La situation en Grèce se
réduit tout simplement au plus gros problème auquel fait aujourd’hui face le
système financier, le collatéral.
Selon la théorie
financière moderne, les obligations souveraines sont les actifs financiers
qui présentent le moins de risque (les équités, les obligations municipales
ou encore d’entreprises sont toutes inférieurs aux obligations souveraines en
termes de risque). Cela s’explique par le fait qu’il est bien plus facile
pour une société de faire faillite que pour un pays.
Pour cette raison, le
système financier occidental dans son ensemble a vu les obligations
souveraines (américaines, allemandes, japonaises, etc.) devenir les actifs
les plus utilisés en tant que collatéral, avec plusieurs centaines de
trillions de dollars.
Le marché des produits
dérivés représente 700 trillions de dollars à l’échelle globale. C’est plus
de dix fois le PIB de la planète. Et les obligations souveraines… à l’inclusion
des obligations émises par les nations en banqueroute comme la Grèce… sont les
actifs principalement utilisés pour garantir ces transactions.
Au beau milieu des
mesures d’austérité et du ratio dette/PIB de la Grèce se trouve le véritable
problème qui fait face aux banques et aux régulateurs de l’Union européenne :
qu’arrivera-t-il aux transactions que les banques européennes ont finalisées
en utilisant des obligations souveraines grecques comme collatéral ?
C’est un point qui a été
complètement ignoré par les médias. Mais en lisant entre les lignes, il est
possible de comprendre ce qui s’est réellement passé avec les précédents
plans de sauvetage accordés à la Grèce.
Souvenez-vous que :
1) Avant que la Grèce ne
reçoive son second plan de sauvetage, la BCE a échangé ses obligations
souveraines grecques contre de nouvelles obligations qui ne subiraient pas de
décote.
2) 80% de l’argent
concerné par ce plan de sauvetage a été redirigé vers les banques européennes
qui possédaient des obligations grecques, et n’a jamais intégré l’économie
grecque.
Pour ce qui est du
premier point, avant le second plan de sauvetage accordé à la Grèce, la BCE
autorisait les nations et banques de l’Union européenne de porter des
obligations souveraines sur ses bilans en échange de liquide. C’est un
mécanisme qui a été rendu possible par les Opérations de refinancement à plus
long terme 1 et 2, lancées respectivement en décembre 2011 et en février
2012. Collectivement, ces opérations ont entraîné l’accumulation de plus d’un
trillion d’euros d’obligations souveraines sur les bilans de la BCE.
Une grande partie de ces
obligations provenaient de la Grèce, puisque tout le monde en Europe savait
que le pays était en banqueroute.
Quand la BCE a pris la
décision d’échanger ses obligations grecques contre de nouvelles obligations
qui ne subiraient pas de décote suite au deuxième plan de sauvetage grec,
elle s’est assurée à ce que les obligations grecques sur ses bilans demeurent
intouchables et puissent continuer de jouer le rôle de collatéral pour les
banques qui les lui avaient prêtées.
La BCE a donc autorisé
les banques qui avaient déposé des obligations grecques sur ses bilans à
éviter une perte… et à éviter d’avoir à lever davantage de collatéral pour
leurs portefeuilles commerciaux.
Ce qui nous mène au
deuxième problème que représente le deuxième plan de sauvetage grec :
80% de l’argent versé a été redirigé vers les banques de l’Union européenne
porteuses d’obligations, et non vers l’économie grecque.
Une fois encore, il
était question d’offrir de l’argent aux banques qui utilisaient les
obligations grecques comme collatéral, afin de s’assurer à ce qu’elles
disposent de suffisamment de capital.
Il est clair que la
situation grecque n’avait en réalité rien à voir avec une remise sur pieds de
la Grèce. Oubliez la dette grecque, les mouvements protestataires et les
décisions politiques… Les pans de sauvetage n’avaient pour objectif que de s’assurer
à ce que les banques européennes porteuses d’obligations grecques puissent
rester sur pieds.
C’est pourquoi les
négociations qui se tiennent actuellement en Grèce ne se résument qu’à une
chose : impliqueront-elles une restructuration véritable de la dette
grecque qui affectera l’ensemble des détenteurs d’obligations ?
C’est ce que souhaite la
Grèce. Les dirigeants de la BCE et de l’Union européenne pensent qu’une
décote de la dette grecque pourrait :
1) Faire
imploser une petite mais significative quantité des transactions sur dérivés
de crédit des banques de l’Union européenne.
2) Pousser l’Espagne, l’Italie
et finalement la France à demander des programmes similaires. Ce qui devrait
représenter la restructuration de plus de 3 trillions de dollars de
collatéral haut de gamme (un collatéral qui soutient plus de 30 trillions de
transactions sur dérivés de crédit).
Dans l’ensemble, les
banques ont un effet de levier de 26 pour un. A ce niveau, même une baisse de
4% des prix des actifs suffirait à anéantir l’intégralité de votre capital.
Une décote de la dette grecque, espagnole, italienne et française
représenterait bien plus que 4%.
Une nouvelle crise
approche. La BCE a acheté du temps en promettant de faire « tout le
nécessaire », mais la bulle globale sur les obligations est sur le point
d’éclater. Et lorsqu’elle le fera, 2008 ressemblera à une vieille
plaisanterie.
|