dégonflement de la bulle immobilière espagnole. De quoi
relativiser le discours ambiant sur la dette publique et
l’austérité, qui connaît d’ailleurs une
certaine inflexion. Et l’on entend de plus en plus de voix commencer
à s’inquiéter du risque que la dépression ferait
prendre à la zone euro, si l’austérité devait y régner.
Risquant de déclencher une spirale descendante, aboutissant à
une franche récession, empêchant au final de réduire
comme attendu le déficit public, pour renvoyer à la case
départ dans de plus mauvaises conditions.
Parmi
ses voix, et non des moindres, celle de Tim Geithner,
secrétaire d’Etat au Trésor, d’abord en
villégiature à Pékin avant de rejoindre directement
l’Europe au débotté, prenant l’initiative de
premiers conciliabules qui depuis se poursuivent.
Que
dit-on de ses rendez-vous successifs dont fort peu a transpiré
? Que Tim Geithner affecte
publiquement de croire qu’une récession européenne ne
réduirait pas significativement la croissance des Etats-Unis (dont le
taux actuel vient d’être abaissé par rapport à la
première annonce, comme il est désormais de coutume), mais
qu’il s’interroge sur le maintien de la croissance
américaine, si les mesures publiques de soutien du gouvernement
américain n’étaient pas renouvelées et si les
Chinois ne réévaluent pas leur devise.
Il
aurait proposé également aux Européens de calmer les
marchés en lançant une opération publique de stress-test
de leurs banques, contrairement à la première mouture dont les
résultats sont restés confidentiels. Une manière
délicate de suggérer, s’il ne l’a pas même
clairement dit, qu’il fallait enfin se décider à
affronter la situation de fragilité du système bancaire
européen.
Que
les effets d’annonce de sauvetage, c’était fini, parce que
cela ne convainquait plus personne, et qu’il fallait se
dépêcher de boucler un dispositif qui ne l’est toujours
pas. Enfin, message plus spécialement destiné aux Allemands,
qu’il fallait laisser aux banques les moyens de faire leur business et
ne pas toucher au marché des produits dérivés, si on
voulait qu’elles se redressent un peu par elles-mêmes.
Bref,
il a énoncé une politique en tous points contraire à celle
des Allemands. Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions,
que la conférence de presse commune de Tim Geithner
et de Wolfgang Schäuble ait été
écourtée dans la limite de ce que la décence permettait,
rompant avec tous les usages établis. « Les marchés
veulent voir des actes » a-t-il eu tout de même le temps de
déclarer, ce qui valait critique implicite de la politique suivie par
son compagnon de tribune.
Dès
le lendemain, que se sont dit à Paris les ministres des finances
allemand et français ? Nous n’en savons strictement rien, sauf
à tenter l’exégèse de la belle formule
employée par Michael Offer, le porte-parole
de Wolfgang Schäuble : les ministres ont
procédé à « une concertation sur une approche
commune ». Du côté français, fidèle
à une implacable stratégie de communication, aucun commentaire
n’était disponible. Rendons néanmoins grâce
à Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, qui y a
été de son commentaire ineffable sur la situation
générale, sur la chaîne d’information en continu
LCI : « Ce qui est surtout révélateur dans cet
épisode, c’est qu’aujourd’hui on a
l’impression que la nervosité sur les marchés financiers
est telle que n’importe quelle rumeur est colportée et donne
lieu à des mouvements dans les prix des actifs financiers (…)
Tout ça est un peu ridicule, j’espère que nous allons
très vite retourner à une zone de calme. Il faut arrêter
de croire n’importe quelle rumeur ».
Ne
peut-on pas croire, tout au contraire, que les
« rumeurs » ne vont pas manquer de surgir à tout
propos et de partout, et que l’axe franco-allemand va avoir de plus en
plus de difficulté à maintenir son unité de
façade, tant les politiques des deux partenaires divergent
? Déjà, les Français se sont finalement
publiquement désolidarisés de la mesure allemande
d’interdiction des CDS nus, laissant les premiers dans un
superbe isolement partagé avec les Autrichiens, rejoints ce matin sur
le même terrain par le gouvernement espagnol.
Le
régulateur espagnol, la CNMV, a en effet annoncé jeudi soir que
les positions de vente à découvert portant sur plus de 0,2% du
capital d’une liste de société dans laquelle figurent les
établissements financiers allaient devoir être portée
à sa connaissance, abaissant le seuil précédemment
fixé. Une mesure dissuasive destinée à protéger
notamment les banques de la spéculation.
Du
côté des banques, on apprenait que Hypo Real Estate (HRE) venait d’activer une garantie
gouvernementale supplémentaire de 10 milliards d’euros.
L’échec de la restructuration de la grande banque allemande spécialisée
dans les Panbriefen (obligations couvertes
par des crédits hypothécaires), qui jouent un rôle
important en Allemagne, aurait des conséquences massives pour
l’économie allemande. Déjà nationalisée, sa
situation reste très fragile : elle annonce pertes après
pertes, et l’on sait qu’elle détient de surcroit un
portefeuille important d’obligations d’Etats européens. A
elle seule, sa situation permet de comprendre la politique allemande.
Reste
sur le tapis un autre gros dossier, celui de la taxe financière.
Là également, les Allemands ont pris l’initiative,
relayés par la Commission de Bruxelles qui s’est jeté
à l’eau et a formulé un plan via Michel Barnier, son
commissaire au marché intérieur. Celui-ci, connaissant son
monde, a laissé de nombreuses portes ouvertes à la
négociation, notamment sur les deux questions clé de
l’assiette de la taxe et de son taux. Cela n’a pas suffi: les
Britanniques, vite rejoints par les Français, n’envisageant pas
que son produit puisse ne pas abonder le budget général de
l’Etat, modifiant son affectation et retirant projet son sens qui est
d’amasser des réserves pour faire face à la prochaine
crise bancaire.
Pour
compliquer encore davantage le jeu que le gouvernement allemand cherche
à ouvrir, Axel Weber, président de la Bundesbank et, il se
murmure encore, successeur de Jean-Claude Trichet à la tête de
la BCE, vient de prendre aussi ses distances avec lui :
« Même si une telle taxe serait utile pour
récupérer certains coûts de la crise, c’est un
instrument mineur pour internaliser les effets d’activités
risquées pour la stabilité financière »,
a-t-il déclaré, ajoutant pour mettre les deux pieds dans le
plat : « l’interdiction complète de certaines
activités est une intervention sur le marché lourde de
conséquences », ces activités n’ayant, selon
la prudente double négation du hiérarque, « pas
nécessairement une valeur ajoutée économiquement
nulle ».
Les
banques évitant de se prononcer trop ouvertement, d’autres
s’en chargent. Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, a
préconisé lui aussi la prudence à propos
d’une taxe : « Ce qu’il faudra bien faire, c’est
le calcul total de ce qu’on demande aux banques à la fois dans
leur bilan et éventuellement dans une taxe en sus. Parce qu’au
total, ce sont des prélèvements qui peuvent être
répercutés sur le coût du crédit, et donc
répercutés négativement sur la croissance. Donc il faut
faire très attention à trouver le juste équilibre de
toutes ces mesures ». Faire très attention, dans le langage
codé de la politique, cela signifie ne pas entreprendre.
Enfin,
à propos des mesures imposées aux banques en
général, un renfort important est venu en la personne de Mario Mesquita, président du Comité sur le
système financier mondial de la Banque des Règlements
Internationaux (BRI) : « Les changements prévus dans
l’activité de financement pourraient conduire à une
augmentation des coûts et une expansion plus lente des crédits
de la part des banques internationales (…) Alors que, l’expansion
des crédits avant la crise étant excessive, et le risque
inhérent sous-estimé, cela ne serait pas forcément une
mauvaise conséquence mais pourrait freiner la reprise
économique ». Un propos bien balancé de banquier
central qui, en termes crus, signifie que si l’on charge trop la barque
des banques, on prend un risque qui n’est pas de saison.
Décidément,
la plus grande harmonie de vue ne règne pas dans le camp occidental,
à la mesure des impératifs contradictoires dans lesquels ses
acteurs sont de plus en plus placés. Il va en falloir, des conciliabules
! Cela rend la définition et l’application d’une politique
commune encore plus aléatoire, éloignant d’autant toute
perspective de sortie de crise, une expression dont il est à noter
qu’elle a disparue des éléments de langage
européens.
Giulio
Tremonti, le ministre italien des finances et
présenté comme aspirant à la succession de Silvio
Berlusconi, ne les avait sans doute pas lus. Lors du forum annuel à
Paris de l’OCDE, il a en effet déclaré : « »Il
est évident que tout le continent doit changer de modèle
politique, doit changer la structure de l’Etat providence, du
modèle social ».
Peut-être
avait-il été absorbé par la lecture d’un article
de Dave Shellock dans le Financial Times,
destiné à faire le tour des différents marchés et
de leur volatilité commune. Au détour d’une phrase, ce
dernier apportait une contribution fondamentale à la science
économique, proposant le concept de « non-financial economy »,
l’économie non financière si l’on comprend bien,
que l’on appelle le plus souvent – ce qui est déjà
en soi surprenant – l’économie réelle.
Sans
autre commentaire.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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