L’incohérence époustouflante
de la campagne électorale qui se joue aujourd’hui aux Etats-Unis ne fait que
refléter la choquante incapacité du public américain, en haut comme en bas, à
comprendre les réalités de notre époque. La plus urgente étant la contraction
économique globale. Ayant heurté de plein fouet le mur des ressources, et
notamment du pétrole abordable, l’économie techno-industrielle globale a
déraillé.
Il est évident qu’il existe
des façons pour l’Homme de peupler cette planète, peut-être même de manière
civilisée, mais certainement pas à l’échelle colossale du régime économique
d’aujourd’hui. Le destin de l’ordre actuel des choses n’a rien à voir avec
nos préférences personnelles. Nous devrons l’accepter que cela nous plaise ou
non ; et parce que la civilisation actuelle est une telle anomalie, il
nous faudra bientôt nous demander comment nous en retourner sans encombres à
une disposition nouvelle de la vie de tous les jours. Ni Trump ni Clinton ne
semblent avoir la moindre idée de ce qui se joue sous leurs yeux.
Le dilemme que je décris ici
est aussi appelé la fin de la croissance. L’impact romantique de ce
terme tend à paralyser même les esprits les plus cultivés, et tout
particulièrement les professeurs d’économie, les anciens avocats de Yale
devenus politiciens, les éditeurs du Wall Street Journal, les hommes
en costume qui arpentent les couloirs des étages de direction des grosses
corporations, et les bureaucrates de Washington. En l’absence de cette
croissance, telle qu’est est définie par les statistiques de l’emploi et de
la productivité qui jaillissent telles des bratwursts empoisonnées des poussoirs
à saucisses des agences du gouvernement, les élites ne peuvent voir plus loin
que l’abysse qui s’ouvre devant elles. Le manque d’imagination de nos élites
a parfois de quoi faire peur.
Comme c’est souvent le cas au
sein des sociétés trop mûres, trop matures, nos élites ont commencé à avoir
recours à des formules magiques pour sauvegarder nos arrangements actuels.
C’est pourquoi la Réserve fédérale, autrefois une organisation opérant dans
les ténèbres de la vie courante, est désormais à l’avant de la scène,
affairée à nous hypnotiser par ses incantations destinées à contrer les
ravages de la déflation de la dette (pour en savoir plus sur ce phénomène,
lisez l’essai de Ben Hunt intitulé Magical
thinking et disponible ici.)
L’une des manières de faire
face à ce problème serait de remplacer le terme « croissance » par
« activité ». Une société humaine est libre de choisir différentes
activités susceptibles de produire d’autres effets que le développement d’un
modèle de comportement techno-industriel. Elle pourrait choisir de développer
des fermes plutôt que des sociétés d’applications mobiles. Elle pourrait
opter pour le travail manuel plutôt que pour la télévision, construire des
villes plus compactes plutôt que des terrains vagues suburbains. Elle
pourrait choisir d’organiser des spectacles de marionnettes, des concerts,
des chorales plutôt que des Super Bowls et des vidéos pornographiques. Elle
pourrait fabriquer à la main des produits de qualité plutôt que de cracher à
la chaîne des biens qui ne passeront pas la semaine. Mais aucune de ces
activités alternatives ne qualifie de « croissance » pour notre
société actuelle. A dire vrai, elles sont même perçues comme représentant une
contraction. Même si elles pourraient nous apporter une organisation
satisfaisante et durable de la vie de tous les jours.
Les rackets et les fraudes que
nous déployons dans nos efforts de préserver les apparences ont détruit le
système financier dont dépend le régime actuel. Tout n’est plus qu’une
illusion établie par la fraude comptable pour nous cacher le fait que les
promesses ne seront jamais tenues. Tous les efforts des banques centrales,
qui cherchent à emprunter à l’avenir pour dissimuler l’absence de croissance
d’aujourd’hui, ne suffiront pas à cacher indéfiniment la non-remboursabilité
des sommes empruntées. Et la vengeance que nous réserve l’avenir est
claire : il nous prouvera que la richesse en laquelle nous croyons
n’existe pas – notamment celle représentée par les devises, les actions, les
obligations et autres instruments éphémères imaginés en tant que véhicules
d’accumulation de capital. Les actions ne valent pas ce qu’elles prétendent
valoir. Les obligations ne seront jamais remboursées. Les devises ne sont pas
des valeurs de réserve.
Comment en sommes-nous arrivés
là ?
Lentement d’abord.
Et puis tout d’un coup.
Nous entrerons bientôt en
collision avec ces malheureuses réalités, qui coïncident parfaitement avec
les vecteurs déplorables des politiques nationales qui ne sont autres que les
conséquences de l’inertie de l’échelle à laquelle nous avons organisés la vie
de tous les jours. Trump, convaincu de sa propre brillance, ne sait rien, et
porte son intolérance à la manière d’une médaille d’honneur. Clinton incarne
littéralement l’horreur de ces conséquences qui attendent de nous sauter au
visage – et l’idée que tout continuera d’aller pour le mieux si elle parvenait
à la Maison blanche. Quand ces deux gargouilles se feront face dans l’arène
des débats la semaine prochaine, nous n’entendrons rien de la réorganisation
de la vie courante.
Mais il existe une synergie évidente
entre la mauvaise gestion de notre monnaie et la mauvaise gestion de la
politique. Les deux ont la capacité d’amplifier les conséquences de l’autre.
La terrible atmosphère qui plane au-dessus de cette saison d’élections
dépravée suffira à mettre à genoux les marchés et les banques. Et les marchés
et les banques sont suffisamment instables pour affecter les élections.
Tout au long de l’Histoire,
les élites ont fini par tomber. Ne vous demandez-vous jamais comment les deux
institutions anciennes que sont les partis démocrate et républicain ont pu
cracher de tels énergumènes ? Méritent-elles encore d’exister ? Et
que se passera-t-il quand elles partiront en fumée, avec les revenus et
l’épargne du public ?
Les généraux entreront en
scène.
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