Nous faisions
donc état d’une augmentation exponentielle de la production de
biocarburants au cours des trois dernières décennies et avons montré
comment cette augmentation a pu modifier la structure de production agricole.
Dans cet article, je propose de nous pencher sur les causes de cette
augmentation soudaine de la production des biocarburants.
Souvent
utilisés durant les premières décennies du XXème
siècle (avant la découverte des énergies fossiles) les
biocarburants ont commencé à être produits à
grande échelle à partir des années 90,
essentiellement propulsés par l’avènement des
préoccupations environnementales.
En Europe, par
exemple, leur production a notamment été relancée par la
disponibilité d’un certain nombre de terres mises en
jachère en 1992, dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC).
Cette politique avait consisté à demander aux agriculteurs de
ne pas utiliser une partie de leurs terres destinées à
certaines cultures, notamment les céréales, en échange
d’une rémunération visant à maintenir
élevés les prix de produits agricoles. L’usage de ces
terres agricoles (implicitement subventionnées par la PAC) pu alors
facilement être redirigé vers la production de biocarburants.
La même
année aux États-Unis, dans l’Energy Policy Act
, le gouvernement a donné suite à un rapport
de l’Agence pour la protection de
l’environnement en mettant en œuvre une série de
mesures visant à encourager la production de biocarburants.
De toute
évidence, les choix d’investissement dans cette production
n’ont pas été stimulés par les
préférences attendues des consommateurs mais ont surtout
été poussés par des mesures politiques qui ont mis en
place un système complexe d’incitations afin de relayer
l’absence de profits.
Ainsi,
au niveau international, les biocarburants sont très peu
taxés : le biodiesel par exemple est entièrement
exempté de droits de douane, tandis que l’éthanol reste
comparativement très peu taxé dès lors qu’il est
mélangé à de l’essence. Le fait que les plus
grands producteurs de biocarburants soient les pays qui soutiennent le plus
leur propre production ne relève pas du hasard. Bien que ces
réglementations évoluent d’une année à
l’autre et que la plupart des incitations (comme les réductions
d’impôts) soient difficilement quantifiables, plusieurs instituts
et rapports surveillent ce phénomène et produisent
régulièrement des estimations.
Concrètement,
les aides aux biocarburants (essentiellement l’éthanol) fournies
par les États-Unis ont été estimées en 2006
à environ 7 milliards $. Le gouvernement chinois, un producteur
beaucoup plus modeste à l’échelle mondiale, avait, quant
à lui, aidé leur production de seulement 115 millions $, soit
0,40 $ par litre d’éthanol produit.
Le
coût des aides accordées aux biocarburants au sein de l’Union
européenne sont estimées entre 3 et 4 milliards d’euros par an. Par
exemple, en 2006 le litre d’éthanol produit était
subventionné à hauteur de 0,74 € tandis que celui de
biodiesel l’était à hauteur de 0,50 €.
Il
faut cependant préciser que les calculs ci-dessus sont difficiles
à produire. Dans le cas de l’Union européenne, par
exemple, la production de biocarburant y est en effet soutenue depuis
plusieurs décennies à travers différents types de
mesures qui évoluent rapidement.
Il
s’agit d’abord de subventions directes : entre 2004 et 2009,
l’UE a par exemple fourni une aide aux cultures
énergétiques, ACE, de 45 €/ha.
Une
autre forme de soutien à l’industrie des biocarburants sont les
aides fiscales encouragées par l’Union européenne. Par
exemple en France, les biocarburants profitent depuis 2003 d’une
défiscalisation partielle de la taxe intérieure de consommation (TIC), d’un montant
qui en 2011 a été de 14 €/hl
pour le biodiesel et 8€/hl pour l’éthanol.
Enfin,
une autre manière de stimuler l’industrie de biocarburants, et peut-être
la plus importante et la plus efficace, consiste à exiger
l’incorporation des biocarburants dans les combustibles fossiles. En France,
par exemple, ce pourcentage en constante augmentation avait été
fixé à 7% en 2010 et s’il était inférieur
le distributeur devait payer une taxe générale sur les
activités polluantes (TGAP).
Somme toute,
il est crucial de comprendre que la surproduction des biocarburants (et
implicitement le détournement des ressources alimentaires et des
terrains agricoles) n’est ni un hasard, ni le résultat de la
volonté des entrepreneurs mais en premier lieu la conséquence
inévitable d’incitations politiques soutenues au cours des trois
dernières décennies et manifestées sous
différentes formes de subventions et aides.
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