LES CHAMBRES DE COMPENSATION, JOLI CASSE-TÊTE

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Published : March 06th, 2015
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Les amateurs de casse-tête disposaient déjà d’un magnifique terrain de jeu avec la réglementation bancaire. Détailler à quelle catégorie de fonds propres appartient telle ou telle classe d’actifs bancaires demande une science qui impose le respect quand on prétend épuiser le sujet. En venir à bout est pourtant essentiel, si l’on veut juger des ratios de fonds propre établis par le Comité de Bâle, ou par le Conseil de stabilité financière (FSB) en ce qui concerne les établissements déclarés systémiques, ou bien pour apprécier l’épaisseur du coussin de liquidités dont les banques doivent disposer. Mais ceci n’était qu’une mise en jambe.

Un nouveau casse-tête est disponible. L’utilisation de chambres de compensation (CCP) a été instaurée pour sécuriser les transactions de produits dérivés, jusqu’à maintenant opérées de gré à gré, à condition toutefois qu’ils soient standards (les autres échappant à cette obligation). Mais, à bien y regarder, les CCP ne sont-elles pas des bombes en puissance ? En tant que fonds de garantie, elles concentrent en effet le risque qu’elles ont pour mission de supprimer sans avoir nécessairement les moyens financiers de l’assumer. C’est en tout cas la question qui doit être posée si l’on considère le volume des transactions sur les produits dérivés qu’elles vont accueillir.

Sur le papier, tout va bien. Les CCP procèdent par appels de marge auprès de leurs clients utilisateurs (les membres compensateurs), afin de constituer un coussin financier destiné à amortir le choc de la défaillance éventuelle d’une contrepartie. Or, les ennuis commencent là où ils sont censés avoir été réglés. Le montant des appels de marge résulte en effet d’une appréciation du risque de la transaction qu’ils garantissent, et c’est à chaque CCP de définir sa méthodologie. Mais que se passe-t-il si celle-ci se révèle inadéquate et que la garantie en question ne couvre pas les pertes ? Si un membre compensateur fait défaut ?

Pour faire face à une telle éventualité, de savantes élaborations réglementaires ont eu lieu et se poursuivent des deux côtés de l’Atlantique, n’aboutissant pas aux mêmes conclusions, comme à l’habitude. À l’instar de la description du bail-in d’un établissement bancaire (son sauvetage sans faire appel à des fonds publics), celui d’une CCP mérite une mise à plat. Elle permet de remarquer d’entrée que la fraction des capitaux propres de la CCP pouvant être mobilisée à cet effet – ou même sa totalité, si ce n’est pas contingenté comme en Europe – ne pourra pas prétendre éponger d’importantes pertes, une fois épuisées les marges apportées. Puis, que le fonds de garantie mutualisé auquel les membres compensateurs d’une CCP doivent cotiser ne peut être très élevé, sauf à trop accroître le coût des transactions qui transitent par ses soins. À son tour, il ne peut en conséquence absorber un choc important.

Au bout du compte, les régulateurs en viennent à préconiser le transfert des positions et du collatéral (les actifs apportés en garantie dans le cadre des appels de marge) d’une CCP que l’on ne parvient pas à redresser, afin d’opérer proprement sa cessation d’activité sans déclencher d’effet systémique. Mais, outre certaines difficultés techniques, cela revient à reporter le risque résiduel sur la CCP qui bénéficie de ce transfert, imposant la création d’un mécanisme la protégeant pour qu’elle l’accepte. Or, la création d’un fonds inter-CCP destiné à mutualiser le risque ne rencontre pas les faveurs de la profession, qui n’est guère partageuse et veille à ses marges comme à la prunelle de ses yeux.

C’est à cette lumière que l’on peut interpréter la victoire que vient de remporter la City de Londres sur la BCE. Le tribunal de l’Union européenne vient de donner tort à cette dernière, qui prétendait imposer la localisation au sein de la zone euro des CCP par lesquelles passeraient des transactions en euro (au dessus d’une exposition de crédit nette journalière de plus de 5 milliards d’euros). Cela revient à empêcher toute surveillance des CCP par la BCE et à permettre à la City de les accueillir à coffres ouverts. Et renvoie à un débat vieux de maintenant plusieurs années et depuis oublié. Il avait été question de leur accorder un accès aux banques centrales de même nature que celui dont les banques disposent, afin qu’elles bénéficient du même parapluie. Faute d’y revenir, tout le gratin de la finance s’est attelé au problème, associations des banques comme The Clearing House ou des produits dérivés comme l’ISDA, mégabanques commerciales comme JP Morgan ou sociétés d’investissement géantes comme BlackRock. Toutes cherchent à résoudre l’équation du risque en le logeant chez le voisin…

La conclusion semble s’imposer : sans savoir le mesurer mais tout en le prétendant, on peut déplacer le risque mais on ne sait pas le faire disparaitre. Pour parachever cet édifice, il ne restera donc qu’à organiser des stress tests des CCP qui noieront le poisson, jusqu’au jour où… Ne serait-il pas plus simple d’interdire ce qui ne peut être sérieusement régulé ?

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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