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Devoirs de vacances - Comme promis, je
profite du mois d'Août pour ressusciter de vieux textes. Celui ci,
libre adaptation de mon vieux discours en Anglais de Gummersbach (publié
ici même avant hier), fut publié en 2006 par
la revue "controverses" et l'institut Hayek. En conséquence,
quelques parties sont un peu démodées, mais pas tant que cela.
Les RG ont été rebaptisés depuis, mais malgré
cette réforme de fond ;-) les constats d'il y a 5 ans restent valides.
Ah, au fait, les puristes me reprocheront
de démarrer mon histoire à la fin du XIXème
siècle, passant sous silence l'histoire du centralisme Français
depuis Henri IV, Jean Bodin, Louis XIV, en passant par l'administration
impériale. En contrepartie, ce texte déjà long reste
dans des limites encore supportables. Alors, bonne lecture !
Anti-libéralisme français
Les étrangers avec lesquels je
suis en contact sont souvent surpris par le parti pris anti-libéral
ouvertement affiché par les français, leurs
représentants politiques et leurs medias. Cette question les touche,
car la France apparaît aujourd'hui comme la principale force de blocage
des réformes au sein de l'union européenne comme de l'OMC. Ces
résistances, qui ont considérablement freiné et
empêchent encore l'ouverture de nombreux marchés, de
l'agriculture à l'énergie, en passant par les services, sont
particulièrement dommageables pour les économies en phase
d'émergence. Bien que cet intérêt pour des questions
apparemment franco-françaises puisse paraître surprenant,
beaucoup sont ceux hors de nos frontières qui souhaitent savoir
pourquoi la France est tellement anti-libérale.
Répondre à cette question oblige rapidement à
éviter les raccourcis simplistes et les théories uni-causales.
Des forces politiques anti-libérales existent dans tous les pays du
monde. Même aux USA, la dernière campagne du parti
démocrate a démontré une radicalisation de
la gauche américaine contre l'économie de marché. Mais
partout dans le monde, ces idées très à gauche sont
efficacement contrebalancées par un fort courant libéral qui a
réussi à convaincre une part non négligeable de
l'opinion publique et du monde politique que les idées qu'il portait
étaient le plus à même d'améliorer grandement le
sort de la plus grande part de l'humanité, y compris des plus déshérités.
Même des politiciens supposés de gauche comme l'étaient
Bill Clinton et Tony Blair, élus sur des programmes très
socialistes, ont adopté une fois au pouvoir des politiques
économiques d'inspiration libérale, comprenant qu'elles seules
étaient à même de produire les richesses
nécessaires pour financer les volets sociaux de leur action.
Rien de tel en France. Le libéralisme est un nain politique, et
même la droite de notre échiquier politique reste acquise aux
recettes interventionnistes et keynesiennes qui ont pourtant prouvé
leur incapacité à nous sortir de la crise vécue par
notre économie depuis 1973. Lors des élections
présidentielles de 2002, sur 16 candidats, un seul affichait
clairement son orientation libérale. Il n'a pas atteint 4% des
suffrages, un peu moins que le candidat des chasseurs ! Les quatre candidats
communistes et assimilés ont totalisé 14%, l'extrême
droite, au programme très interventionniste et anti-mondialiste
affirmé, a atteint 19%, les écologistes 7% et les candidats des
partis dits de gouvernement, qui ont tous pris soin de se dissocier du
libéralisme, et dont certains, à gauche, flirtaient volontiers
avec les extrêmes, ont monopolisé les 50% restant.
Pourtant, jamais n'aurons nous autant
entendu parler de libéralisme que lors de la campagne
référendaire européenne. Selon les avocats du oui, la
constitution devait nous « protéger des excès de
l'ultra-libéralisme », néologisme commode brandi en toute
circonstance par les interventionnistes comme l'épouvantail source de
tous nos problèmes. Selon les partisans du non, cette constitution
était beaucoup trop libérale, ce qui a beaucoup fait rire les
gens qui savent un peu de quoi ils parlent lorsqu'ils évoquent ce
courant de pensée... Bref, le libéralisme a été
au centre du débat européen, alors qu'en France, il n'a pas
d'existence politique.
Comment en sommes nous arrivés là ?
Le capitalisme libéral souffre certes d'un handicap majeur en terme de
marketing. Nous le savons, la machine à créer de la valeur du
capitalisme est ce mécanisme de sélection permanente des
meilleurs producteurs décrit par l'économiste autrichien Joseph
Schumpeter, sous le nom de destruction créatrice de valeur. Les
données récemment recueillies sur l'économie montrent
combien l'analyse Schumpeterienne était pertinente. Ainsi, en France,
il se créée et se détruit chaque année environ
2.5 millions d'emplois, en combinant les destructions volontaires (suite
à un départ d'un salarié de son propre chef),
majoritaires, et les destructions forcées, qui représentent
moins de 30% du total, dont 2% à peine pour les plans sociaux
collectifs . Les USA, dans les années 93-2000 (mandat de Bill
Clinton), ont connu une augmentation nette de leur force de travail de 21
millions de personnes, résultant de la destruction de 242 millions
d'emplois et de la création de 263 millions , mieux payés que
les anciens emplois dans plus de 70% des cas.
Schumpeter lui même a reconnu que le côté
déplaisant de cette équation vaudrait au capitalisme
libéral de nombreux ennemis : pour créer de nouveaux emplois
bien payés, il faut détruire d'autres emplois, et si l'on tente
d'empêcher le mouvement de destruction des postes de travail les moins
rentables, l'on empêche la création des emplois et des produits
de demain. Il est très difficile d'expliquer à l'ouvrier
textile de Roubaix que la destruction de son travail permet de créer
des emplois dans les nouvelles technologies où les services
commerciaux en région parisienne. Les socialistes ont beau jeu de
rendre le libéralisme responsable de ces pertes d'emploi, et les
libéraux français ont été particulièrement
mauvais pour expliquer à ces personnes que s'ils ne retrouvent pas de
nouvel emploi, la cause en est l'excès d'intervention de l'état
dans l'économie, qui freine à peine la destruction des emplois
inefficaces mais obère fortement la création et la croissance
des nouvelles entreprises fortement employeuses de demain.
Mais ce manque apparent de sex appeal du capitalisme n'est pas propre
à la France et n'a pas empêché d'autres nations de
s'engager dans la voie de réformes libérales avec un
soutien majoritaire de leurs populations et de leurs élites. Pourquoi
une telle mutation rencontre telle tant d'hostilité en France ? Les
racines du mal sont à rechercher dans une conjonction
d'événements historiques et de décisions politiques
unique dans le monde occidental, qui ont, par petites étapes
successives, créé un contexte très favorable tant
à l'idéalisation des théories interventionnistes qu'au
rejet de toute philosophie donnant la primauté à l'individu sur
l'état. Les quatre piliers de ce contexte particulier sont le
gramscisme, l'énarchie, l'accommodation aux extrêmes et
l'étouffement de la société civile.
Gramscisme
Antonio Gramsci (1891-1937) fut un auteur et journaliste italien marxiste,
qui estima que pour établir une hégémonie communiste
durable, il fallait faire émerger et donner une place
prépondérante à une culture de la classe
ouvrière, et à une classe d'intellectuels issus de la classe
ouvrière. Pour ce faire, Gramsci prôna ouvertement
l'infiltration par des personnes soutenant les thèses marxistes des
lieux où se forment les consciences : écoles, médias,
sphère culturelle.
Il n'y a pas qu'en France que les marxistes aient tenté de mettre en
œuvre ces préceptes, mais ils ont bénéficié
chez nous d'opportunités historiques rarement rencontrées
ailleurs.
Lorsqu'en 1881, sous l'impulsion de Jules Ferry, fut créée
l'éducation nationale, afin de garantir à tous les enfants un
accès « gratuit » et obligatoire à l'école,
l'institution créée le fut sur un modèle
ultra-centralisé, où notamment les programmes et les
affectations étaient gérées depuis Paris. Certains
historiens estiment que derrière le prétexte égalitaire
de façade affiché par les politiques de l'époque, se cachaient
des intentions moins avouables : il fallait exalter le patriotisme des jeunes
français afin que le jour venu, la France dispose de jeunes soldats
prêts à mourir pour reprendre à l'Allemagne l'Alsace et
la Lorraine, perdues en 1870. Le centralisme du système servait donc,
déjà, des intérêts étatistes et propagandistes.
Il n'est donc pas étonnant que les lieux de décision où
s'élaboraient programmes et recrutements aient constitué des
cibles d'infiltration prioritaires pour les socialistes et communistes.
Charles de Gaulle, en partie à son corps défendant, allait
offrir sur un plateau aux communistes une opportunité historique
unique de mettre en application cette stratégie.
En 1944, de Gaulle fut chargé de bâtir un gouvernement
provisoire d'après guerre dans un contexte où les communistes
étaient incontournables sur la scène politique. Premier parti
de France (ce que les élections d'octobre 1945 allaient confirmer),
ils avaient joué un rôle majeur dans la résistance, ce
qui leur conférait un pouvoir de nuisance extrêmement fort, peut
être insurrectionnel, en cas de non prise en compte de leurs
aspirations. Aussi les gaullistes durent ils largement partager le pouvoir
avec les socialistes et surtout les communistes. C'est ainsi que Maurice
Thorez fut nommé ministre de la Fonction publique en novembre 1945. Si
l'on doit à ce gouvernement la funeste constitution de la IVème
république, caractérisée par l'instabilité, une
déclaration des droits de l'homme moins respectueuse des droits
individuels que celle de 1789, et un haut niveau de corruption, on lui doit
aussi le statut actuel de la fonction publique, qui eut au moins autant de
conséquences néfastes pour l'avenir du pays, non pas uniquement
à cause de la garantie de l'emploi donnée aux fonctionnaires,
mais, ce que l'on sait moins, à cause du paritarisme qu'il a imposé
dans la gestion des recrutements, des promotions et de la mise en œuvre
des décisions politiques. Cette cogestion entre directeurs et
syndicats a offert aux forces de gauche des opportunités massives pour
placer leurs servants à des postes clé. L'éducation
nationale n'échappera pas à ces stratégies, tout comme
d'autres ministères comme l'information...
Naturellement, avant de quitter le pouvoir en janvier 46, mis en
minorité par la gauche sur le projet de constitution, De Gaulle
était conscient de ces risques, aussi a-t-il réussi à
intégrer au statut de la fonction publique des dispositions visant
à limiter les risques d'infiltration : recrutement par concours, et
création de corps de hauts fonctionnaires recrutés au sein de
la toute nouvelle école nationale d'administration, sur laquelle nous
reviendrons, et dont la direction était solidement tenue par les
gaullistes, sous la férule notamment de Michel Debré.
Si ces contre-pouvoirs ont sans doute permis d'éviter une mainmise
marxiste totale sur l'administration, au prix d'autres
inconvénients que nous verront plus loin, ils n'ont guère
été décisifs pour empêcher une prise de pouvoir de
fait des organisations syndicales les plus dures au sein de l'éducation
nationale.
C'est ainsi que les manuels d'économie du secondaire magnifient Keynes
et ignorent Bastiat ou Hayek, que les messages délivrés par
certains manuels d'histoire ou de géographie décrivent
l'entreprise comme un lieu d'exploitation et d'oppression, et dépeignent
la mondialisation exclusivement sous un angle négatif.
Récemment encore, le Figaro publiait des reportages sur
l'infiltration de l'école par l'organisation ATTAC, prolongement dans
la société civile de tout ce que la politique compte d'adversaires
acharnés de la démocratie libérale. J'ai moi même
été confronté dans les années 70 et 80 à
des professeurs engagés, voire enragés, qui n'hésitaient
pas à profiter de leur poste pour transformer leur cours en séances
d'endoctrinement. A un âge où de nombreux adolescents sont
prompts à adopter une pensée plus émotive que
rationnelle, puisque la construction de leur bagage culturelle est
imparfaite, ces professeurs peuvent se montrer particulièrement
efficaces pour bâtir de solides fondations anti-libérales chez
les élèves, fondations qui non seulement assureront aux
idées de gauche un support important mais qui rendront difficile toute
discussion faisant appel à l'esprit critique et rationnel chez les
personnes concernées. C'est ainsi qu'il est souvent difficile de débattre
des idées libérales en France sans que très vite ne
volent anathèmes et noms d'oiseaux.
Naturellement, ce travail de sape comporte aussi un volet actif de lobbying
pour empêcher l'idée libérale de gagner une quelconque
influence. La cabale menée contre Pascal Salin, économiste
libéral et ancien président de la société du
Mont-Pèlerin, lorsque celui ci fut nommé président
du jury du concours d'agrégation en économie et
l'ostracisme revendiqué par certains jurés contre les candidats
se réclamant d'une vision libérale de l'économie sont la
dernière illustration en date de ces manœuvres visant à
mettre en oeuvre les préceptes gramscistes d'hégémonie
culturelle.
Ces tactiques d'infiltration ont également trouvé un
écho favorable dans les grands médias. Naturellement, il serait
stupide de prétendre que la presse dans son ensemble est marxiste, ou
même socialiste, ou de parler d'un complot médiatique
anti-libéral, facilité dans laquelle tombent parfois trop
facilement certains libéraux. Mais force est de reconnaître que
le biais gauchiste de la presse Française est important, et que des
organes de presse se positionnant pourtant à droite de
l'échiquier politique (le Figaro, l'Express, pour ne citer qu'eux)
font la part belle au rôle de l'état et aux prises de position
interventionnistes.
Plus encore, il existe en France un véritable courant de pensée
journalistique « militant » - qui préfèrera se
définir lui même comme citoyen, cela est plus vendeur - dont le
cercle... Gramsci , qui compte en ses rangs des journalistes comme Florence
Aubenas, est le symbole le plus visible.
Il est assez surprenant que treize années après la
révélation irréfutable de l'ampleur des crimes du
communisme , une association très prisée de nombreux
journalistes puisse porter le nom d'un propagandiste d'extrême
gauche sans susciter d'opprobre, même feutrée. Imagine-t-on un
cercle Goebbels ? Ces cercles de journalistes engagés estiment que le
journaliste n'est pas seulement un vecteur d'information mais doit
façonner l'opinion, faire passer un message (nécessairement
social et citoyen), en sélectionnant les « bons » faits et
les images les plus à même de servir ce message. Ce courant est
il groupusculaire et marginal dans la presse ?
Pas du tout. Récemment encore, Jean Marie Colombani lui même
abondait publiquement en ce sens. Si l'on ajoute que le journaliste militant
sera plus âpre à défendre la place de ses idées au
sein des rédactions que les journalistes neutres, si l'on
considère que l'information-émotion, plus proche de la
pensée de gauche, est considérée (à tort ? )
comme plus vendeuse que l'information-réflexion, dans laquelle la
pensée libérale trouverait un écho plus favorable, l'on
comprend que certains libéraux voient dans la presse un instrument de
promotion de l'interventionnisme public et des idées de gauche .
L'on me répondra à raison que la presse Française n'est
pas monopolistique, et qu'il existe des journalistes de droite, des organes
de presse d'opinion conservateurs, voire libéraux.
Mais ce n'est pas tout. Entre autres héritages laissés par la
participation des communistes au gouvernement entre 1944 et 1946, le
système de distribution de la presse nationale est sous la coupe quasi
exclusive des NMPP, dans lequel la CGT conserve encore un monopole
d'embauche. Outre son prix qui fait de la presse Française une des
plus chères du monde, ce système pousse les éditeurs de
presse à composer en permanence avec des représentants
syndicaux issus de la gauche la plus dure, ce qui n'est pas sans conséquence
sur la ligne de conduite de certains organes de presse dès qu'il
s'agit de remettre en cause les services publics en général et
les NMPP en particulier...
Plus encore, un rapport sénatorial de 2003 a montré que
les aides directes et indirectes de l'état à la presse
(subventions, franchises postales, conditions privilégiées
SNCF, aides AFP, TVA à taux préférentiel de 2.1%,
etc...) atteignaient 1.38 Mds d'Euros en 2003, soit près de 12% du
chiffre d'affaires total de la presse, dont de nombreux organes
connaîtraient la faillite sans ces conditions.
Enfin, les journalistes (détenteurs de carte de presse)
bénéficient eux mêmes d'un abattement fiscal particulier
à titre personnel. Régulièrement, sa suppression vient
à être évoquée, pour être aussi vite
reléguée dans les placards des projets avortés de Bercy.
Comment s'étonner dans ces conditions que de nombreux organes de
presse, même s'ils ne sont pas idéologiquement socialistes,
n'osent aller trop loin dans leur critique de l'intervention étatique
? La presse ne peut mordre trop fortement la main qui la nourrit...
Voilà pourquoi, vue de l'extérieur, notre presse paraît
si complaisante et déférente vis à vis de nos
élites.
Evoquons brièvement la culture. Depuis que Jack Lang occupa ce
ministère, le budget alloué à la culture
subventionnée a explosé. De surcroît, le régime
d'indemnisation exceptionnellement avantageux du chômage des
intermittents du spectacle, à peine retouché en 2004, dont le
déficit a atteint 800 Millions d'Euros en 2003, soit un quart de
celui de l'assurance chômage pour seulement 5% des
bénéficiaires, a engendré une multiplication par 2.5 du
nombre de vocations artistiques fonctionnarisées depuis sa mise en
place.
Sachant que le but de l'artiste créateur n'est plus de plaire au
public mais de plaire à l'énarque coopté par quelque
organisation de gauche modérée ou extrême qui gère
le guichet des subventions, et que celui de l'artiste salarié est de
faire suffisamment d'heures pour avoir droit à une part du
gâteau généreusement financé par les cotisations
des salariés « ordinaires », faut il s'étonner de
la tonalité majoritairement gauchisante de la création
artistique et culturelle française de ces dernières
années, de la défense acharnée de la défense de
notre « exception culturelle » financée par le
contribuable, et de la transformation de certaines soirées de remises
de récompenses en tribunes ouvertes aux artistes contre la
mondialisation et la culture anglo-saxonne, sous les applaudissements de
salles acquises à ce type de discours ?
Toutes ces données culturelles expliquent pourquoi les idées de
la gauche conservent une telle prééminence en France. Elles
n'expliquent pas à elles seules pourquoi les libéraux n'ont pas
été capable de répondre à ce défi. Ce
contexte culturel défavorable à nos idées a
été conforté par un second phénomène plus
politique, celui de la création d'une nomenklatura bien
française, que l'on peut qualifier d'énarchie, digne succession
de la monarchie.
L'Enarchie
L'Ena fut créée immédiatement après la guerre
pour fournir à l'administration une cohorte de hauts fonctionnaires
d'élite destinés à gérer la reconstruction
d'après guerre. Notamment, le corps de l'inspection des finances,
créé par Napoléon, trouva dans l'ENA son principal vivier
de recrutement. L'après guerre marque une période faste pour
l'expansion des pouvoirs de cette nouvelle caste. Non qu'il y eut complot ou
volonté délibérée qu'il en soit ainsi. Mais
simplement, la sociologie des bureaucraties auxquelles trop de pouvoirs ont
été octroyés, illustrée brillamment par la
théorie du « choix public » développée par
le prix Nobel d'économie 1986 James Buchanan, a trouvé ici une
illustration de choix.
Après la guerre, l'inspection des finances fut chargée de
coordonner l'utilisation des aides reçues au titre du plan Marshall.
Elle recruta pour ce faire les meilleurs élèves de l'ENA, qui
allaient petit à petit remplacer les anciens inspecteurs au profil
moins monolithique. Les énarques furent également
chargés d'animer des structures étatiques vouées
à la reconstruction du pays, comme le commissariat au plan. Même
les gaullistes, encore traumatisée par la guerre et la crise de 1929,
dont les causes avaient été fort mal analysées et
considérées bien à tort comme une faillite de l'économie
libre , étaient persuadés que seul un état fort pouvait
coordonner efficacement la reconstruction du pays. Plans quinquennaux (comme
en URSS !), nationalisation de la prévoyance, villes nouvelles,
contrôle des prix et des loyers, dépense publique, et... guerres
coloniales sont les symboles de cette nouvelle économie
encadrée qui fut celle des trente glorieuses. Et les énarques,
aux premiers rangs desquels les plus favorisés d'entre eux, les
inspecteurs des finances, furent les servants de cette reconstruction. Plus
exactement, ils ont petit a petit constitué le groupe majoritaire d'un
duopole partageant l'essentiel du pouvoir administratif avec une autre
branche de l'aristocratie publique, issue quant à elle de
l'école polytechnique.
Lorsque ces jeunes loups arrivèrent à l'âge de remplacer
leurs maîtres issus de l'avant guerre, nul étonnement qu'ils
furent inclinés vers des politiques interventionnistes, et que ceux
d'entre eux qui diffusèrent leurs écrits aient en
majorité diffusé une pensée politique faisant la part
belle au rôle de l'état.
Même si les énarques sont loin de porter une école de
pensée unique interventionniste (on trouve plus encore aujourd'hui
qu'hier quelques énarques libéraux), ils ont en revanche
développé un sens corporatiste extrêmement fort. Peu
importe leur opinion, la fratrie aide ses membres à grimper dans la
hiérarchie de ses obédiences, de l'inspection des finances au
conseil d'état, de la cour des comptes aux préfectures, de la
diplomatie au trésor public.
Et si d'aventure l'exercice du service public ennuyait ces gens si talentueux,
un statut sur mesure leur permettait d'aller goûter aux joies de la
politique et des affaires à des conditions extrêmement
avantageuses, puisqu'en cas d'échec, ces super-fonctionnaires
pouvaient à tout moment réintégrer leur corps d'origine
avec préservation de leur avancement automatique. Ces avantages sont
d'ailleurs en grande partie accessibles aux autres fonctionnaires, mais nulle
caste n'en a mieux profité que les énarques, aux premiers rangs
desquels les aristocrates de cette nouvelle noblesse, les inspecteurs des
finances.
Compte tenu des liens profonds tissés entre l'état et
l'économie, de nombreuses grandes sociétés
françaises ont estimé utile d'embaucher à des postes
à haute responsabilité, y compris comme PDG, des inspecteurs
des finances, car les relations que ceux ci conservaient à
l'intérieur de l'administration ne pouvaient qu'être utiles.
L'énarchie à ainsi promu une classe de PDG
sélectionnés plus pour leur carnet d'adresse que pour leurs
vraies aptitudes managériales. Pour quelques réussites, combien
de milliards, parfois renfloués par les contribuables, ont-ils
été engloutis dans les naufrages du Crédit Lyonnais,
d'Alstom, de Pallas Stern, de Vivendi Universal ou de France
Télécom ? Ces entreprises naguère solides ont
été coulées par des dirigeants plus
préparés à rechercher des avantages
non-compétitifs ou des rentes de situation qu'à affronter
l'âpreté de la compétition mondiale.
Rechercher des avantages particuliers auprès du ministère des
finances fut de tout temps le domaine d'excellence de ces nouveaux
aristocrates. Ghislaine Ottenheimer nous apprend ainsi dans son ouvrage
remarquablement documenté sur l'inspection des finances que
même la faillite de Vivendi, groupe pourtant privé, aura coûté
près de deux milliards d'Euros au contribuable sous forme d'une remise
fiscale accordée par Bercy à l'entreprise dirigée alors
par JM Messier, au seul motif qu'entre confrères, il faut bien
s'entraider.
Pas étonnant que cette classe de « capitalistes publics »
n'ait pas été exagérément portée vers les
idées libérales. Les chercheurs de rente aiment les stocks
options, mais ne goûtent guère aux lois sur la transparence
financière et le respect des droits des petits porteurs, ils louent la
flexibilité du marché du travail mais se réservent des
sorties de secours au sein de mère fonction publique, ils
défendent la baisse des impôts mais ne crachent pas sur une
bonne petite subvention ou remise fiscale.
Tous les énarques ne méritent pas l'opprobre, certains sont
remarquables et nombreux sont ceux qui dénoncent les dérives de
la nomenklatura énarchique. De même, les comportements
irresponsables ne sont pas l'apanage des PDG énarques. Mais la
promiscuité d'énarques à la tête des entreprises
du CAC 40 et des principales directions des services publics
créée une confusion d'intérêts malsaine qui ne
conduit pas nos entreprises et les lois qui encadrent leurs activités
dans la bonne direction.
Tous les énarques ne peuvent espérer devenir top managers des
grands groupes. Aussi sont ils encore plus nombreux à avoir choisi une
voie d'épanouissement plus sexy que les bureaux sombres des
ministères : la politique. Jacques Chirac, Dominique de Villepin, et
avant eux MM. Juppé, Giscard d'Estaing, Rocard, Fabius sont les
exemples les plus représentatifs de la réussite de la
nomenklatura énarchique en tant que classe politique dominante.
Pour augmenter leurs opportunités de réaliser de belles
carrières, les énarques ont instauré, pas à pas,
des lois qui sécurisent leur parcours politique, et qui là aussi
bénéficient aux autres fonctionnaires. Bien sûr, comme
pour ceux qui partent en entreprise, le retour dans l'administration, avec
carrière reconstituée, leur est garanti pour le cas où
un caprice des électeurs les renverrait dans vos foyers. Voilà
qui explique que plus de la moitié de nos députés soient
issus des rangs de la fonction publique, et pourquoi les énarques sont
si nombreux au sommet de cette hiérarchie.
Deuxièmement, ils peuvent cumuler deux mandats électifs, (et
encore cette réduction à deux du nombre maximal de mandats est
elle récente), et les lois successives qu'ils se sont auto
rédigées leurs garantissent qu'ils ne manqueront non seulement
pas de fauteuils électifs à occuper, mais que des postes non
électifs leurs seront de surcroît ouverts. Maires, Conseillers
généraux, régionaux, députés,
sénateurs, mais aussi présidents d'intercommunalités, de
syndicats d'adduction divers et variés, de sociétés d'économies
mixtes, de sociétés d'HLM, observatoires, conseils consulaires,
et autres machins fertilisés à l'argent public toujours plus
nombreux garantissent cumuls de salaires, de jetons de présence,
d'avantages en nature qui permettent aux plus hauts gradés de la
fratrie de jouir de trains de vie inaccessibles au commun des mortels.
Tout comme Mikhail Voslenski ou Milan Djilas l'avaient constaté
pour les nomenklaturas des pays de l'est, l'énarchie et ses suiveurs
s'est mutée en classe exploiteuse de la richesse Française,
prête à tout pour accumuler de nouveaux avantages et surtout
pour les conserver, malgré les protestations encore timides mais tout
de même croissantes de l'opinion et de la société civile.
Il y a toujours un parachute doré qui attend un politicien
déchu.
Pourrait on imaginer, dans un autre pays, un politicien de haut rang perdant
deux fois la course à la présidence qui ne disparaîtrait
pas de la vie politique ? Jacques Chirac et François Mitterrand ont
pourtant réussi cette gageure, parce qu'ils ont toujours
bénéficié de confortables sinécures pour
continuer à mener à grand tain leur vie politique après
leurs défaites initiales.
Peut on alors s'étonner que ces politiciens ne soient guère
portés à aimer le libéralisme politique et ce qu'il
suppose en terme de compétition et de transparence des mœurs
financières ? Et quand bien même certains d'entre eux seraient
portés à regarder nos idées avec bienveillance, faut il
s'étonner que leurs entourages d'énarques les poussent à
modérer leurs ardeurs ? faut il s'étonner que des membres de
démocratie libérale, tels que Jean Pierre Raffarin, une fois
parvenus au gouvernement, se soient faits les défenseurs
acharnés de l'action publique et des vieilles recettes
éculées du keynesianisme ? Voilà pourquoi il est
particulièrement difficile de concevoir de vraies réformes
libérales en France.
L'accommodation aux extrêmes
Nous avons vu que le centralisme des institutions françaises a permis
une pénétration forte de certains groupes militants parfois
extrémistes dans des lieux où leur action peut se
révéler fort efficace, et qu'une nomenklatura tirant profit de
l'interventionnisme d'état a établi des positions très
solides pour accaparer toujours plus de privilèges. Cette nomenklatura
a trouvé, historiquement, un intérêt à composer
avec les forces de gauche, y compris extrêmes, pour établir des
lignes de défenses contre tout courant réformateur.
Historiquement, Charles de Gaulle, lors de son retour au pouvoir en 1958, n'a
pas cherché à remettre en cause les résultats des
opérations d'infiltration réussies par les communistes au sein
de la fonction publique. Sans doute sa politique étrangère
visant à améliorer les relations de la France avec l'Union
Soviétique l'a-t-elle conduit à ne pas rechercher de conflit
trop marqué avec le PCF. Mais sans doute y avait-il aussi de sa part
un calcul politique. De Gaulle considérait que tant que le PCF
resterait la première composante de la gauche Française, celle
ci n'aurait aucune chance d'occuper le pouvoir . L'ascension du PS survenue
après sa mort, sous l'impulsion de François Mitterrand, a
montré a posteriori combien cette analyse était pertinente. La
droite conservatrice menée par l'UDR (ancêtre du RPR puis de
l'UMP) a ainsi pu engranger succès électoral sur succès
électoral, les victoires écrasantes de juin 68 et de Georges
Pompidou en 1969 constituant l'apogée de la réussite de cette
stratégie d'accommodation avec la frange la plus extrémiste
de l'opposition.
Giscard, premier président énarque et pur représentant
des intérêts de la nouvelle oligarchie, poursuivra dans cette
voie un peu par stratégie, beaucoup par faiblesse, en étant le
premier président à tolérer sans réaction
significative des grèves paralysantes, voire des séquestrations
de dirigeants d'entreprise, qu'elles soient le fait de pêcheurs,
d'agriculteurs, ou d'autres corporations. Sans doute espérait-il que
l'électorat flottant, effrayé par la perspective de voir
arriver au pouvoir des personnes se livrant à de telles exactions,
apporte ses voix à une droite paternaliste et négociatrice au
côté rassurant. Stratégie perdante: après avoir
frôlé la correctionnelle en 1978, il sera balayé par la
vague rose de 1981.
François Mitterrand reprendra à son compte la politique
d'accommodation avec la frange extrémiste de son opposition politique,
favorisant l'ascension de Jean Marie Le Pen, électoralement inexistant
avant 1981, ce qui lui permettra d'affaiblir suffisamment la droite «
historique » pour remporter un deuxième mandat en 1988. Jacques
Chirac tente de perpétuer cette tradition « accommodante »
en exonérant un José Bové de ses délits relevant
du droit commun, en accordant de généreux subsides du
contribuables à des associations telles qu'ATTAC, ou en mobilisant ses
amis politiques pour sauver « l'huma » d'une faillite
retentissante, espérant ainsi de priver le PS des voix
nécessaires pour vaincre l'UMP en 2007.
Cet effacement du débat d'idées au profit de compromis «
Münichois » permanents ont eu pour effet de consolider le
pouvoir des grands partis fortement investis par la nomenkaltura issue de la
fonction publique et de l'ENA.
Mais elle a eu pour effet secondaire d'instaurer un consensus mou entre
droite et gauche de gouvernement sur la marche des affaires publiques. Il est
bien difficile aujourd'hui de distinguer des différences profondes
entre les modes d'action du PS et ceux de l'UMP lorsqu'ils occupent le
pouvoir. Dans tous les cas, l'intervention publique assise sur un
prélèvement massif d'argent dans les poches des contribuables
est à la base de leur action, les dépenses se perpétuent
d'une législature à l'autre, avec quelques différences
marginales reflétant surtout la différence des
clientèles politiques dont chaque parti tire son noyau dur
électoral.
L'étouffement de la société civile
Pour cette oligarchie, l'éclosion d'un consensus libéral large
au sein de la population serait catastrophique. Réduction de la
sphère d'intervention publique et implosion corollaire du nombre de
fauteuils présidentiels et directoriaux, séparation nette du
politique et des affaires, magnification de la concurrence et de la
progression aux résultats, y compris au sein de la fonction publique,
ces fondamentaux de la doctrine libérale ne peuvent en aucun cas
séduire une noblesse d'état « accro » aux
privilégiatures financées par le contribuable. Il convient donc
d'instaurer des mécanismes de défense contre les idées
libérales, perçues tant par la droite « conservatrice
» que par la gauche comme le principal danger non pour le pays, mais
pour la « république des copains ».
Le premier niveau de défense est la mise en place d'un écheveau
inextricable d'avantages, de subventions, d'aides et de règlements
protecteurs donnant l'illusion à presque tous les français
qu'ils sont bénéficiaires nets du système.
L'énarchie a véritablement réussi à transformer
l'état français en cette grande fiction selon laquelle tout le
monde croit vivre aux dépens de tout le monde chère à
Frédéric Bastiat. Et voilà pourquoi il est si difficile
de remettre en cause ce système si faussement généreux.
L'on pourra rétorquer que la France n'est pas le seul pays où
les démagogues sont tentés d'arroser leur clientèle de
généreux subsides.
Mais la technocratie a soigneusement veillé à ce que les contre
pouvoirs à cette démagogie soient de pure forme. Il n'y a
à ce jour pas de contrôle parlementaire réel de la
qualité des dépenses publics. Pas de National Audit Office
à l'anglaise ou à la suédoise chez nous. De plus,
jusqu'au présent exercice, le budget préparé par les
technocrates et voté par le parlement était
présenté de telle manière que ces derniers ne
pouvaient guère en comprendre la substance, et ne leur laissait
guère de marge de manœuvre. Et il aura fallu 5 ans entre le vote
en 2001 de la loi clarifiant la présentation budgétaire (la
LOLF) devenue inévitable pour cause de finances publiques en
déroute, et son entrée en vigueur effective pour le
prochain exercice budgétaire, ce qui montre bien à quel niveau
de résistance à la réforme notre classe
politico-administrative est parvenue.
Mais cela ne suffit pas. Il ne faudrait pas que de la société
civile puisse émerger des courants libéraux forts. Aussi des
lois visant à limiter la capacité de la société
civile de trouver ses propres financements hors de la tutelle de
l'état ont été promulguées.
La France compte étonnamment peu de laboratoires d'idées
privés, ces « think tanks » qui ont tant fait pour
enrichir le débat d'idées dans les pays anglo-saxons ou
aujourd'hui dans les anciens pays de l'est. Il faut dire que les
possibilité de financements privés individuels sont limités
d'une part par le niveau des prélèvements obligatoires sur les
ménages français, ce qui limite leur capacité de soutien
d'organisations non gouvernementales, et que d'autre part les financements
directs d'entreprise, legs et donations importantes vers des fondations privées
ne sont possibles dans des conditions fiscalements correctes
(exonération de droits de donation, déductibilité
importante des comptes pour les entreprises comme pour les particuliers) que
si ces fondations sont reconnues d'utilité publique, ce qui suppose le
respect d'un cahier des charges fixé par l'état dans lequel les
think tanks ne trouvent guère de place, ou placées sous
l'égide de la fondation de France, un organisme de droit privé
largement encadré par l'état français et n'accepte de
parrainer - contre rétribution- des fondations qu'au compte goutte, et
selon des critères très orientés vers l'action «
sociale ».
Pis encore, au motif parfaitement fallacieux de combattre la corruption
endémique qui a fait les choux gras de la presse à scandales
dans les années 90, des lois instaurant un financement essentiellement
public des partis politiques ont été instaurées,
subsides inaccessibles aux partis n'atteignant pas 5% des suffrages.
Démocratie Libérale fut la principale victime de ce système
en 2002, d'autres partis connaîtront certainement de graves
difficultés en 2007. Cette loi prépare l'éviction
progressive des petits partis de la vie politique et sa tripolarisation entre
le PS, l'UMP, et peut être le Front National. Difficile pour les libéraux
de trouver leur place au sein de cette troïka étatiste...
Malgré tous ces obstacles, une résurgence de l'idée
libérale ainsi qu'une remise en cause des pouvoirs de
l'énarchie sont observées en France. En effet, il devient de
plus en plus difficile de masquer l'échec manifeste d'une classe
politique vieillissante arc-boutée sur ses vieilles recettes, et de
cacher les réussites libérales hors de nos frontières.
Fort heureusement pour notre élite, le volet répressif des
institutions françaises, unique au sein des grands pays
considérés comme démocratiques, vient à son
secours.
Certes, la France doit préserver au plan international une image
parfaitement usurpée de pays des droits de l'homme. Il convient donc
de préserver certaines apparences. Mais quiconque représentera
un danger trop important pour le pouvoir en place risquera gros. Les pouvoirs
politiques successifs ont mis en place un système de «
répression douce » dont ils n'hésitent pas à se
servir .
On se souvient des chausses trappes posées sous les pas du commissaire
Antoine Gaudino et du regretté juge Thierry Jean Pierre lorsqu'ils
eurent à enquêter sur les turpitudes financières du PS.
On sait moins que lorsqu'un journaliste découvre des faits mettant en
doute la déontologie ou l'honnêteté de tel ou tel
édile, son éditeur risque la censure ou la faillite sous divers
motifs.
La XVIIème chambre correctionnelle du tribunal de Paris a pour mission
de veiller à ce que tout écrit de telle nature puisse
être interdit avant sa parution, ou entraîner de telles
pénalités financières contre celui qui aura
publié l'écrit coupable que celui ci y réfléchira
à deux fois.
Cette censure légale s'appuie sur des lois votées sur mesure
par la classe politique offrant une définition particulièrement
vague et extensive de la protection de la vie privée. Ainsi, si un
président de la république a une maîtresse, cela
relève de sa vie privée, tout le monde pourra l'admettre. Mais
si cette maîtresse est logée à grands frais par le contribuable,
le bon sens suggère que le fait en question quitte la sphère
privée et puisse faire l'objet de publication.
Pas en France, ou la commission de faits, même délictueux, dans
l'exercice même partiel de la vie privée, est couverte par ces
lois de protection. Le fait de révéler des faits exacts et
compromettants pourra entraîner versement de réparations
à l'auteur des faits à ce motif, ou à celui qu'il y
aurait « volonté de nuire » de la part de celui qui publie
l'information. De quoi rendre un éditeur prudent !
Il y a de fait une sorte d'auto censure pratiquée par les
éditeurs et les organes de presse. Les directeurs de publication sont
sans arrêt tiraillés entre la perspective de profit
émanant de révélations sensationnelles, et les risques
financiers si un procès intenté par les personnes «
diffamées » tourne mal .
Si cela ne suffit pas, d'autres moyens tout aussi peu dignes d'une
démocratie moderne peuvent être (et ont effectivement
été) utilisés contre des journalistes ou des auteurs
trop dérangeants. Le contrôle fiscal est une arme bien
connue des politiciens. En France, il pour caractéristiques de pouvoir
être déclenché hors de tout contrôle
judiciaire et d'imposer un renversement a priori de la charge de la
preuve, l'accusé devant prouver a priori qu'il est innocent des
charges retenues contre lui par l'administration fiscale. Certes, le citoyen
dans son bon droit pourra peut être après des années de
procédures se voir rétabli dans ces droits, mais il faut une
force peu commune pour résister à la pression d'un tel
mastodonte administratif.
Mais il y a pire. La France compte une police politique fondée sous
Vichy et qu'aucun gouvernement d'après guerre n'a cru bon de juger
indigne d'une démocratie respectueuse des droits individuels. Les
renseignements généraux, puisque c'est d'eux qu'il s'agit, sont
souvent utilisés bien au delà des missions normales d'une
police pour enquêter hors de toute procédure judiciaire sur des
citoyens ordinaires. Récemment, ce sont les activistes de
l'association libérale « liberté chérie »
qui ont été soumis à l'attention spéciale des
renseignements généraux lors d'une manifestation du 8 mai
2005, sous forme de consignes d'arrestation préventive !
Lorsque ces faits avérés sont présentés à
des auditoires étrangers, l'incrédulité est en
général de mise. L'image de la France, pays des lumières
et des droits de l'homme, patrie de Voltaire, Tocqueville et Montesquieu, a
encore la vie dure. Mais le fait est que la France est certainement
aujourd'hui l'une des démocraties où les droits fondamentaux de
l'individu, au sens de 1789, sont les moins bien respectés. Nous
sommes, heureusement, encore loin d'être une Union
Soviétique qui aurait réussi, comme aiment à le dire
certains qui n'ont sans doute jamais mis les pieds en Russie, mais si nous ne
réagissons pas, notre état providence et ses gardiens nous
mèneront sans crier gare au bout de la route de la servitude
décrite par Hayek.
Des raisons d'espérer ?
Fort heureusement, le socle démocratique de nos institutions
résiste tant bien que mal à ces assauts contre nos
libertés. Les critiques contre ce système se font de plus en
plus pressantes, pas un mois ne s'écoule sans que ne soient
publiés des ouvrages dénonçant ces travers. Depuis le
vote négatif contre la constitution, pas une journée sans que
des éditorialistes ou des politiques remettent en cause leurs
certitudes étatistes et ne s'interrogent sur les réussites
libérales hors de nos frontières, de la Grande Bretagne
à l'Islande en passant par l'Australie et la Nouvelle Zélande.
Un ministre des finances (vite remis au pas par son premier ministre) ose
parler du vrai niveau d'endettement de l'état. Un élu
socialiste de poids lance une motion au congrès du PS pour
défendre le « socialisme de Tony Blair ». Un
présidentiable lance dans la presse un hommage discret mais
remarqué à l'action de Margareth Thatcher. Un groupe de
députés réformateurs libéraux dont les effectifs
ont triplé en deux ans. Pas de quoi crier victoire, surtout lorsque
dans le même temps, le président de la république
multiplie les attaques grandiloquentes contre toute évolution (pardon,
« dérive ») plus libérale de l'Union
Européenne, au point de menacer la survie de l'Organisation Mondiale
du Commerce pour défendre les subventions versées à
quelques grands électeurs. Mais voilà quelques signes
intérieurs encourageants : afficher son adhésion aux
idées libérales ne semble plus tabou et ne vous marque plus du
sceau de l'infamie.
La pression extérieure pourrait nous obliger à entamer des
réformes libérales d'envergure plus vite que ne le voudraient
certains. Certains organismes de cotation, devant l'énormité de
nos engagements peu ou pas provisionnés, l'envergure de nos
déficits et notre incapacité à les résorber,
envisagent ouvertement de dégrader la dette de quelques grandes
nations européennes. Cela pousserait les taux auxquels l'état
Français emprunte à la hausse, ce qui aurait des
conséquences dramatiques sur nos finances, puisque le seul produit de
l'impôt sur le revenu suffit à peine à payer les
intérêts de nos 1100 milliards d'Euros de dettes. Risquons nous
de connaître une crise telle que la Suède l'a connue en
1992-1993, ou saurons nous l'éviter à temps ? Et saurons nous
réagir avec le même pragmatisme que ces derniers, qui, pour
sortir de la crise, on abattu des pans entiers de leur état providence
?
Mais de tels progrès, purement hypothétiques en l'état
actuel de la société Française, ne pourront s'accomplir
durablement si des évolutions profondes de la société ne
permettent pas aux idées libérales de trouver leur espace
d'expression.
Entendons nous bien, il n'est pas question, a l'instar des disciples
d'Antonio Gramsci, de vouloir remplacer une hégémonie
intellectuelle par une autre. Nous pensons simplement qu'il est bon de
créer un cadre plus propice à la compétition des
idées, compétition dans laquelle les thèses que nous
défendons auront toutes les chances de séduire, parce que
malgré le handicap marketing Schumpeterien décrit
précédemment, elles s'imposent à la raison dès
que l'on se donne la peine d'analyser les phénomènes
économiques et sociologiques en profondeur, et de mettre en regard de
ce qui se voit, ce qui ne se voit pas.
Il faut petit à petit faire tomber tous les obstacles au pluralisme
décrits au long de cet article. Il faut en finir avec l'unicité
des programmes scolaires et de l'éducation nationale, en
remplaçant le financement direct de l'école publique par un
chèque éducation versé aux familles, libres d'inscrire
leurs enfants dans un réseau d'écoles concurrentes.
Il faut en finir avec toute forme d'aide à la Presse pour que celle ci
ne se sente pas obligée de retenir sa plume contre les très
grandes fautes et turpitudes de nos dirigeants. Il faut en finir avec les
lois confondant protection de la vie privée et inerdiction du droit
à l'information sur les dérives des individus dans le cadre de
leurs mandats publics, il faut restaurer une pleine et entière
liberté d'enquêter et de restituer les résultats de ces
enquêtes pour la presse, les sociétés d'édition,
ou toute autre personne qui agirait sous sa responsabilité
personnelle. Il faut en finir avec l'usage de moyens de pression dignes de
régimes autoritaires pour réduire au silence ceux qui exercent
trop bien ces métiers d'investigation.
Il faut rendre aux artistes leur dignité et leur liberté en
faisant de la rencontre du public la condition de leur succès,
supprimer toute forme d'aide publique à la création culturelle.
Il faut abolir le duopole de l'école polytechnique et surtout de l'ENA
sur la haute administration, recruter les dirigeants publics dans la
société civile et sous statut de droit privé, les
rémunérer en fonction de leur résultats, ce qui
supposera de réduire le nombre pharamineux de fauteuils dirigeants
actuels, donc d'organismes publics. Il faut forcer ceux qui préfèreront
les affaires ou la politique au service public à démissionner,
instaurer des lignes de partage claires entre ces mondes dont
l'acoquinement est toujours porteur de dérives
financières et démocratiques. Il faut en finir avec la
« sécurité de l'emploi » des hauts politiques en
interdisant tout cumul de mandats et tout scrutin de liste qui assure aux
politiciens professionnels des carrières lucratives même en cas
d'échec.
Il faut profiter de la mise en œuvre salutaire d'une procédure
budgétaire lisible pour aller jusqu'au bout de la démarche et
transformer la cour des comptes en bras armé du parlement pour
forcer les institutions publiques à améliorer leur
productivité.
Il faut restaurer une société civile dynamique en
libérant de toute tutelle publique le financement des partis
politiques ou de fondations privées, et en permettant aux
assemblées générales d'entreprises de décider
librement d'aider des organisations non lucratives dont ils partagent les
valeurs, il faut en finir avec ces lois limitant le droit du citoyen d'user
de l'argent qu'il a gagné honnêtement à sa guise.
Enfin, nous autres libéraux, nous devons dénoncer les
comportements anti-libéraux de certains grands acteurs du capitalisme
avec autant de force que nous pourfendons l'incurie des syndicats ou des
partis politiques étatistes. Nous devons tout faire pour que la
recherche de rente de situation ou l'abus de position dominante des plus
puissants ne puisse faire l'objet d'assimilation à la doctrine
libérale, comme nos adversaires ont beau jeu de le faire actuellement.
C'est à ces conditions que la vie publique et le débat
d'idées trouveront en France un nouveau souffle et que des voies de
réforme authentiquement libérales de la société
pourront rencontrer durablement les faveurs de l'opinion.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
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