Depuis neuf ans, le magazine
Forbes considère la chancelière allemande comme la femme la
plus puissante du monde, notamment parce que son rôle été central dans la gestion
de crise des dettes publiques des pays de la zone euro.
Même s’il est
légitime de se demander si la dame d’étain Angela Merkel a réussi à négocier au mieux les intérêts
de son pays, il apparaissait – il y a encore pas si longtemps – qu’elle
était en mesure de dicter sa volonté à l’Europe.
Plus maintenant. Et c’est
une mauvaise nouvelle pour l’état de l’Europe. Au
fur et à mesure que l’influence de la chancelière
s’amenuise, tout espoir de consolidation budgétaire des
États européens se dissipe.
Ce déclin a plusieurs
causes.
Une marginalisation à domicile
Le premier handicap d’Angela
Merkel est son partenaire politique au sein du gouvernement de coalition
allemand. La formation d’un gouvernement entre les
chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates a
affaibli sa capacité à exiger des politiques d’austérité en Europe.
Jusqu’aux élections
fédérales de septembre 2013, le gouvernement allemand
était composé d’une coalition entre les
chrétiens-démocrates et les libéraux-démocrates.
La priorité politique de Mme Merkel était de prendre en compte
les éléments euro-critiques de son électorat.
Cela signifiait qu'elle devait
paraître dure en négociation, exiger des réformes et des
politiques d'austérité en échange du soutien donné
par l’État allemand aux économies européennes en
difficulté.
Étant donné que la
chancelière dirige à présent une grande coalition avec
les sociaux-démocrates, cette posture austère n’est plus
nécessaire.
Au contraire, son adjoint
social-démocrate, le vice-chancelier Sigmar
Gabriel, est ouvertement sceptique à l’égard des
politiques d'austérité. Le vice-chancelier est tranquillement
en train d’aligner la position du gouvernement allemand sur celle des
autres gouvernements de centre-gauche européens comme celui du
président français François Hollande ou du premier
ministre italien Matteo Renzi.
Jean-Claude Juncker élu à la présidence de la
Commission européenne
Le second handicap d’Angela
Merkel est Jean-Claude Juncker. Le nouveau président de la Commission européenne n'a
jamais été le favori de la dirigeante allemande.
En réalité, Mme
Merkel n'appréciait pas l’idée que le Parlement
européen nomme des candidats à la présidence de la
Commission européenne. Ce n’est que lorsque les
sociaux-démocrates européens ont nommé Martin Schulz
comme candidat que le centre-droit européen s’est trouvé
forcé de désigner lui-aussi un candidat.
Quand il s'agit des affaires européennes,
Jean-Claude Juncker représente tout ce qu’Angela Merkel a tenté
de disqualifier au cours des années précédentes. Non
seulement le nouveau président de la Commission européenne croit
en une Europe beaucoup plus intégrée politiquement que ce que
la chancelière allemande peut envisager, mais l’ancien chef de
l’eurogroupe a également plaidé
en faveur de la création d’euro-obligations (des bons du
Trésor émis conjointement par les États
européens), ce qu’Angela Merkel a rejeté
catégoriquement « aussi longtemps que je
vivrai ».
L'ancien premier ministre du
Luxembourg n'est pas un grand amateur des politiques
d'austérité. Il privilégie plutôt les transferts entre
pays européens.
La perte de son allié britannique
Troisième handicap, la
nomination de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission a
aussi provoqué un important dommage collatéral pour Angela
Merkel. Elle s’est aliéné le premier ministre britannique
David Cameron, son allié le plus sûr en Europe.
David Cameron, sous la menace d’eurosceptiques de son propre parti et du poids électoral grandissant du parti
souverainiste UKIP, s’est en effet encore plus opposé
qu’Angela Merkel à la nomination de Jean-Claude Juncker à
la tête de la Commission. Angela Merkel ayant changé de camp en
cours de route – comme d’habitude – pour soutenir
finalement Juncker, la chancelière a affaibli la position de David
Cameron à Bruxelles alors même que le premier ministre
britannique était son meilleur allié en faveur de la discipline
budgétaire en Europe.
L’émergence d’une coalition
anti-austérité en Europe
Les dirigeants politiques
français et italiens représentent le quatrième et
dernier handicap d’Angela Merkel.
Le président français est dos au mur après le mauvais bilan des deux
premières années de son mandat et deux défaites
électorales aux municipales et aux européennes. En Italie, le
nouveau premier ministre Matteo Renzi a, quant-à lui, remporté une victoire
éclatante aux élections européennes.
Bien que leurs fortunes électorales
ne puissent être plus différentes, François Hollande et Matteo
Renzi sont unis contre la poursuite des politiques
d'austérité. Ils ont tous deux affirmé que
l'assouplissement des règles budgétaires était une
condition nécessaire aux reformes
économiques. Cela tombe bien : le vice-chancelier allemand et le
nouveau président de la Commission européenne sont
d’accord avec eux.
Conclusion
On le voit, une coalition
anti-austérité crédible se forme contre Angela Merkel.
Fidèle à elle-même, la dame d’étain
n’a pas tardé à déclarer par
l’intermédiaire de son porte-parole qu'il pourrait y avoir une certaine «
flexibilité » dans l'application des règles
prévues dans le Pacte de stabilité et de croissance. Comme si
cela n’était pas déjà le cas en pratique…
Dans l'avenir, attendez-vous donc
à des comptabilités nationales toujours plus créatives
et à toujours plus de reculades de la part de la chancelière
allemande. Le gouvernement français, par exemple, aimerait voir les
dépenses de l’État en matière de politique
énergétique, de recherche et de développement exclues du
calcul du déficit budgétaire.
Ces considérations et la
marginalisation d’Angela Merkel, la seule voix influente en faveur des
politiques de rigueur, devraient alarmer les partisans de
l’honnêteté budgétaire et de la réforme de
l’État.
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