|
A l’heure d’internet, ne
sachant pas si mon lecteur est français, taïwanais ou
américain, il me faut au préalable expliquer ce que recouvre le
terme étrange, et presque poétique, d’intermittence du spectacle.
Il
s’agit d’un dispositif étatique, unique au monde, par
lequel l’État français subventionne les salariés
de l’industrie du spectacle n’ayant pas de contrats
d’emploi stables. Le processus de production artistique étant
par nature irrégulier dans le temps, ce système
d’assistanat concerne énormément de monde (plus de
100 000 allocataires) : artistes, ouvriers ou techniciens du
spectacle. Sans compter ceux qui, avec la complicité de leurs
employeurs, prétendent appartenir à ces catégories.
Le principe en
est le suivant : pour peu que l’individu soit engagé par
des entreprises du spectacle à raison de 507 heures sur 10 mois au
minimum, il a accès aux bénéfices de
l’intermittence : il sera dès lors indemnisé par
l’État à raison de 60 à 100 euros par jour,
environ, pour l’ensemble des journées non travaillées.
Ceci constitue évidemment pour l’État un gouffre
financier (un de plus…), soit un coût énorme (un milliard
d’euros par an) pour les salariés du secteur privé,
seuls, faut-il le rappeler, à financer la
générosité de l’État. L’État donne d’ailleurs une
définition large des entreprises et des activités
concernées.
L’octroi
de tels privilèges repose, bien entendu, sur un choix
idéologique. L’État a estimé que l’artiste,
en tant que tel, méritait d’être soutenu par
l’impôt lorsqu’il ne produisait et ne vendait rien.
Voilà une conséquence de plus du faux concept de
« valeur-travail », c’est à dire
l’idée que toute activité humaine aurait une valeur en soi. A la limite, si votre
beau-frère, artiste dans l’âme, décidait de passer
quatre ans à aligner les galets sur la plage de Palavas-les-Flots, il
pourrait donc s’estimer en droit d’être rémunéré
pour son travail harassant… On voit bien l’absurdité de la
chose.
Or c’est
cette même absurdité que l’on trouve au cœur de
l’intermittence du spectacle, cette fois-ci organisée par
l’État lui-même au moyen de l’impôt :
l’art et le spectacle ayant une valeur en soi, il importe que les artistes soient subventionnés
même - et surtout - s’ils ne produisent rien qui puisse
intéresser le public (ce qui se produit lorsqu’ils sont en phase
de réflexion, en période de répétitions, ou en
vacances sous les cocotiers). Cette idéologie conduit à faire
payer le contribuable pour avoir moins
de création artistique et plus
d’artistes médiocres incapables de vivre convenablement de leurs
créations.
Condamnable
sur le plan moral, ce système génère en outre
quantité d’abus. Lorsque j’étais comédien,
il m’est arrivé de travailler deux ans, sans interruption, dans
un grand théâtre parisien. Mes petits camarades et
moi-même étions donc « intermittents »,
puisque j’avais dû m’inscrire à l’UNEDIC afin
de percevoir mes cachets, mais notre emploi était en
réalité stable puisque nous étions sous contrat et que
notre pièce se jouait tous les jours sauf les lundis. La plupart des
comédiens en profitaient pour se faire rembourser cette journée
de relâche (soit quatre jours par mois) par le contribuable, en se déclarant
au chômage pour ces journées sans cachet. Cette anecdote
n’est qu’une goutte dans l’océan des abus
générés par le système de l’intermittence.
L’existence
d’un Ministère de la Culture et le système de
l’intermittence sont généralement
considérés comme les deux piliers du « monde de la
culture » en France. Si cet audacieux dispositif
n’était pas scandaleux en soi, le contribuable français
pourrait au moins s’interroger sur son efficacité : jamais
la culture française n’a été moins
diffusée, moins admirée, moins demandée, moins
brillante, que depuis qu’il est en place ! Créé il y
a cinquante ans, le Ministère de la Culture a efficacement
présidé au déclin de la culture française dans le
monde, en croyant le combattre. De fait, la production culturelle
française a quasiment disparu de la scène mondiale avec
l’apparition du Ministère de la Culture, tandis que les
États Unis d’Amérique, qui n’ont ni
ministère ni
« intermittence », édifiaient un secteur
culturel surpuissant et diffusaient leurs produits culturels, populaires ou
élitistes, aux quatre coins du monde.
|
|