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Que
le roman de Truman Capote Breakfast at Tiffany’s ait
contribué au prestige de la bijouterie New-Yorkaise du même nom
est une question pour le moins discutable, puisque bien avant 1958,
année de parution du roman, elle s’était
déjà fait un nom aussi bien aux Etats-Unis qu’à
l’étranger. Il ne fait aucun doute que certaines personnes se
demandent encore si la boutique sert bel et bien le petit déjeuner
à sa clientèle, bien que ce que recherchait
l’héroïne du roman Holly Golightly
n’était nullement le rafraîchissement de l’estomac
mais celui de l’esprit.
Fondée
par Charles Lewis Tiffany en 1837, la boutique Tiffany & Co. a
été grandement impliquée dans le commerce de diamants au
cours de la seconde moitié des années 1800. Lors de la
révolution Parisienne de 1848 qui déboucha sur le renversement
du roi Louis Philippe, la société acheta de très
importantes quantités de bijoux. Lors de la vente des bijoux de la
couronne Française en 1887, Tiffany acheta un collier de diamants qui
appartenait à la princesse Eugénie et qui était alors
considéré comme le plus beau des bijoux mis en vente, quatre
diamants qui auraient appartenu aux Mazarins, ainsi
que de nombreuses autres pièces de collection. Au total, Tiffany
acheta 24 des 69 lots mis en vente.
Entre ces deux évènements
clés de l’histoire Française, des diamants ont
été découverts en Afrique du Sud. Tiffany s’est
également montrée active sur ce plan, et a acheté un
diamant jaune clair de 77 anciens carats dont la pierre d’origine
pèse moins de 125 anciens carats, et une autre pierre précieuse
jaune de 51 et 7/8 anciens carats. Ces deux diamants étaient alors les
deux premiers de cette taille à être exposés à New
York. Ils furent cependant surpassés plus tard par la pierre
très célèbre qui porte le nom de son
propriétaire. La pierre dans laquelle a été
taillée le Tiffany Yellow pesait 287,42
carats métriques.
La pierre à l’origine du
Tiffany Yellow a été
découverte en 1877 ou 1878 mais le lieu exact de sa découverte reste
vague. Il est généralement considéré comme
provenant de la mine De Beers ou de la mine
Kimberley. Sa découverte date d’avant
l’établissement de registres diamantaires en Afrique du Sud. Un
écrivain aurait indiqué qu’il provient d’une mine
appartenant à la Compagnie Française – qui était
le nom donné à la Compagnie Française des Diamants du
Cap.
Audrey Hepburn dans le
film Breakfast at
Tiffany’s en 1961. Croyez-le ou non, le
film en a fait beaucoup pour l’image de la bijouterie –
et les deux sont aujourd’hui
encore associé l’un à l’autre. Sur cette photo,
vous pouvez voire le diamant serti sur la broche portant le nom ‘Bird on the Rock’,
qui fut dessinée par le
bijoutier Jean Schlumberger. Ce bijou est encore aujourd’hui serti du
Tiffany Yellow.
Persuadés que la solution aux
problèmes d’inefficacité des méthodes de
production minière employées par la mine Kimberley était
l’amalgame d’une multitude de mines en une seule unité, en
1887, Cecil Rhodes et ses collègues mirent en place De Beers Mining Company.
Né Barnett Isaacs
en 1852 et fils d’un commerçant de Petticoat
Lane, l’une des rues les plus connues de
l’Est Londonien, Barney Barnato était
la complète antithèse de Rhodes. Il était un extraverti
plein d’humour. Après avoir quitté l’école
à 14 ans, il a collectionné les petits boulots, a même
été ‘videur’ pour une brasserie, et est apparu sur
scène pour une comédie musicale. Certains de ses proches sont
partis pour l’Afrique du Sud après que les premiers diamants y
aient été découverts, et Barney a fini par les suivre. A
son arrivée, ses seules possessions se limitaient à une
boîte de cigares de qualité douteuse qu’il espérait
vendre aux mineurs. Il devint un acheteur itinérant de diamants, sa
personnalité étant le meilleur de ses atouts. Il finit par
prospérer et former Barnato Diamond Mining Company. Comme Rhodes, Barnato
ne cessait d’acheter des projets miniers. En 1885, Barnato
s’associa avec Kimberly Central Mining Company, de Baring-Gould, ce qui lui donna une importante
emprise sur la mine Kimberly – tout comme Rhodes l’avait fait
avec De Beers.
Puisque sa société
semblait se porter si bien, Barnato n’a vu
aucune raison de s’associer à Rhodes. En revanche, un obstacle
se trouvait en travers du chemin de Kimberly Central, anciennement Compagnie
Française des Diamants du Cap. En raison de la position qu’elle
occupait au sein de la mine Kimberly et des politique qu’elle avait
mises en place, la Société Française empêchait la
société de Barnato de connaître
toute forme de succès dans le futur. En conséquence, Barnato a fait une proposition aux Français. Mais
Rhodes l’avait devancé et était déjà
parvenu à lever les fonds nécessaires au rachat de la
Société Française à Paris. Rhodes a alors pris
son rival au piège. Il a dit à Barnato
qu’il pourrait racheter la Société Française non
pas pour de l’argent, mais en échange des plus récentes
actions émises par Kimberly Central. Rhodes est ainsi parvenu à contrôler un cinquième du
capital de Kimberly, ce qui depuis toujours avait été son
objectif. Barnato est tombé dans le
piège.
La bataille fit rage pour le
contrôle du reste du capital de Kimberly Central. Rhodes et Barnato ne cessèrent d’acheter des actions
à une époque où le prix de vente des diamants suffisait
à peine à couvrir leur coût de production. Les actions de
la société passèrent de 14 à 49 dollars en
seulement quelques mois. Rhodes finit par posséder 3/5 des actions de
Kimberly Central et Barnato dut avouer sa
défaite en mars 1888. Le 12 mars de la même année
naquît De Beers Consolidated
Mines Limited. La société contrôlait
l’intégralité des actifs appartenant à la mine De Beers, ¾ du capital de la mine Kimberly et une
part des mines Bultfontein et Dutoitspan.
Cecil Rhodes et Barney Barnato furent tous deux
nommés comme gouverneurs à vie de la société.
Les actionnaires de Kimberly Central,
en revanche, désapprouvèrent la vente de Barnato
à Rhodes et portèrent l’affaire de fusion devant la cour.
Le juge leur annonça que si Barnato
était d’accord pour liquider volontairement Kimberly Central, De
Beers pouvait simplement racheter ses actifs. Et
c’est ce que fit la société : Rhodes écrivit
un chèque de 5.338.650 dollars pour racheter les actifs de Kimberly
Central, qui était alors le plus gros chèque jamais émis.
L’une des preuves que le Tiffany Yellow provient d’une mine appartenant autrefois
à la Société Française est que la pierre fut
d’abord envoyée à Paris, où des experts
l’étudièrent une année durant avant qu’elle ne
soit taillée sous la supervision du gemmologiste célèbre
George F. Kunz en 1878. Le Tiffany Yellow est un diamant jaune de 128,54 carats de 27mm de
large, 28,25mm de long et 22,2mm de profondeur. Il dispose de 90
facettes : 48 sur le pavillon, 40 sur la couronne, plus la table et la
culasse. Ces facettes n’ont pas été taillées
simplement pour ajouter plus de brillant au diamant, mais pour le faire
briller plus que s’il était en flammes. La pierre est
fluorescente et conserve sa couleur très riche à la
lumière artificielle, et est de plus en plus belle chaque jour.
Le directeur de Tiffany à Paris,
Gideon Reed, a acheté le Tiffany Yellow pour une somme de 18.000 dollars au nom de sa
société pour l’importer aux Etats-Unis en 1879.
Après son arrivée sur place, le diamant a fait l’objet de
très peu de publicité, une politique
délibérée qui fut dictée par Charles Tiffany, qui
craignait que, du fait que des pierres banales de couleur jaune
étaient produites en un nombre toujours plus grand en Afrique du Sud,
le Tiffany Yellow ne soit rien de plus que
l’une d’entre elles. Il est important de noter la
différence entre les diamants jaunes clair et jaunâtres et les
diamants beaucoup plus rares de couleur jaune canari. Le Tiffany Yellow est l’un des plus fins de ce dernier type de
diamants à avoir été découvert.
Il ne fallut pas attendre bien
longtemps avant que le Tiffany Yellow ne devienne
célèbre. En 1896, l’un des triumvirats qui
contrôlait la Chine, le vice-roi Li Hung-Chang – et le
président Grant aurait un jour déclaré : ‘il
y a trois grands hommes dans notre monde : Gladstone, Bismark et Chang, et Chang est très certainement
le plus grand d’entre eux’ – s’est rendu à New
York. Il a annoncé que l’une des choses qu’il
désirait le plus était de voir de Tiffany Yellow,
une requête qui lui fut accordée par la firme.
La broche ‘Bird on the Rock’ imaginée par Jean
Schlumberger, sertie du Tiffany Yellow.
Après
avoir été observé par ce visiteur distingué, le
Tiffany Yellow fut vu par des millions
d’autres au cours de ses 70 années d’expositions dans la
boutique Tiffany. Il a également été
présenté à de nombreuses expositions dont Chicago Columbian en 1893, l’exposition Pan-Américaine
en 1901, Chicago Century of Progress en 1933-34 et la New York World Fair en 1939. Le diamant fut porté pour la
première fois en 1957 lors du Tiffany Ball à Newport, dans le Rhode Island, par Sheldon Whitehouse.
Pour l’occasion, le diamant fut monté sur un collier serti
d’autres diamants blancs. En 1971, le Tiffany Yellow
retourna en Afrique du Sud pour l’exposition anniversaire de la mine
Kimberly. Après quarante ans d’absence, Tiffany ré-ouvrit
une boutique à Londres, sur Old Bond Street, en 1986. Le Tiffany Yellow y fut exposé pour célébrer le
retour de Tiffany dans la capitale Britannique.
La meilleure vue, selon
moi, du pavillon de la pierre
Les seuls évènements
marquants de l’histoire relativement tranquille du Tiffany Yellow ont été les tentatives de vente de
la pierre, qui fut évaluée à 12.000.000 de dollars en
1983. En 1951, le nouveau directeur de Tiffany demanda à ce que la
pierre soit vendue, une décision qui horrifia, sans surprise, certains
des membres les plus anciens de la direction. Un acheteur demanda à
acheter la pierre pour 500.000 dollars mais la vente ne fut pas conclue parce
que Tiffany demandait à ce que le paiement soit réglé en
une fois, ce que ne pouvais concevoir l’acheteur potentiel. Le 17
novembre 1972, le New York Times publia une offre de vente du Tiffany Yellow pour une somme de 5.000.000 de dollars.
J’aimerais mentionner ici que le nouveau directeur des ventes,
lorsqu’il se vit demander ce qu’il tirerait de la vente du
diamant, fut renvoyé par le directeur de la société.
Ma réplique du
Tiffany Yellow, taillée par NW Diamonds and Gems. La pierre
mesure 28,11 x 28,23 x 15,51. La société s’occupe de la
taille de pierres colorées ou non, préférablement de
grande taille. Je leur ai également acheté une réplique
du Porter Rhodes, qui appartient aujourd’hui à ma grand-mère.
Le fait qu’aucune association célèbre de gemmologistes
n’ait encore examiné le Tiffany Yellow
fait que quelques mystères planent encore. Herbert Tillander,
dans son livre intitulé Diamond Cuts in Historic Jewelry - 1381 to 1910, écrit ceci :
Le diamant jaune n’est pas
seulement un brillant typique taillé de manière stellaire aux
facettes arrangées en étoile autour de la culasse. Sa couronne
est crantée, ce qui signifie que les facettes principales ont
été divisées. C’était autrefois une
procédure standard*. Le pavillon, en revanche, est divisé en
trois parties : entre les deux parties traditionnelles a
été ajoutée une troisième, ce qui est très
certainement unique. Cela implique la division des facettes principales du
bas du diamant en deux facettes triangulaires et une facette en
trapèze. En conséquence, la couronne du Tiffany Yellow compte 40 facettes, et son pavillon en compte 48,
en plus de la culasse et de la table – pour un total de 90 facettes
contre seulement 56 facettes pour les diamants stellaires traditionnels.
Personne n’a jamais
expliqué pourquoi le Tiffany Yellow a
été taillé de cette manière. Il semblerait que la
priorité ait été donnée à la
rétention de poids, puisqu’à l’époque le
prestige d’un diamant dépendait principalement de son poids.
Selon Dr. Kuns, ‘un nombre de facettes sans
précédent a été donné à la pierre
pour la rendre plus brillante. La pierre est de couleur jaune, c’est pourquoi
il a été décidé de lui donner l’allure
d’un feu de bois vibrant plutôt qu’une simple
radiance**’. La pierre est également capable, et c’est
très rare pour un diamant jaune, de conserver sa couleur à la
lumière artificielle***. Ceux qui ont taillé le diamant ont
décidé d’ignorer les règles de proportion
traditionnelles (telles que celles introduites par Morse aux Etats-Unis)
puisqu’ils n’auraient même pas pu faire de la pierre un
diamant de 100 carats, un type de diamant appelé Paragon.
Même les proportions classiques n’auraient pas suffit – une
pierre de cette largeur et de cette longueur, si elle avait été
taillée avec un angle de 45°, n’aurait pas pu peser 100
carats.
Un certain nombre de solutions furent
trouvées. Bien évidemment, le diamètre du diamant fini a
un contour symétrique. Mais la hauteur de la couronne,
l’épaisseur du rondiste et la
profondeur du pavillon ont toutes été accentuées. Les
tailleurs sont parvenus à conserver une mesure verticale de 81,5%
(22,2mm), contre 68% pour le Jeffries et les 60%
qui sont la norme de la taille moderne***.
Vue de la couronne, du
pavillon et du côté du Tiffany Yellow.
Ce dessin a été publié dans le livre de Tillander,
et est inspiré des dessins
publiés dans le livre de 1904 de Max Bauer intitulé Precious Stones. Les dessins publiés
par Tillander
ont l’air identique à ceux
publiés par Bauer, bien plus grands et plus détaillés.
La silhouette convexe du diamant
présente non seulement la préservation du poids du diamant mais
également une couronne très haute et un pavillon
exceptionnellement profond. D’autres mesures ont été
prises pour produire des effets de lumière. Un calcul exact des angles
de réflexion et de réfraction de la lumière ont
été faits, et la culasse a été taillée de
manière à servir de réflecteur. Jusqu’à ce
que le Tiffany Yellow soit inspecté par des
professionnels, un mystère restera entier : les quatre facettes
supplémentaires ajoutées au pavillon, à
côté du rondiste, et les 17 faces
polies du rondiste, selon un examen mené
dans l’établissement Tiffany en 1945, ne seraient pas ‘des
vraies facettes’.
Nous savons que la pierre brute,
d’un poids de 287,42 carats, a été découverte en
1878 au sein de ce qui pourrait être la partie Française des
mines De Beers. Il été envoyé
à Paris où il fût présenté à des
représentants de Tiffany. Le célèbre gemmologiste de la
firme, George F. Kunz, fut chargé de la
taille de la pierre. Son travail a été extraordinaire, comme
vous avez pu en juger au vu des photos ci-dessus. Le diamant fini pèse
128,54 carats. Il était jusqu’à très
récemment le plus gros diamant jaune du monde. Selon une facture
conservée dans les bureaux de Tiffany à Paris, le diamant fut
envoyé à New York par le City
of Chester le 15 juin 1880 avec un certain nombre d’autres gemmes
pour une somme de 100.000 francs Français****.
*Un autre diamant célèbre
du ce type est le Saxon White, au Grünes Gewölbe à Dresde. Pour une description
détaillée voir Herbert Tillander, Journal of Gemmology,
Juillet 1968.
**George F. Kunz,
Science, 5 août 1887.
***Gems
& Gemology, Summer,
1945.
****Selon Tom R. Barbour,
dans Lapidary Journal, mars 1963, page 1131, la
profondeur moyenne est de 78%.
*****Son prix, selon Ian Balfour
(1987), était de $18,000.
Notez que la note de clarté VS1
fut autrefois donnée au Tiffany Yellow, bien
que ce fut certainement une estimation faite par un
employé de Tiffany plutôt qu’un gemmologiste
qualifié. Le gemmologiste Britannique Michael Hing,
qui a tenu entre ses mains le Tiffany Yellow lors
d’une exposition à Paris en 2000, a dit lui-même que le
diamant portait des signes d’usure. Il a offert de repolir le diamant
pour Tiffany & Co, mais son offre a été refusée. Hing a également noté le fait que les
descriptions faites du diamant manquant de décrire sa couleur est une
preuve qu’il est unique. Jaune canari et jaune or ne sont pas des
couleurs habituellement attribuées à un diamant par les
gemmologistes, qui préfèreraient certainement ‘jaune
orangé flamboyant’, ou quelque chose de ce genre.
Ceci me fait penser à une chose.
Quel mot, dans l’industrie du diamant, est considéré comme
tabou ? Marron. Des mots inventés ou embellis sont toujours
utilisés pour décrire la couleur marron, comme
‘champagne’, ‘cognac’ ou ‘café’. Mais
il se trouve que le Tiffany Yellow a des tons
marron, bien que Tiffany ne semble pas encline de le reconnaître.
Personnellement, j’ai vu un certain nombre de diamants marron qui
étaient absolument magnifiques. Appeler un diamant marron ne lui cause
pas de tort. Marron n’est qu’un mot pour décrire une
couleur, comme rose.
Lorsque Tom Barbour
écrivait dans le Lapidary Journal de mars
1963 comment tailler une réplique du Tiffany Yellow,
il a indiqué que les mesures de la pierre finie seraient de 27 x 27 x 21mm.
Ses mesures sont proches de la réalité et son design proche de
l’original, du moins plus que pour ses anciennes répliques. Greg
Thompson, un ami de chez Texas Faceters Guild que j’aide actuellement à compiler des
répliques de diamants célèbres, m’a montré
que le Tiffany Yellow n’a pas 90 facettes
comme le disent la majorité des sources, mais 86, comme le montrent
les dessins de Bauer et de Tillander. En
d’autres termes, les 4 facettes manquantes sont fausses, chose que Tillander et moi-même avons noté. J’ai
ma petite idée quant à l’endroit où se trouvent
ces fausses facettes.
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