Le monde financier n’est plus ce
qu’il était. Il fait preuve désormais d’un
alarmisme permanent, après s’être si longtemps
réfugié derrière une impassibilité de
façade. Voire une morgue sans égal dont la justification fait
plus que jamais défaut. Un comble pour des financiers.
Un jour, c’est
l’échéance du remboursement à la BCE de 442
milliards d’euros par les banques de la zone euro qui est
fébrilement attendue, son dénouement n’apportant aucun
soulagement sur le marché interbancaire qui continue depuis à
se tendre.
Immédiatement après, ce
sont les nouvelles du marché obligataire, où se présente
l’Espagne dont la notation risque d’être
dégradée par Moody’s, qui sont redoutées. Ainsi
que l’annonce, sans attendre, du retour de la Grèce sur ce
même marché plus tard dans le mois.
En toile de fond, les mauvais indices qui
se multiplient aux Etats-Unis lui font surtout beaucoup douter de la reprise
américaine, et craindre une prochaine récession qui,
additionnée à celle qui est attendue en Europe, ne pardonnerait
pas. Même en Chine, des indices font état d’une baisse de
la production manufacturière.
Cela n’en finit plus.
Les Bourses subissent à
répétition le contre-coup de cette angoisse qui se porte tour
à tour sur tous les sujets qu’égrène
l’actualité. Tout n’est désormais que mauvaises
nouvelles, les moins mauvaises – hier montées en épingle
– ne sont même plus retenues. La sacro-sainte confiance vient
à manquer, non seulement dans les autres, mais aussi en
soi-même, ce qui est encore plus grave. « Nous étions
au bord de l’abîme et allons faire un grand pas en
avant » aurait déclaré un jour un chef
d’Etat ; cette envolée restée célèbre
semble reprise par le choeur des lamentations des analystes financiers.
Dans la presse de
référence, de distingués économistes
américains rivalisent d’arguments afin de prédire ce qui
attend leur économie : une double dip recession en forme
de « W » pour les uns, très redoutée, ou bien
un simple « L » pour les autres, qui ne présage
rien de bon. Plus personne ne se hasarde, sauf depuis les tribunes et devant
les micros, à promettre la relance. Tous s’accordent pour
reconnaître que le chômage ne baissera pas.
D’exécrables chiffres à ce propos sont au contraire
attendus pour demain, alors que les indices du marché immobilier,
résidentiel ou commercial, sont toujours aussi détestables.
Sans que soit trouvé autre chose pour y faire face que des solutions
d’attente onéreuses qui sont autant de palliatifs.
C’est dans ce sombre contexte que
commencent à fleurir des rumeurs persistantes à propos
d’un tournant que pourrait prendre la Fed. Un analyste de Royal Bank of
Scotland vient ainsi de prévenir ses clients que celle-ci pourrait
prochainement à nouveau s’engager dans une politique de
création monétaire de grande envergure, avec pour objectif de
faire face à la déflation qui menacerait les Etats-Unis. En
achetant massivement de la dette américaine, afin de contenir le taux
des obligations à 10 ans au-dessous de 2%. Avec comme seule limite,
pour la taille de son bilan qui serait doublé pour l’occasion,
la bagatelle de 5.000 milliards de dollars…
Dennis Lockhart (Atlanta), l’un des
gouverneurs de la Fed, vient publiquement de reconnaître
« qu’il est approprié de penser à ce que nous
ferions dans un scénario déflationniste. A ce stade, il n’y
a pas à ma connaissance de plan spécifique de prévu,
mais une discussion sur cette question sera selon toute probabilité
à l’ordre du jour ». Dans le langage des banquiers
centraux, cela vaut quasiment accréditation de
l’hypothèse précédente !
Avec un taux quasiment à
zéro – dont il est annoncé qu’il va rester ainsi
pendant une longue période – il ne reste en effet à la
Fed pas de marge de manoeuvre pour stimuler l’économie, si ce n’est
s’engager à nouveau dans une intervention massive sur le
marché obligataire.
Traduisant les inquiétudes des
investisseurs quant à la reprise mondiale, ce dernier marché
connaît actuellement des sommets aux Etats-Unis, faisant baisser les
taux des bons à 2 ans et 10 ans à des niveaux historiques. Un
paradoxe, s’agissant d’une économie au chevet de laquelle
les experts se pressent ; il est interprété comme la
crainte caractérisée de la déflation.
Toutes choses étant égales
par ailleurs, les bons du Trésor US sont encore
considérés comme le meilleur refuge possible, c’est dire
où les investisseurs en sont. Ce ne sont ni les nouvelles provenant
d’Europe, ni même celles qui filtrent de Chine, qui peuvent en
effet rassurer les marchés, suite à des sommets
canadiens qui n’ont pas abouti à la définition
d’une stratégie commune crédible.
Les investisseurs se replient donc
où ils peuvent et l’on enregistre, ici ou là, des signes
qui montrent que des expédients globaux sont recherchés,
puisqu’aucune des recettes classiques ne fonctionne. La relance de la
création monétaire, hier honnie, en est un dans ce contexte
où le retour de l’inflation est tout sauf probable. Tout du
moins aux Etats-Unis. Celle de restructurations ordonnées de la dette
publique en serait un autre, en Europe.
Nous n’en sommes évidemment
pas là. Il est en tout cas désormais enregistré et
reconnu dans les couloirs que les grands réajustements
monétaires, présentés hier comme solution miracle, vont
être lents, limités et de peu d’effets.
Des points de vue et des études
d’universitaires et de chercheurs commencent à être
publiés sur le thème de la restructuration de la dette
publique. La nécessité de disposer d’un mécanisme
qui fait cruellement défaut dans l’architecture actuelle du
système financier international est revendiquée. Car il est
anticipé que beaucoup de pays, tôt ou tard, devront
rééchelonner ou restructurer leur dette, à moins
même qu’ils ne fassent défaut.
Or une telle situation est devenue de
plus en plus complexe et lourde à gérer, en raison du nombre et
de la variété des créanciers, qui n’ont pas les
mêmes intérêts à faire valoir et défendre.
Les délais qui seraient nécessaires pour mettre au point une
hypothétique restructuration de l’ampleur de celles qui
pourraient intervenir risqueraient d’être insupportables et le
malade tué avant d’être guéri.
Des réflexions sont donc à
nouveau engagées, alors que le souvenir des travaux et propositions
effectués en 2002 au sein du FMI par Anne O. Krueger – que les
Américains avaient vite enterrés – revient à la
surface. La constitution d’un Tribunal international spécial
était à l’époque proposée, le reste des
mesures s’inspirant largement de la loi des faillites américaine
(Chapter 11), qui permet à une entreprise de poursuivre son
activité sous sa protection tant que la restructuration de sa dette
n’est pas achevée. Le sujet a même été
proposé, en pure perte jusqu’à maintenant, à la
réflexion du G20.
Hélas, cette réflexion se
heurte à une douloureuse interrogation. Le système financier
pourrait-il supporter une décote significative de la dette
publique ? Ne risquerait-on pas de retomber sur le problème
précédent et d’avoir à le secourir sur fonds
publics ?
Le capitalisme financier semble avoir
inventé le mouvement perpétuel… sauf qu’il
n’existe pas !
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie
à condition que le présent alinéa soit reproduit
à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
|