A Athènes, les dirigeants
chinois viennent de s’engager sur un chemin qui mène loin. Ils
poursuivent la longue marche qu’ils ont entamée en
annonçant en prélude du premier G20 de Londres que le moment était
venu de progressivement réformer le système monétaire
international. Selon une approche revendiquée comme gradualiste, afin
de prendre en compte la fragilité du dispositif actuel, les tentatives
américaines d’esquiver cette sanction qui sonnera le glas de
leurs ambitions et l’ampleur des bouleversement
qui va en résulter.
Certes, les projets et intentions
qu’ils viennent de dévoiler ont d’autres plus modestes
objectifs, dans un proche avenir. Avec pour objectif d’établir
une plate-forme logistique maritime pour leurs importations en Europe. Une
sorte de tête de pont, comme l’Irlande l’a en son temps
été, pour d’autres acteurs et d’une autre nature.
Mais cela va plus loin,
puisqu’ils ont annoncé qu’ils allaient souscrire
l’année prochaine aux futures émissions obligataires
à long terme grecques, écartant le risque d’un
défaut de la Grèce sur sa dette publique
considérée autrement inévitable. Car ses effets sur la
zone euro seraient incalculables, et les Chinois seraient atteints. L’Europe,
l’un de leurs meilleurs clients, diminuerait ses importations, tandis
qu’une crise européenne d’ampleur aurait de fortes
conséquences sur un autre des leurs, les Etats-Unis.
On voit que, petit à petit,
le rôle que les Chinois pourraient jouer dans l’avenir se
précise. Au lieu de thésauriser leurs surplus commerciaux en
achetant des obligations – et de voir celles-ci
dévalorisées par diverses biais et phénomènes, en
dépit de la diversification de leurs achats en yens ou en euros
– ils développent une stratégie de valorisation de
ceux-ci. En se garantissant des accès aux matières
premières et en se préparant à investir dans des
secteurs industriels. Prenant leurs distances avec les investissements
financiers, avec lesquels ils se sont brûlés
les ailes. Ayant failli connaître sort bien pire, si les Américains
ne les avaient pas protégés afin de préserver l’un
de leurs grands argentiers.
Au vu de l’extrême
lenteur avec laquelle avance au sein du FMI la montée en puissance des
pays émergents, dont la Chine, les dirigeants chinois ont
défini et mis en place une stratégie autonome. Qui a aussi son
volet monétaire, en vue d’étendre l’usage du yuan
dans les échanges commerciaux et pour certaines pratiques
financières. Cela ne pourra que contribuer à accélérer
le processus, dont le rythme n’est pas en phase – comme on le
constate – avec les exigences de la crise économique et
financière, pas plus qu’avec l’expression du nouveau
rapport de force économique mondial, qui n’attend pas pour se
manifester.
Cela relativise d’autres
calculs et éclaire d’autres perspectives. En premier lieu ceux
du FMI, qui dépend pour faire avancer ses propres pions comme il
l’envisage de financements qui ne peuvent provenir que des pays ayant
des excédents. Mais qui n’a pas les moyens de pratiquer un
donnant-donnant, tant que le verrou que représente le droit de veto de
fait des Etats-Unis n’a pas sauté en son sein.
Cela ne va pas être le cas,
à la faveur des aménagements qui sont en train
d’être conclus et qui vont aboutir à une nouvelle
répartition des sièges au sein de son conseil d’administration,
faisant de la place pour les émergents mais ne remettant pas en
cause le privilège dont les Etats-Unis bénéficient.
Le schéma qui permettrait
d’envisager une restructuration d’ensemble de la dette des pays développés
à la faveur d’une réforme du système
monétaire international – faisant jouer à la Chine le
rôle de premier plan que les Américains ont joué à
Bretton Woods – en
utilisant leurs capacités financières pour financer la remise
à plat de la dette est à ce stade très théorique
et ambitieux. Voire totalement irréaliste.
Tout comme le serait la
réapparition d’un projet étudié par le FMI, la
mise en service d’une sorte de procédure de restructuration de
la dette publique, à la manière américaine (chapitre 11
de la loi sur les faillites), arbitré par un tribunal international
à constituer.
Car ce dispositif de faillite
ordonnée et négociée était prévu pour le
cas où un ou deux pays devraient en faire usage, mais pas pour celui
où tous les pays occidentaux en seraient demandeurs à la fois.
Négocier une restructuration de l’ensemble de la dette
occidentale serait comme démêler une gigantesque pelote, un
exercice qui est en train d’être réalisé dans un
autre contexte et à une bien plus petite échelle – dans
le cadre de la faillite de Lehman Brothers – et qui est de la plus grande
complexité.
Enfin, toute perspective de
répudiation globale de la dette, même partielle, peut être
comparée dans le contexte financier contemporain à un jeu de
mikado géant, qui menacerait à chaque instant de s’écrouler
au fur et à mesure que des baguettes en seraient délicatement
retirées. Une perspective qui n’est pas enchanteresse pour ceux
dont l’objectif est au contraire de réparer le système
financier.
Parmi les autres solutions
miracles qui n’en sont pas figure également la relance
économique par de nouveaux programmes d’achat par les banques
centrales d’obligations souveraines. On connaît à ce
propos les interrogations qui montent aux Etats-Unis, au Japon et au Royaume-Uni,
sur l’éventualité de nouvelles mesures de cet ordre, on
sait moins les craintes qui s’expriment en raison du risque non
négligeable que ces mesures ne produisent pas les effets
escomptés.
Le système bancaire dispose
déjà d’imposantes liquidités, grâce aux
injections des banques centrales, mais elles sont sans effet sur la relance.
Lui en procurer davantage a de fortes chances de ne servir à rien. Ce
qui revient pour ceux qui tiennent ce raisonnement à prononcer
l’oraison funèbre des solutions monétaires, qui ne
permettent pas de résoudre une crise d’une toute autre nature.
Il fallait en arriver là.
Le débat sur
l’opportunité ou non d’engager de nouveaux programmes
reposant sur la création monétaire est donc dans les faits
largement dépassé. D’autant qu’il a un
côté étroitement doctrinaire et hors de propos dans le
contexte récessif actuel. Alors que la seule inflation à
redouter est celle des actifs, que les banques centrales affectent de
considérer comme secondaire, mais devant laquelle elles
s’alarment parfois, généralement quand c’est trop
tard. Au prétexte que la théorie ne leur fournit pas de
ressources pour mesurer la dimension des bulles d’actifs financiers.
Mario Draghi,
gouverneur de la BCE, vient de s’en alarmer, pour préconiser que
les Etats prennent en charge leurs banques dépendantes des
liquidités fournies par la banque centrale, une addiction dont
l’effet pourrait être pernicieux. Comme s’ils en avaient
les moyens, l’exemple irlandais étant là pour
démontrer le contraire !
La discussion porte
dorénavant sur une toute autre question : si l’initiative
privée et le financement public font tous deux
défaut – pour des raisons différentes –
qu’entreprendre lorsque les banques centrales deviennent à leur
tour impuissantes ? Quelle équation de sortie de la crise peut
être posée, afin de la résoudre, si la restructuration de
la dette est impossible et la relance économique avec les outils
monétaires l’est tout autant ?
A ce compte-là, les Chinois
n’ont pas fini d’apparaître comme à la fois des
anges et des démons, des sauveurs potentiels futurs leaders du monde.
Car la seule perspective qui commence à se dessiner est celle de leur
confier les clés du futur système international, comme cela
avait été fait en faveur des Américains grands vainqueurs
de la seconde guerre mondiale, en 1944 à Bretton
Woods. Afin qu’au
« déséquilibre global » – comme
disent les américains – succède un rééquilibrage
global….
Qui l’aurait dit, qui
l’aurait cru ?
Le mécanisme complexe qui
permettrait de dégonfler la dette publique tout en accordant à
la dette privée le temps qu’elle se résorbe par la vertu
de la spéculation n’est pas encore trouvé. Une fois admis
que les recettes traditionnelles que sont la répudiation de la dette
et l’hyperinflation ne sont plus adaptées à la nouvelle
donne de l’époque, tout reste à inventer. En empruntant
un étroit chemin qui n’est pas bordé de roses, sur lequel
beaucoup d’obstacles peuvent impétueusement surgir.
Le rideau va se lever sur le
prochain acte, avec en ouverture la divulgation du plan
d’austérité britannique puis les élections
américaines. Deux actes fondateurs d’une nouvelle période
qui ne prennent pas spécialement le chemin que les dirigeants chinois
ont commencé à tracer…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
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tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant
les dix dernières années dans le milieu bancaire
américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il
a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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