Les déclarations politiques se multiplient, des deux
côtés de l'Atlantique, dans l'espoir de conjurer la panique qui
s'est emparée des investisseurs sur les marchés. Sans
succès. Au sortir d'un été qui fut plus brûlant
que jamais, les dirigeants européens et américains inspirent de
moins en moins confiance et la crise du surendettement semble avoir atteint
une phase critique. A tel point que les Banques centrales sont intervenues de
plus en plus massivement sur les marchés afin d’éviter
faillites et récession.
Depuis plusieurs mois, les grands argentiers de la planète
sont sur tous les fronts. La BCE poursuit une politique de rachats
d’obligations en faveur des États surendettés afin de
leur permettre de se financer et de donner du temps aux autres États
de la zone euro pour élaborer un mécanisme de sauvetage.
L'intervention la plus lourde porte naturellement sur la Grèce. Mais pendant
l'été, elle a aussi acheté près de 150 milliards
d'euros en obligations pour préserver l'Espagne et de l'Italie,
menacés de défaut de paiement également.
Le 15 septembre dernier, les principales banques centrales de la
planète — européenne, suisse, américaine et
japonaise — se sont engagées à fournir un montant
illimité de liquidités aux établissements financiers
jusqu’à la fin de l’année. Tout un symbole, le jour
anniversaire de la faillite de Lehman Brother en
2008, pour montrer qu’elles ne laisseront pas s’écrouler
le système bancaire.
Une semaine plus tard, le 22 septembre, le président de la
Fed Ben Bernanke annonçait une
« opération Twist » jusqu’en juin 2012, en
référence à une action similaire dans les années
1960 sous l’air Kennedy. Une décision destinée à stimuler
la demande d’obligations à long terme et à faire ainsi
baisser leurs taux d'intérêt (plus de 10 ans).
L’idée est ainsi de faire baisser les taux de prêt
à long terme sur d’autres marchés, principalement celui
de l'immobilier. Cette annonce – jugée insuffisante – a immédiatement
été suivie d’une chute vertigineuse du Dow Jones.
Un
rôle accru pour soutenir l'économie
Ces décisions ont été dictées par
l'urgence. En Europe, « le temps des marchés n’est
pas celui de la démocratie », rappelait le ministre
français de l’économie et des finances François Baroin. Et pour cause, les pays de la zone euro ne
semblent plus capables d’enrayer la spirale des dettes souveraines. La
situation n’est guère meilleure aux États-Unis où
la politique économique du président Obama atteint des records
d’impopularité, incapable d'étouffer les craintes
d’une récession.
Depuis la crise de 2008, dirigeants européens et
américains s'en remettent désormais aux Banques centrales,
alors même que celles-ci ne disposent que d’une marge de
manœuvre limitée concernant leur capacité à influer
sur les marchés. En
l’absence de réforme des Etats, elles sont les seules à
pouvoir « sauver la mise » du système bancaire
puisqu’elles peuvent imprimer dans des quantités
illimitées de la monnaie. Elles ne peuvent cependant pas à la
fois sauver la mise des Etats et du système bancaire, et sauver
l’économie dans son ensemble. Le choix a été fait
en faveur des premiers.
Ces institutions avaient traditionnellement pour mandat de
stabiliser les prix, et également de soutenir la croissance concernant
la Fed grâce notamment à la création monétaire. Ce
rôle est désormais en train de devenir secondaire en comparaison
de celui de pompier économique et financier. A l'instar des politiques
publiques, l'intervention des Banques centrales sur l'économie
s’accompagne d'effets collatéraux qui portent en germe de
nouvelles catastrophes.
En manipulant avec imprudence les taux d’intérêt,
le rachat d'actifs toxiques et les politiques de quantitative easing pour stimuler la croissance, la Fed a
favorisé la formation de bulles, notamment sur les marchés
émergents et sur les matières premières. Les mirages
provoqués par les milliards de dollars déversés sur
l'économie ont durablement entravé la reprise mondiale. Plus
généralement, c'est l'efficacité même des
politiques de stimuli, d'inspiration keynésienne, qui est remise en
cause, celles-ci n'ayant jamais véritablement démontré
leurs effets bénéfiques. En dépit de deux phases de quantitative easing
et du plan twist, les économistes estiment que le chômage
américain, à 9,1%, pourrait continuer de stagner à ce
niveau pour une très longue période.
De son côté, Jean-Claude Trichet, président de
la BCE, rachete à son tour les obligations
des pays endettés. La situation critique de la Grèce, de
l'Espagne, du Portugal ou de l'Italie a amené la Banque centrale
à franchir le Rubicon. Mais ces rachats de dette constituent en
réalité des injections de liquidité porteuses
d’inflation et déjà certains experts pointent le danger
que font peser ces montagnes d'obligations sur le bilan de la BCE. Parmi les
propositions dans l’air du temps, la mutualisation de
l’endettement constituerait probablement la plus mauvaise des solutions
et un échappatoire pour reporter sine die la réduction des
dépenses publiques.
A la lumière de la crise, l’action des banques
centrales a pris le pas sur celui des autres acteurs, en particulier celui
des banques commerciales, sans que les actions entreprises ne parviennent
à rassurer les investisseurs sur les marchés. Elles ne pourront
d’ailleurs pas porter éternellement le fardeau du surendettement
des Etats sans appauvrir durablement nos sociétés.
L’urgence n’est jamais bonne conseillère et cette
évolution a déjà tout d’un désastre
annoncé.
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