En 2016, les Allemands sont devenus les premiers investisseurs en
or de la planète, dépassant même la Chine et l’Inde qui tenaient
traditionnellement les premières places depuis des années. Serait-ce le signe
que nos voisins d’outre-Rhin commencent sérieusement à douter de la pérennité
de la devise communautaire ?
Pour être totalement exact, l’augmentation de la demande allemande en or
concerne principalement les particuliers, même si on sait que, depuis dix
ans, les institutions, et notamment les banques centrales,
augmentent continuellement leur provision de métal jaune, officiellement pour
des raisons de “diversification dans les pays dont les balances en devises
sont largement excédentaires”. En effet, le risque d’une dépréciation brutale
des devises n’étant pas à écarter, certaines banques centrales craignent de
voir leurs ressources fondre comme neige au soleil sous l’effet de futures
politiques monétaires agressives qui pourraient survenir à tout instant pour
contrecarrer un revers économique majeur comme ceux que l’on a pu connaître
ces quinze ou vingt dernières années.
L’or, une monnaie indépendante
L’autre attrait de l’or, aussi bien pour les particuliers que pour les
banques centrales, c’est qu’il s’agit d’une richesse indépendante,
une “monnaie” qui n’est la dette de personne. En ce sens, posséder de
l’or, c’est être totalement dégagé de toute responsabilité (et
surtout de tout engagement préjudiciable) à l’égard d’une économie tierce.
Et dans le monde actuel qui menace d’imploser sous la surchauffe
inflationniste (en dépit des efforts des grands argentiers du monde pour
faire comme si tout allait bien), c’est une perspective rassurante de se dire
que l’or conservera toujours sa valeur intrinsèque (du fait
de sa nature physique notamment) tandis que le dollar, l’euro ou le yen
peuvent à tout instant s’effondrer sous l’effet d’une manipulation de trop.
Comme on peut le lire dans l’excellent magazine Capital du mois de novembre “depuis
1900, toutes les grandes devises ont vu leur valeur s’effondrer face à l’or.”
Les investisseurs allemands font confiance à l’or
Mais revenons-en aux Allemands. Quand on parle d’économie
européenne, ce pays forme traditionnellement avec la France le
couple moteur de la zone euro. Certes, si on regarde un peu
plus en détail, on s’aperçoit que la banque centrale européenne
maintient la plupart des économies communautaires sous perfusion afin de
préserver l’illusion d’une certaine cohésion monétaire. Et nombreux sont ceux
qui, depuis des années déjà, prédisent la fin de la devise européenne dans un
processus plus ou moins cataclysmique ou au contraire consensuel suivant les
scénarios. Dans une étude Kantar TNS de 2016 portant sur le comportement de 2
000 investisseurs allemands, 42% des personnes interrogées faisaient davantage
confiance à l’or qu’à l’euro ou autres devises traditionnelles.
Désormais, on trouve même certaines banques allemandes proposant à leurs
clients d’acheter et de stocker des pièces ou lingots d’or pour
préserver une partie de leur patrimoine. Une telle situation
semblait tout simplement impensable il y a quelques années à peine.
Une demande qui a explosé en 10 ans
Quelques chiffres pour étayer cette tendance. Alors qu’entre 1995 et
2007, la demande moyenne allemande en or était de 17 tonnes par an
(avec même pour certaines années une demande quasi nulle), le dernier rapport
du World Gold Council indique que le métal jaune a connu un
brusque regain d’intérêt chez nos voisins d’Outre-Rhin jusqu’à atteindre 134
tonnes pour la seule année 2009.
Et depuis, cette demande se maintient aux alentours d’une centaine de
tonnes par an, tant en pièces qu’en lingots (pour une valeur
de 6,8 milliards d’euros), ce qui fait de l’Allemagne le plus gros
acheteur d’or par habitant en 2016 (1,45g par personne environ),
devançant même la Chine (0,65g/habitant) et l’Inde (0,5g/habitant).
La défiance des Allemands envers l’euro
En fait, ce n’est un secret pour personne que les Allemands n’aiment plus
vraiment l’euro tel qu’il existe aujourd’hui. Si aux débuts de l’Union
monétaire européenne, ils avaient l’impression de disposer d’un super-deutschemark
à l’échelle d’un continent, ils ont vite déchanté en voyant que leur monnaie
traditionnellement forte pâtissait des politiques parfois erratiques des
autres pays de l’Union dont certains avaient une nette tendance à tirer la
devise vers le bas. Aujourd’hui, c’est donc tout naturellement qu’ils se
tournent vers ce qui reste une valeur refuge face à la
dégradation de la devise supranationale, et surtout après la monumentale
crise financière qui a ébranlé le monde ces dix dernières années (même si la
plupart des pays en sont désormais sortis, pas forcément indemnes toutefois).
Le souvenir traumatisant de l’hyper-inflation
Une autre particularité de l’Allemagne tient à son histoire, et en
particulier celle du début du XXe siècle où le pays a raversé l’une des pires
crises économiques jamais enregistrées. Dans les années 1920,
l’hyper-inflation a littéralement ruiné l’essentiel de la
population, et ce souvenir douloureux persiste dans la mémoire collective.
Quant aux investisseurs, ils ont été fortement malmenés par les différentes
politiques économiques de ces 100 dernières années qui ont vu naître et
mourir pas moins de huit monnaies nationales différentes.
Les Allemands ont donc acquis une conscience particulièrement accrue de la
valeur de l’or, en ce sens qu’il constitue le dernier refuge
permettant de stocker la valeur d’un patrimoine en le
protégeant des vicissitudes économiques et politiques de l’histoire.
Dans l’étude Kantar TNS précédemment citée, 57% des personnes
ayant investi en pièces et en lingots d’or l’ont fait «pour protéger leur
richesse». D’ailleurs un véritable réseau de négoce d’or
s’est rapidement développé en-dehors du cadre bancaire, avec près de 150
entreprises spécialisées permettant de répondre à la demande des Allemands
qui recherchent clairement de l’or physique dont ils peuvent
effectivement prendre livraison dès qu’ils le souhaitent.
Les Allemands méfiants face à l’économie internationale
Récemment, la Banque centrale européenne a choisi de
réduire son apport de liquidités sur les marchés tout en maintenant les taux
d’intérêts à un niveau encore très bas. Dans ce contexte, certains ont
commencé à voir resurgir les vieux démons d’une “monnaie qui ne vaudrait
plus rien“, avec en bout de course le spectre de l’hyper-inflation
traumatisante pour des générations d’Allemands. Et le fait que les banques
allemandes aient demandé à leurs clients de conserver leurs liquidités n’a
fait que renforcer cette impression. Quelque chose de désagréable serait-il
en train de se préparer ?
Enfin, les Allemands comme les autres Européens se tiennent très informés
de l’économie mondiale, tant il est vrai que tout
frémissement à l’autre bout de la planète peut avoir des répercussions
monumentales sur notre quotidien. Ainsi, une étude de Merrill Lynch / Bank of
America révèle que les investisseurs européens ont une assez
mauvaise opinion des politiques menées par les banques centrales, en
particulier la BCE et la FED et que cela
constitue selon eux le risque le plus probable d’une chute des cours
mondiaux (obligations et actions). Environ 30% des personnes
interrogées pensent même que la stabilité des devises est en jeu.
Un intérêt croissant pour l’or d’investissement parfaitement
compréhensible
Difficile dans ces conditions de s’étonner de l’intérêt des Européens pour
l’or d’investissement, et en particulier des Allemands même
si, paradoxalement, l’économie allemande s’est rarement aussi bien portée :
4,4 % de chômage (boostée il est vrai par un grand nombre d’emplois
précaires) et une opinion généralement globalement positive des Allemand
quand à leur propre situation financière personnelle.
Mais en dépit de ces bonnes nouvelles, et si on occulte la crainte quasi
atavique d’un retour aux années noires de l’après-Première Guerre mondiale,
les Allemands achètent également de l’or parce qu’ils y voient un
important facteur de diversification ainsi qu’une formidable
réserve de valeur, notamment en cas de disparition de l’euro. 59%
d’entre eux sont d’ailleurs persuadés que l’or ne perdra jamais sa
valeur à long terme, ce qui n’est pas le cas des devises nationales
et supranationales, et presque autant y voient un motif de sécurité
financière à long terme.
Enfin, ils ne sont que 28% à considérer l’or comme un actif susceptible de
permettre de bons rendements à court terme.