Il semblerait que les articles et
études qui font état de l’éventuel remplacement du
dollar par le renminbi en tant que devise de référence internationale
soient à nouveau d’actualité.
Voici ci-dessous un extrait du document de
travail d’Arvind Subramanian
et Martin Kessler, du Peterson Institute of International Economics,
intitulé The
Renminbi Bloc is Here: Asia Down, Rest of the World to
Go?
L’élévation
d’une nation au rang de puissance économique dominante tend
à être accompagnée d’une transformation de sa
devise en tant que référence monétaire internationale, les
autres devises s’y rattachant peu à peu, que ce soit
implicitement ou explicitement. Pour ce qui est de ces deux dernières
années, le renminbi est devenu une devise de référence
au sein des économies émergeantes, et présente
désormais une corrélation très forte avec de nombreuses
autres devises. En Asie de l’Est, il existe déjà un bloc
de devises liées au renminbi, au sein duquel la devise Chinoise sert
de référence et éclipse le dollar, ce qui
représente clairement une transformation historique.
Les mêmes auteurs
développent également leurs idées dans un autre article
intitulé China’s currency
rises in the US backyard,
et publié dans le Financial Times.
L’Asie
de l’Est pourrait aujourd’hui être appelée bloc
renminbi, parce que les devises de 7 des 10 pays de la région –
dont la Corée du Sud, l’Indonésie, Taïwan, la
Malaisie, Singapour et la Thaïlande – prêtent
désormais plus d’attention au cours du renminbi
qu’à celui du dollar. Pour citer un exemple, depuis le milieu de
l’année 2010, le won Coréen et le renminbi Chinois se
sont appréciés du même degré par rapport au
dollar. Seules trois économies d’Asie de l’Est –
Hong Kong, Vietnam et Mongolie – suivent encore davantage le cours du
dollar que celui du renminbi.
Cette
transformation dérive du rôle de trader récemment acquis
par la Chine, dont la part du commerce manufacturier en Asie de l’Est
est passée de 2% en 1991 à 22% aujourd’hui. Les pays qui
vendent sur le marché Chinois ou qui se concentrent sur les chaines
d’approvisionnement Chinoises comprennent les avantages du maintien
d’un taux de change stable avec le renminbi.
Il y a deux
informations que nous pouvons tirer de tout cela. La première est que
la dominance économique internationale continue de se déplacer
depuis les Etats-Unis vers la Chine. Non seulement la Chine est la
première puissance économique mondiale en termes de
parité de pouvoir d’achat, le plus important exportateur et,
depuis maintenant une dizaine d’année, le premier
créditeur de la planète, le bloc du renminbi a récemment
pris le dessus sur le bloc du dollar en Asie. Le caractère symbolique
de cette transformation ne peut être sous-estimé, puisque
l’Asie du Sud-Est, malgré sa distance
avec les Etats-Unis, a durant longtemps été
l’arrière-cour du dollar.
Comme un
air de déjà vu
L’analyse
de Subramanian et de Martin Kessler
n’est autre que la répétition d’arguments faciles
à réfuter qui font surface de temps à autres.
Trois
points essentiels
1.
Le marché des obligations Chinoises
n’est pas assez important pour que le yuan prenne le dessus sur le
dollar.
2.
Contrairement à ce que peuvent penser
la plupart des gens, voir sa devise devenir une référence
internationale est une malédiction plus qu’une
bénédiction.
3.
Ni la Chine ni les Etats-Unis ne veulent
posséder la devise de référence internationale.
Le premier point scelle à lui seul le
destin du renminbi, mais jetons toutefois un œil sur ce qu’est la
‘malédiction de la devise de référence’.
Michael Pettis, de
chez China Financial Markets,
développe par email les points 2 et 3…
Je pense
que tout cela veut dire bien moins qu’il n’y paraît.
J’ai moi-même de nombreuses fois exprimé mon scepticisme
au sujet de ce que l’on entend souvent dire à propos de la
devise de référence et tout particulièrement des
arguments qui tentent de tirer des ‘leçons de
l’Histoire’. L’Histoire ne peut que très
difficilement prouver les nombreuses déclarations qui sont faites au
sujet du statut de réserve de devise, simplement parce que le passage
d’une réserve de devise dominante à une autre est un
phénomène auquel nous n’avons pu assister qu’une
seule fois entre 1920 et 1940, avec le passage de la livre sterling au
dollar.
Mais
laissons de côté l’Histoire. Il est un argument bien plus
important qui puisse réfuter le fait que le renminbi soit sur le point
de devenir devise de référence internationale. Le statut de
devise de référence implique des coûts substantiels au
pays émetteur de la devise – point sur lequel je reviendrai dans
mon livre à paraître en février prochain chez Princeton University Press. Je ne pense
pas que le statut de devise de référence internationale du
dollar apporte aux Etats-Unis un privilège exorbitant. Il semblerait
même qu’il représente un fardeau pour
l’économie Américaine et qu’il n’offre aux
Etats-Unis que le choix entre une augmentation de la dette ou une
augmentation du chômage à chaque fois qu’un pays tente de
stimuler son taux d’épargne ou son surplus de balance
commerciale à la hausse.
C’est
pour cette raison que je n’ai jamais pensé que le renminbi
deviendrait une importante réserve de devise internationale –
Pékin a clairement indiqué qu’elle n’accepterait
pas de supporter les coûts qu’implique une devise de
référence. En plus du fait qu’un tel statut
requière la libéralisation totale du compte de capital du pays
émetteur et un système financier flexible en grande partie
indépendant du contrôle du gouvernement, il placerait la Chine
à la merci des nations cherchant à stimuler leur croissance
nationale grâce à un important surplus de leur balance
commerciale. Et Pékin n’est pas prêt de laisser cela se
produire.
Mais
qu’en est-il des avantages apportés par une devise de
référence internationale – ne pèsent-ils pas plus
lourd sur la balance que ses inconvénients ? Les deux avantages
que pourrait selon certains tirer la Chine du passage du renminbi au rang de
devise de référence internationale sont la capacité de
pouvoir emprunter dans sa propre devise, et d’être
protégée contre l’accumulation de réserves de
devises étrangères trop importantes.
Le
premier de ces ‘avantages’ n’a cependant rien à voir
avec le statut de devise de référence internationale. De
nombreux pays, dont la Chine, contractent déjà des emprunts dans
leur propre devise. Ce qui importe ici, c’est là qualité
de leurs bilans financiers.
Pour ce qui
concerne la Chine, si le renminbi venait à devenir devise de
référence internationale, il serait bien plus difficile pour le
pays d’emprunter en sa propre devise. Pourquoi ? Parce que la
raison pour laquelle le gouvernement Chinois peut contracter si facilement
des emprunts en renminbi est liée aux restrictions de flux de capitaux
et aux contrôles de l’épargne domestique par le
système bancaire. Un allègement de ces contraintes, qui serait
nécessaire si le renminbi venait à devenir devise de
référence internationale, rendrait le financement domestique de
la Chine bien plus complexe.
Le
deuxième de ces ‘avantages’ est complètement
absurde. Mis à part le fait qu’aucun pays ne puisse utiliser sa
propre devise dans le cadre de son accumulation de réserves de devises
étrangères, la taille de ces dernières n’a rien
à voir avec le fait que d’autres pays acceptent ou non sa devise
comme devise de référence. L’accumulation de
réserves de devises étrangères d’une nation
s’explique par la somme de son compte courant et de son compte de
capital.
Toute
nation dont ces deux comptes sont en surplus doit accumuler des devises
étrangères, et la raison pour laquelle l’Allemagne
possède un important surplus de compte courant et aucune
réserve de devise étrangère est simplement qu’elle
possède un important déficit de compte de capital. Plutôt
que de recycler son surplus de compte courant en laissant sa banque centrale
prêter aux gouvernements étrangers, comme le fait la banque
centrale Chinoise, elle le recycle en laissant les banques Allemandes
prêter à d’autres nations de la zone Euro.
Rien de
plus qu’une question de mathématiques
Mais
laissons tout cela de côté. L’étude d’Arvind Subramanian et Martin Kessler indique que, peu importe ce que peuvent bien
penser les gens comme moi, le renminbi est bel et bien en train de prendre la
place du dollar. Mais quel est l’argument qu’ils mettent en
avant ?
En Asie
de l’Est, il existe un bloc du renminbi, parce que ce dernier y est
déjà devenu la devise de référence dominante et y
a déjà éclipsé le dollar. Dans cette
région du monde, 7 devises sur 10 fluctuent désormais par
rapport au renminbi plutôt que par rapport au dollar, leur
corrélation avec le cours du renminbi étant 40% plus importante
que leur corrélation avec celui du dollar.
Et qui
peut bien argumenter contre des exemples mathématiques ? Comme le
journal The Economist l’indique dans son
commentaire de cet article, ‘sept devises de la région fluctuent
plus en fonction du renminbi que du dollar’. Puisque cela ne nous
laisse que trois devises récalcitrantes, un calcul arithmétique
pur et simple suffit à démontrer le remplacement du dollar par
le renminbi dans cette région du monde.
C’est
du moins ce que l’on pourrait penser. Car figurez-vous qu’il est
possible d’argumenter contre des exemples mathématiques. Il
existe des explications alternatives – et bien plus simples –
à cette corrélation, qui selon moi décrivent bien mieux
ce qu’il se passe que les arguments de déplacement de dominance
de devise présentés par Subramanian
et Kessler.
Imaginez-vous
un instant un scénario dans lequel le plus important exportateur de
biens de la planète dispose d’une devise largement
sous-évaluée. Imaginez également que bon nombre de ses
compétiteurs possèdent eux aussi des devises
sous-évaluées et voudraient les réévaluer pour
mieux gérer leurs politiques monétaires domestiques. Imaginez
que le monde soit en pleine crise et que les nations exportatrices
éprouvent des difficultés à maintenir le taux de
croissance nécessaire de leurs exportations de telle manière
à ce qu’elles se retrouvent dans l’incapacité de
permettre à leur devise de grimper plus rapidement que celles de leurs
compétiteurs.
Dans un
tel scénario, sur quelle devise se fixeraient celles des plus petites
nations exportatrices ? Sur le dollar, ou sur la devise
sous-évaluée du plus important et du plus compétitif de
tous les exportateurs de biens manufacturés du monde ?
Très probablement sur la deuxième. Les plus petits pays
exportateurs voudraient voir grimper leur devise, mais se trouvent
limités par l’évaluation de la devise de leur plus
important compétiteur. Cette corrélation entre les devises des
pays d’Asie et le renminbi n’existe donc pas parce qu’elles
recherchent une nouvelle devise de référence, mais parce
qu’elles sont en compétition directe avec lui.
Mon
scénario représente-t-il une description plausible du monde
d’aujourd’hui ? Il me semble bien que oui. Notre monde
traverse une période difficile, les exportateurs éprouvent des
difficultés à commercer, les pays sont tous engagés dans
des guerres de dévaluation de devise et le renminbi est
dévalué et restreint sans aucun doute les devises des autres
pays d’Asie. Au cours de ces dernières années, de
nombreux ministres des Finances Asiatiques ont déclaré
qu’ils ne pourraient apprécier leur devise comme ils le
voudraient si le renminbi n’était pas préalablement
réévalué. Cela ne signifie donc pas
nécessairement qu’il existe un bloc du renminbi, mais que
l’appréciation du renminbi contre le dollar représente
une sorte de plafond restreignant les autres devises de la région.
Mais
penchons-nous sur un autre scénario. Imaginons-nous que le monde soit
en crise et que le dollar soit largement perçu comme une valeur de
protection financière. Dans notre monde, lorsque la perception du
risque augmente, les investisseurs et traders se débarrassent
généralement de leurs devises à risque et investissent
sur le dollar. En revanche, lorsque la perception du risque décline,
ils se débarrassent de leurs dollars et dirigent leur capital vers des
devises à plus haut risque.
Il
semblerait donc logique d’assister à une corrélation
entre les devises qui présentent le plus de risques. Cela
signifierait-il pour autant qu’un nouveau bloc de devises est sur le
point d’émerger ? Bien sûr que non. Cela prouve en
revanche que le dollar est la réserve de devise dominante et que tout
le monde l’appréhende comme tel, l’achetant et le vendant
en fonction des transformations liées à la perception du
risque. Mon second scénario est-il une représentation plausible
de notre monde ? Encore une fois, oui.
Je
n’essaie pas de dire que Subramanian et Kessler ont nécessairement tort. Je suggère
simplement qu’il existe des alternatives à leur opinion et que
mon explication relative à corrélation entre les devises
d’Asie de l’Est est bien plus plausible que leur idée de
nouveau bloc de devises. Il est clair que si le renminbi était une
devise flottante, que la banque centrale Chinoise cessait d’intervenir
et que les corrélations soulevées par les auteurs continuaient
d’exister, leur argument serait bien plus solide. Mais pour
l’instant, il n’a rien de pertinent.
Mais qui
est en tête ?
J’éprouve
cependant des différents avec les ‘optimistes des
Etats-Unis’ qui ne voudraient pas que le renminbi devienne la devise de
référence internationale et souhaitent que le dollar conserve
son titre. L’argument n’est pas de savoir si oui ou non le
renminbi est capable de prendre la place du dollar, mais si le prochain
siècle sera celui de la Chine, et si le remplacement du dollar par le
renminbi en tant que devise de référence internationale pourra
s’ensuivre.
J’ai
déjà répété de nombreuses fois que si les
Etats-Unis ne font rien pour prévenir les nations
étrangères d’obtenir des quantités
illimitées de dollars, en forçant par exemple, comme le
préconisait Keynes, leur accumulation de réserves de devises
majeures à être plus équilibrée, ils se trouveront
bientôt dans une position délicate et pourraient eux-mêmes
accélérer l’arrivée du siècle Chinois. Ceux
qui veulent que les Etats-Unis demeurent le seul ‘pays
indispensable’ devraient supporter un rôle plus important pour le
renminbi et une importance moindre pour le dollar.
Malheureusement,
ce qui devrait être une discussion technique au sujet des
mérites et des conditions requises au statut de devise de
référence internationale s’est transformée en une
discussion idiote entre les pro et les anti-Chine. Toute personne confluant son opinion
personnelle quant à celui des deux pays qui devrait être
au-dessus de l’autre et à l’éventuelle place du
renminbi en tant que devise de référence est, selon moi,
engagée dans une mauvaise voie économique.
Il y a
bien entendu de très nombreux journalistes, généraux et
hommes politiques en Chine qui pensent que le rôle du renminbi en tant
que devise de référence est désirable voire
inévitable. En revanche, très peu d’économistes
monétaires Chinois, même parmi ceux qui pensent que la Chine
devra passer par une phase d’ajustement difficile, sont d’avis
que le renminbi puisse bientôt devenir une devise de
référence internationale. Parmi les économistes, il
semblerait que seuls les étrangers vivant en dehors des
frontières de la Chine pensent un tel scénario plausible.
Petit
guide de compréhension
Certains
points de l’article ci-dessus pourraient s’avérer
difficiles à comprendre pour certains. Voyons donc si cette petite
simplification peut s’avérer utile :
·
Le département du Trésor des
Etats-Unis, le président Obama, Mitt Romney, et tout particulièrement Ben Bernanke, veulent que le yuan grimpe.
·
La Chine ne souhaite pas que sa devise grimpe
pour des raisons d’exportations.
·
Aucun pays n'agit comme s'il désirait
posséder la devise de référence internationale, parce
qu’aucun pays ne désire la posséder. Les guerres de
dévaluation de devise en sont une preuve suffisante.
Selon moi, Michael Pettis
est l’expert du commerce international. Je suis très heureux
qu’il participe, aux côtés de John Hussman,
James Chanos, John Mauldin
et Chris Martensen à la Wine Country Conference
le 5 avril prochain.
|