Alors que nos politiciens s’enfoncent
de plus en plus profondément dans la jungle juridique à la recherche des
fantômes de la collusion avec la Russie, plus personne ne prête oreille à la
force la plus dangereuse de la vie américaine : la financiarisation
incontestable de l’économie.
Une financiarisation se produit
quand ceux qui sont au pouvoir « créent » des sommes colossales de « monnaie »
à partir de rien – en émettant des prêts, autrement dit de la dette – et tirent
des profits incroyables des bulles sur les actifs, des arbitrages des taux d’intérêt
et de toutes les autres opportunités d’escroquerie que leur offre ce capital
artificiel. C’est là une sorte de tour de magie qui a pu concentrer des monuments
de richesse entre les mains de quelques-uns, alors même que le reste de la
population croule sous les obligations d’un avenir qui leur a été volé.
Cette financiarisation s’est
manifestée de bien des manières, au travers notamment de la rénovation de New
York City (et plus particulièrement de Brooklyn). Elle n’a pas été organisée
parce que la génération X a soudainement ressenti de la répulsion envers les
quartiers ennuyeux dans lesquels elle a grandi, ainsi qu’un désir subit de
cocktails colorés. Elle a eu lieu parce que la financiarisation a concentré d’immenses
richesses dans le peu d’endroits où ces activités ont été entreprises – pas seulement
à New York, mais aussi à San Francisco, Washington et Boston – et qui pouvaient
désormais se permettre cuisines et bières artisanales.
Ce capital a en grande partie été
extrait du pillage des actifs du reste des Etats-Unis où la financiarisation
est restée absente, de ces régions restées dans l’oubli, tout comme ceux qui
y vivent. Cette dynamique est bien évidemment responsable du phénomène Donald
Trump, l’essence distillée de toutes ces tourmentes économiques et de la
colère qu’elles ont fait naître. Les habitants de l’Ohio, de l’Indiana et du
Wisconsin se sont retrouvés à tenir un sac vide, et n’ont pas manqué de
réaliser ce qui leur était arrivé, bien qu’ils n’avaient aucune idée de la
manière dont y répondre, si ce n’est en tentant d’échapper à la douleur de
leurs vies gâchées avec l’aide de puissantes drogues.
C’est alors qu’un champion s’est
présenté à eux, et leur a promis de redonner vie au bonheur d’avant-guerre, aux
années de bien-être – bien que le monde entier ait beaucoup changé depuis. Et
ces pauvres poissons ont mordu à l’hameçon. N’oublions pas non plus que son
adversaire – la très avare Hillary, avec ses centaines de millions de dollars
mal acquis – était l’avatar de cette financiarisation qui a ruiné leurs vies.
Avant même qu’elle ne tourne le regard vers eux et les qualifie de « panier
de gens déplorables ».
Et voilà que les promesses
pathétiques du président Trump, toutes ces histoires de grandeur retrouvée
des Etats-Unis, se défont alors même que l’économie financiarisée entre dans
sa phase terminale. Les richesses accumulées – notamment par les
portefeuilles sur les actions et obligations et les investissements sur l’immobilier
– feront bientôt face à un processus que nous qualifierons peut-être un jour
de découverte de prix venue tout droit des Enfers, et qui en révèlera
la véritable valeur : zéro. Les dettes monstrueuses accumulées par les
individus, les corporations et les sociétés souveraines deviendront
soudainement manifestement impayables, et les titres qu’elles représentent
disparaîtront dans le vortex de l’espace-temps que dépeignent les films de momies
et d’astronautes. Tout à coup, les avatars de cette richesse accumulée
verront leurs vies bouleversées, comme l’ont été celles des déplorables
buveurs de Budweiser et abuseurs d’OxyContin des terrains vagues de notre
utopie ruinée, pour ne devenir rien de plus que de la boue jaunâtre, s’écoulant
dans le sens des aiguilles d’une montre dans la cuvette de l’Histoire.
Personne ne prête attention à
cette catastrophe pourtant si proche – ou du moins personne n’en parle. Et si
la possibilité de tout cela occupe ne serait-ce qu’un coin de leur esprit, il
n’en est pas moins qu’ils ne sachent pas comment y préparer la populace, ou
que faire pour y remédier. La vérité, c’est que les sociétés répondent dans l’urgence
à des crises telles que l’effondrement imminent de notre économie
financiarisée, et très souvent de manière désordonnée. Je suppose que nous
devrons nous contenter de regarder se jouer ce spectacle nauséabond. Jusque-là,
le mélodrame de la collusion avec la Russie devrait nous garder occupés – et il
s’avèrera certainement bien plus divertissant que Wonder Woman ou le dernier film de Tom Cruise.