Les guerres sont faites de phases
de préparation et d’offensives. Elles sont aussi psychologiques.
Les réunions de Washington s’étant terminées sur
des appels pressants à la coopération de Dominique Strauss-Kahn
sans effets notables à ce jour, la voie est donc toute tracée
pour que la guerre monétaire se poursuive.
Bien que Jean-Claude Trichet se
soit prononcé « très, très contre une guerre des
monnaies », et que d’autres en aient nié
l’existence. Timothy Geithner venant tout
juste de déclarer qu’il ne voit « aucun risque »
d’éclatement de celle-ci.
Que les marchés
monétaires – contrairement aux attentes, dit-on dans ce cas
– soient restés imperturbables depuis le début de la
semaine, de marbre même, doit-il être considéré
comme signal d’une trêve ? Un grand silence précède
et suit les batailles, il ne faut donc pas trop s’y fier.
D’autant qu’ils avaient anticipé le fiasco de Washington.
L’attente domine, non pas en
raison de la prochaine tenue d’un G20, mais de la réunion du
Comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) de début
novembre. Ce qui confirme bien que les Américains vont tirer les
premiers. En utilisant quelles armes ? toute la question est là…
On se croirait revenu du temps de
ces kremlinologues qui scrutaient tous les indices possibles des
changements au sein du Politburo soviétique. Ou de ces sinologues qui
faisaient de même à propos des Chinois depuis le bar du Foreign Correspondant Club de Hong Kong.
Plusieurs hypothèses
circulent, à propos de ce que pourraient décider les membres du
FOMC, qui pour l’instant étalent leurs divisions en multipliant
les interventions publiques. Un seul objectif est poursuivi, mais les
discussions portent sur la meilleure manière de l’atteindre :
relancer une économie américaine au bord d’une dangereuse
récession et d’une trappe dans laquelle les flots de
liquidités de la Fed se sont jusqu’à maintenant
déversés en pure perte.
Car le débat sur le danger
que représenterait l’ouverture de cette trappe est tout aussi
dépassé que celui qui consiste à savoir si la guerre des
monnaies a oui ou non commencé. C’est chose faite dans les deux
cas.
Sur quoi porte-t-il dans les cercles
du pouvoir américain ? Non pas sur l’opportunité
d’un nouveau round d’émission monétaire par
la Fed – il semble acquis – ni sur son ampleur, mais sur son
efficacité. Les opposants minoritaires bien connus de la Fed
n’ont cessé d’agiter le spectre du retour de
l’inflation. Sans être très clair sur la nature de
celle-ci : inflation des prix à la consommation, ou des actifs ?
Ils ont trouvé un renfort
en la personne de ceux qui craignent qu’un phénomène
déjà enregistré ne se reproduise : que les nouvelles
liquidités soient précieusement mises de côté par
les banques, au cas où, et qu’elles ne soient pas
utilisées pour relancer l’économie. Sans impact sur le
chômage, cette douloureuse et tangible manifestation de la fin du
rêve américain, comme l’est la poursuite à un
rythme très soutenu – provisoirement interrompue pour vices de
forme – des expulsions immobilières.
Une pression
générale sur les taux d’intérêt et sur la
valeur du dollar, conséquence de la mise en marche de la planche
à billet, aurait par contre un effet garanti : les tensions sur le
marché monétaire grimperaient sans tarder. Sans que des effets
positifs soient nécessairement ressentis à
l’intérieur du pays.
Les exportations chinoises
seraient atteintes, mais la production américaine en profiterait-t-elle
pour redémarrer ? Car même si les produits made in USA
redevenaient plus compétitifs sur le marché intérieur,
leur substitution aux produits chinois impliquerait pour les consommateurs
des prix plus élevés.
Alternativement à cette
option, ou de manière combinée, la Fed envisage
d’afficher un objectif accommodant d’inflation pour une longue
période, afin de donner au système bancaire l’assurance
qu’il peut utiliser les liquidités déjà en sa
possession pour enfin développer le crédit, sans risquer
d’être pris par surprise par une remontée des taux
directeurs qui détruirait ses marges. Mais cette option reviendra
également, si elle est choisie et fonctionne, à déverser
des flots de liquidité dans l’économie, avec à
l’arrivée d’identiques conséquences sur le dollar
et donc sur le marché monétaire.
Olivier Blanchard,
l’économiste en chef du FMI, avait il y a plusieurs mois
proposé de relever à 4% le taux d’objectif de
l’inflation, suscitant alors un tollé chez les banquiers
centraux. Sous un autre habillage et de manière plus mesurée,
on en vient à une solution de même nature.
Afin d’arrêter pendant
qu’il est temps la guerre, la paix est-elle possible ? Une
coopération peut-elle s’engager, afin d’entamer un
processus négocié d’appréciation du yuan par
rapport au dollar (ainsi qu’aux autres monnaies) ? La chance de voir
cette solution de la sagesse adoptée renvoie à deux questions
sans réponse.
Les dirigeants chinois ont-ils les
moyens de s’engager dans cette voie, le rythme
d’appréciation du yuan qu’ils pourraient consentir
risquant d’être beaucoup trop lent par rapport aux attentes
américaines. Que pourraient-ils obtenir en contrepartie, sur le
terrain qui leur est cher de la réforme progressive du système
monétaire international ? L’option de la négociation est
dans la pratique incertaine, car elle touche des deux côtés
à des œuvres vives. Elle supposerait aussi que la Fed
n’engage pas de nouvelles hostilités.
En tout état de cause, il
n’y aura pas de solution monétaire pure. Car
derrière les monnaies se cachent des réalités
économiques et sociales, et ce sont celles-ci qu’il faut faire
évoluer. Ce qui est paradoxalement plus concevable – mais
à terme – en Chine qu’aux Etats-Unis. Si les obstacles
à un changement de modèle de développement dans les pays
émergents sont élevés, les pays développés
ne peuvent le trouver qu’à la faveur d’une redistribution
de la richesse et du pouvoir d’achat. « - Mais c’est
une révolte ? – Non, Sire, c’est une révolution
! »
Les obstacles que rencontreront
les pays émergents pour faire évoluer leur modèle
de développement ne sont pas et de loin exclusivement
intérieurs. Les capitaux étrangers qui affluent en volume
croissant dans ces pays, à la recherche de forts rendements, induisent
la poursuite du développement inégal qui a été
engagé.
S’y opposer implique une
maîtrise des flux financiers. Qui ne pourra résulter que de la
réduction drastique de la taille d’un monde qui n’en fait
qu’à sa tête et dont la capacité de nuisance est
restée intacte, ainsi qu’en interdisant les leviers de la
spéculation. Nous n’y sommes pas.
Le rééquilibrage du
monde ne se heurte donc pas uniquement au bon ou au mauvais vouloir des
dirigeants des pays émergents. Car son
déséquilibre est le produit de la mondialisation
financière, qui s’accélère.
Dans une allocution un peu
surprenante prononcée à New York, Jean-Claude Trichet a
expliqué hier mardi que « nous sommes loin d’en avoir fini
avec la réforme financière », remarquant que « le
système financier n’est pas seulement constitué des banques
réglementées » et précisant les « six autres
points où des progrès doivent être faits » :
« la comptabilité, la notation, les ventes à
découvert, la rémunération, les dérivés de
gré à gré et les véhicules
d’investissements alternatifs ». Si c’est lui qui le dit !
Billet invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un «
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé
durant les dix dernières années dans le milieu bancaire
américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il
a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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