La
Grande perdition a ses causes profondes, embrouillées par le
tourbillon au jour le jour de l’actualité, ainsi que ses
conséquences, dont on a le loisir de contempler les rebondissements.
Au premier rang desquelles figure un désendettement chaotique et
impossible, qui se manifeste spectaculairement en Europe, mais
également aux États-Unis, comme on l’a vu lors de
l’épisode de la dégradation de leur notation. Cette
fois-ci, on a vu trop grand dans l’endettement !
L’Europe
est l’épicentre de la crise actuelle, faisant croire qu’il
s’agit d’une crise de l’euro en confondant les causes et
les conséquences. S’appuyant sur l’idée
qu’une construction européenne inachevée en est à
l’origine, et qu’il suffit donc de reprendre celle-ci pour tout
régler. Oubliant au passage que la crise est mondiale et pas
européenne. Employant un maître-mot, adoré par certains
et honni par d’autres : le fédéralisme. Cherchant au bout
du compte une solution politique miraculeuse à un problème
financier aigu, tandis que d’autres voient dans cette situation la
justification de leur opposition de toujours.
On
avait cru auparavant cerner le diagnostic, en préconisant que
l’Allemagne recentre sa croissance économique sur le
développement de son marché intérieur. À la
manière des États-Unis réclamant des Chinois
qu’ils réévaluent leur monnaie et réorientent leur
production vers leur marché intérieur. Mais ces
rééquilibrages ne peuvent au mieux se réaliser que
progressivement, laissant les problèmes qu’ils identifient
entiers dans l’immédiat, sans aborder les autres, plus
fondamentaux.
Plus
d’Europe sans attendre, tel est le programme que vient de proposer dans
Die Welt le très pro-européen
ministre allemand des finances Wolfgang Schaüble.
Il préconise une fois de plus des transferts de pouvoir fiscal et
budgétaire plus importants au niveau européen, tout en
souhaitant qu’ils bénéficient d’une
légitimité démocratique, dont il ne précise pas
les modalités.
Il
est proposé de serrer les rangs dans l’adversité, pour ne
pas avoir à affronter dans le désordre une crise qui sinon
emporterait tout, et pas seulement l’euro. Au nom d’une
discipline budgétaire renforcée et en l’occurrence
à courte vue, qui – on le voit clairement déjà en
Grèce, et ce n’est pas un cas particulier – fait plonger
l’économie occidentale dans une spirale récessive, et
sans doute dans la stagflation. La peste et le choléra à la
fois.
Une
variante de cette politique s’appuie sur l’éventuelle
arrivée prochaine au pouvoir des sociaux-démocrates, en
Allemagne et en France, porteurs d’une inflexion sociale rendant plus
acceptable la poursuite de la stratégie de désendettement
actuelle. Mais le problème n’est pas qu’elle soit
acceptable – ce dont on peut douter – mais tout simplement
possible !
Si
au chapitre du diagnostic les dirigeants n’ont pas été
particulièrement brillants, à celui des remèdes, on se
réfugie volontiers dans des solutions qui n’en sont pas.
L’émission d’euro-obligations en est l’exemple
même, qui fait penser que parce que le pansement va être plus
résistant le malade va en sortir guéri. Se mettre à
plusieurs n’est pas une solution magique, faut-il encore tirer sur le
bon fil rouge !
Deux
grandes questions demandent en réalité à être
tranchées et sont actuellement en débat :
1.
Va-t-on ou non poursuivre la restructuration de la dette grecque
au-delà de ce qui a déjà été
décidé, ce qui ouvrira la porte à ce que la même
opération soit réalisée demain pour un autre pays ?
Jacques
de Larosière, ancien directeur
général du FMI, et ci-devant conseiller de BNP Paribas, affirme
ce matin dans Les Échos que la dégringolade boursière
des banques « défie la raison ». Selon un calcul dont on
aimerait beaucoup connaître le détail, il considère en
effet que les banques françaises pourraient rattraper en moins
d’une année de bénéfices la perte que
représenterait la comptabilisation à la valeur de marché
actuelle de l’ensemble des titres de dettes souveraines qu’elle détiennent. Il est des paroles
irréfléchies : on nous permettra de dire « chiche !
», afin de faire rendre raison aux marchés.
En
prélude à la réunion d’aujourd’hui des
ministres des finances européens, George Osborne, le chancelier de
l’échiquier britannique, vient quant à lui
d’appeler instamment les banques à renforcer leurs fonds propres.
Si
elle est lourde de conséquences, la décision à prendre
n’est pas compliquée dans son énoncé : faut-il ou
non partager le fardeau du désendettement avec les investisseurs
privés ? Si oui, comment les soutenir, puisqu’ils n’en
sont pas plus capables que les États placés sur la sellette ?
Si la patate est à ce point brûlante,
suffit-il d’attendre qu’elle se refroidisse ou faut-il
carrément la couper ?
2.
Le parapluie financier qui va devoir être ouvert pour protéger
l’Italie et l’Espagne va-t-il ou non se faire aux bons soins de
la BCE ?
Sur
cette deuxième question, on constate des prises de position
contradictoires. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a
déclaré ce matin que « tout filet de protection durable
doit venir des gouvernements », manière détournée
de dire que la BCE ne peut pas y pourvoir, tandis que Der Spiegel affirme que
Mario Draghi, futur président de la BCE,
serait favorable à ce que le FESF obtienne une licence de banque, ce
qui lui donnerait accès aux financements de la banque centrale.
Les
analystes financiers, pour leur part, manifestent leur scepticisme à
propos du rôle central qui serait accordé au FESF. En premier
lieu parce que sa nouvelle voilure pourrait avoir comme conséquence,
en contre-partie des garanties
supplémentaires concédées par les États, une
diminution de la note des mieux dotés.
En
second lieu parce que si le FESF ne s’appuyait pas sur le financement
de la BCE, son mécanisme de rehaussement du crédit rappellerait
celui des produits structurés de triste mémoire. Un
rapprochement qui n’échappera pas aux marchés. Les
garanties fournies par les États constitueraient les réserves
prévues pour le rehaussement global du crédit du FESF, avec
pour fonction in fine de garantir les États eux-mêmes. Un tel
empilement de garanties ferait du FESF une dangereuse structure toxique en
puissance, est-il analysé.
Voilà
résumés les véritables enjeux des jours et des semaines
à venir. Le reste est accessoire, si ce n’est irréaliste.
Si la situation appelle une réponse politique, celle-ci devra
s’appuyer sur des engagements financiers et non pas sur un
énième raccommodage. À défaut d’un plan B,
un plan A’…
Billet rédigé par
François Leclerc
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