A
l’image de la révolution copernicienne du changement de
représentation de l’univers, sommes-nous en passe de connaitre
un bouleversement de même ampleur affectant la science
économique ? On pourrait le penser, à suivre les
décisions et les réflexions des banquiers centraux aux
États-Unis et au Royaume-Uni : tout se passe comme si la lutte contre
l’inflation allait y être reléguée au second plan,
à l’occasion d’un changement d’objectif faisant de
la relance de la croissance une priorité destinée à
faciliter le désendettement et stabiliser le système financier
international.
George
Osborne, le ministre britannique des finances, vient de nommer Mark Carney, l’actuel gouverneur de la Banque du Canada,
à la tête de la Banque d’Angleterre, avec prise
d’effet en juin 2013. Ce dernier a déjà
délivré sa vision de l’évolution de la politique
monétaire, substituant à la cible d’inflation de 2%
– un mandat donné il y a 20 ans par le Parlement britannique
– celle d’un taux de croissance nominale, cocktail associant
croissance et inflation. Appliquée au Royaume-Uni, ce serait la porte
ouverte à une relance de la création monétaire destinée
à sortir le gouvernement britannique de l’impasse dans laquelle
il s’est lui-même mis en adoptant une politique
d’austérité et de réduction du déficit
public qui ne fonctionne pas. Une option que George Osborne ne verrait pas
nécessairement d’un mauvais jour. Il a d’ailleurs
exprimé le souhait qu’un débat international
s’engage à propos des nouveaux objectifs des banques centrales,
sans attendre juin prochain.
Aux
États-Unis, le Comité de politique monétaire de la Fed
(FOMC) a lancé un nouveau programme de création
monétaire de 40 milliards de dollars mensuel d’achat de la dette
fédérale, sans limitation de durée, qui
additionné avec ses achats au même rythme de 45 milliards de
dollars de titres hypothécaires fera gonfler en une seule année
son bilan de 2.500 à 3.500 milliards de dollars. Le taux directeur
quasiment à zéro de la Fed est désormais lié au
taux de chômage de 6,5%, le premier destiné à être
maintenu tant que le second reste au dessus de ce
seuil, ainsi qu’à des perspectives d’inflation à
moyen terme ne déviant pas de plus d’un demi-point par rapport
à 2%. Après avoir de longue date privilégié de
ses deux missions la lutte contre l’inflation, la Fed vire de bord en
faveur de la lutte contre le chômage, c’est dire de la relance
économique.
En
commentant ces décisions, Ben Bernanke, le
président de la Fed, a précisé que la capacité de
soutien à l’économie de la Fed n’est pas «
illimitée », justifiant selon lui de « prendre les devants
maintenant, alors que nous avons encore la capacité de le faire
». Il a même ajouté, dans l’hypothèse
où le couperet du mur budgétaire tomberait faute
d’accord entre démocrates et républicains, que «
nous essayerons de faire ce que nous pourrons » devant ses
conséquences pour l’économie qui pourrait entrer en
récession, n’excluant pas d’augmenter encore « un
peu » les opérations de rachats de titres sur les
marchés.
Enfin,
la nouvelle équipe du Parti Libéral-Démocrate, qui vient
de remporter haut la main les élections, entend que la Banque du Japon
accroisse sa cible d’inflation pour sortir le pays de la trappe de la
déflation. Elle se prépare à rééditer
à l’identique l’adoption d’un programme de grands
travaux financé par la planche à billets – qui
n’avait pas permis de sortir de la déflation à
l’époque – alors que la dette japonaise caracole en
tête de celle des pays industrialisés (plus de 240% du PIB). Le
nouveau gouvernement cherche aussi à provoquer une dévaluation
compétitive du yen, afin de relancer les exportations japonaises et de
rééquilibrer la balance commerciale. Les effets de cette
politique sont loin d’être garantis en raison de la vigueur de la
concurrence asiatique, du rapatriement des bénéfices des avoirs
japonais à l’étranger, et de la poursuite de la
stratégie de dollar faible de la Fed.
Revoir
la cible d’inflation semble être la dernière ressource des
banquiers centraux devant la généralisation du marasme
économique et la minceur des résultats des mesures
adoptées jusqu’alors. Toute la question est de savoir s’il sauront contrôler ce qu’ils
s’apprêtent à engager. Militent en ce sens les masses de
liquidités déjà déversées qui n’ont
pas eu d’effets notables sur l’inflation (bien que regonflant une
bulle financière, pas encore dégonflée). Dans un
système financier en crise qui ne fonctionne déjà pas normalement,
de surcroit marqué par le danger d’une
généralisation de la récession et la menace d’un
élargissement hors du Japon de la déflation, les repères
habituels ne sont pas toujours fonctionnels. Les instruments classiques de la
politique monétaire ne fonctionnant plus, il n’y a pour les
banquiers centraux d’autre issue que de sacrifier leur vertu. Et la BCE
? Isolée, pourra-t-elle longtemps éviter de se renier ?
Rien
toutefois n’indique que le tournant stratégique qui
s’amorce aboutira à la relance de l’économie. Car
si l’écueil de la déflation pourra être
évité – ce qui n’est pas assuré –
restera encore celui de la stagflation…
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre,
Les CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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