En 2018, jamais les banques centrales n’ont acheté autant d’or depuis le début des années 70. Et en 2019 la tendance se poursuit. Isabelle Strauss-Kahn, membre du conseil consultatif du World Gold Council et ancienne de la Banque mondiale et ex-directrice des opérations de la Banque de France, explique pourquoi (source) :
Dans les années 90, l’or était un actif mal-aimé des banques centrales. Les gestionnaires des réserves prêtèrent ou vendirent cet or, surtout en Europe. Le métal jaune atteignit ainsi un plus bas de 250 $ l’once. Des années de ventes persistantes débouchèrent en 1999 sur un accord sur l’or passé entre les banques centrales. Les signataires s’engageaient à limiter les ventes annuelles collectives à 400 tonnes, mirent en place des quotas de leasing et adopter une approche coordonnée en ce qui concerne les options et les contrats à terme.
Cet accord engendrea 2 avantages clairs :
- Il a permis de stabiliser le prix de l’or
- Il a débouché sur davantage de transparence concernant les ventes d’or des banques centrales
Cependant, le sentiment concernant le métal jaune a changé aujourd’hui. Il a reconquis son statut d’actif de réserve hautement considéré et précieux.
Des changements
fondamentaux
Un coup d’œil sur ces 20 dernières années met en exergue les changements de comportement fondamentaux des banques centrales.
Tout d’abord, les
banques centrales ont augmenté de façon rapide et constante leurs
réserves depuis la crise asiatique de 1998. Les réserves sont un
élément crucial de l’arsenal d’un pays. Elles offrent une
protection contre les chocs internes et externes, elles servent à
maintenir la confiance à l’étranger. Les économies des émergents
ont mené la charge à ce propos. Entre 2000 et 2014, les réserves
internationales sont passées de 3 trillions à 13 trillions.
Le montant de ces réserves a atteint un pic durant ces 5 dernières années, mais il reste situé autour des 13 trillions de dollars aujourd’hui.
Le dollar est l’actif de réserve le plus utilisé. Mais d’après les statistiques du FMI, l’or est en 3e position. Il représente 11 % des réserves mondiales. Jusqu’à 2000, les banques centrales étaient vendeuses. Mais depuis, elles sont acheteuses. Rien qu’en 2018, les banques centrales ont acheté 651 t d’or. Cela représente une hausse de 74 % par rapport à 2017, ainsi qu’un record annuel depuis 1971.
Durant la dernière décennie, les banques centrales ont acheté plus de 4300 t d’or, pour des réserves mondiales de métal jaune totalisant environ 34.000 t. La tendance se poursuit en 2019.
Il est également intéressant de constater que la répartition géographique de ces achats est variée. La Russie est l’acheteur le plus actif, elle a acheté presque 275 t d’or en 2018. La Chine est également fort active sur ce marché, mais elle n’est pas la seule. La Hongrie, la Pologne, l’Égypte, le Kazakhstan et l’Inde sont d’autres pays qui contribuent à cette tendance.
Les facteurs
Mais pourquoi ce regain d’intérêt pour l’or ? Tout d’abord en raison de la hausse des incertitudes concernant les perspectives économiques et géopolitiques mondiales, mais aussi en raison de la valeur intrinsèque de l’or en tant qu’actif de réserve.
10 ans après la crise financière, les perspectives macro-économiques restent fragiles et difficiles à prédire. En avril, les perspectives du FMI ont relevé une croissance mondiale qui faiblit et qui a toutes les chances de poursuivre dans cette voie. Les perspectives de croissance des pays développés sont évaluées à 1,8 % en 2019 et à 1,7 % 2020, et respectivement de 1,6 est 1,5 % en zone euro. (…)
Les tensions commerciales représentent une inconnue majeure. Elles ont déjà eu des conséquences sur la croissance mondiale. Si la Chine et les États-Unis ne trouvent pas un véritable terrain d’entente, les perspectives pourraient empirer. Les craintes d’escalade et de représailles pourraient avoir des conséquences sur les investissements, les chaînes logistiques pourraient être bouleversées et la productivité mondiale pourrait baisser.
La zone euro fait face à des défis qui lui sont propres. La confiance des entreprises est basse, surtout en Allemagne en raison de l’introduction de nouveaux standards d’émissions des voitures. Les politiques fiscales affectent la souveraineté italienne et la profitabilité des banques. Bien entendu, les incertitudes concernant le Brexit persistent, surtout depuis le report à octobre 2019.
Les avantages de
l’or
Toutes ces incertitudes accentuent le sentiment négatif ambiant qui règne sur les marchés. Cela pousse également les gestionnaires des banques centrales à se repositionner sur les valeurs refuges.
C’est dans ce
contexte que l’or profite de son statut unique, vu qu’il correspond 3
objectifs des banques centrales : la sécurité, la liquidité et
leur rendement.
- L’or est bien connu pour son statut de valeur refuge. Il n’a pas de risque de contrepartie, est peu corrélé aux autres actifs et son prix augmente habituellement durant les périodes de tensions. Il s’agit donc d’une excellente protection en cas de crise.
- L’or est également très liquide. On peut facilement l’échanger sur les places financières mondiales majeures que sont Londres et New York. Il peut être utilisé dans le cadre de swaps pour obtenir des liquidités en cas de besoin, il peut également être géré de façon active par les gestionnaires.
- L’or peut également améliorer le profil risque/retour sur investissement du portefeuille d’une banque centrale. L’absence de corrélation avec les autres actifs majeurs de réserve en fait un actif de diversification efficace. Sur le long terme, il offre également des rendements supérieurs à bien d’autres actifs.