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Les conséquences perverses et inattendues des taux d’intérêt négatifs

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Published : January 15th, 2016
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Category : Editorials

Les taux d’intérêt négatifs – appelés intérêts punitifs en Allemagne – sont passés en Europe d’une impossibilité flagrante à une solide réalité. Après avoir observé leur fonctionnement, c’est au tour de la Banque du Canada de les invoquer aujourd’hui, après une proposition identique faite par la gouvernante de la Fed Janet Yellen devant un comité de représentants de la Chambre. 

En Europe, après s’être établie comme dernière méthode de châtiment à la mode utilisée contre les épargnants en attendant que leur humeur s’améliore, toutes sortes d’absurdités ont vu le jour. Par exemple, les gouvernements nationaux qui ont été refinancés peuvent maintenant financer leurs déficits grâce aux taux négatifs, en demandant de l’argent aux propriétaires de leurs obligations plutôt qu’en leur en versant. Peut-être l’idée la plus en vogue a-t-elle été que les banques « paieraient nos prêts immobiliers. »

Ce n’était qu’une illusion – du moins en Suisse, où la Banque nationale a pris la décision de réduire les intérêts portés par les comptes à vue jusqu’à -0,75% le 15 janvier dernier, le jour du Frankenschock. Ce jour-là, la Banque nationale suisse a pris la décision d’abandonner le plafonnement du franc, qui en un rien de temps a gagné 40% contre l’euro et le dollar pour exterminer les spéculateurs et secouer les marchés globaux des capitaux.

Selon Crédit Suisse, en conséquence de l’adoption de taux d’intérêt négatifs, 70% des obligations d’entreprise libellées en francs ont désormais des rendements négatifs. Et la théorie voulait que les prêts immobiliers suivent la même voie.

Initialement, les taux d’intérêt des prêts immobiliers à taux fixe sur dix ans ont plongé d’1%, certains étant passés sous la barre des 1%. Beaucoup parlaient déjà de taux d’intérêt zéro et de prêts à taux négatif. Mais quelque chose d’étrange s’est produit : des conséquences inattendues ont vu le jour.

Les banques suisses ont pris la décision, pour une raison inexplicable, de gagner leur pain. Chose qui est très difficile à faire pour une banque dans un environnement de taux négatifs. Les banques suisses ont donc accompli une prouesse unique : elles ont fait grimper les taux d’intérêt des prêts immobiliers. Le taux fixe sur dix ans est désormais de 2%, et le taux fixe sur 15 ans d’environ 2,5%.

Et elles s’attendent encore à voir grimper les taux des prêts immobiliers. Crédit Suisse, dans son plus récent rapport sur les taux de prêt, se lamente du fait que « l’économie suisse continue de souffrir de la force du franc suisse », et qu’au troisième trimestre, l’économie avait « stagné sur un an ». Elle s’attend à voir la Banque nationale suisse « maintenir les taux d’intérêt à leur niveau actuel », ce qui ne l’empêche pas de prévoir, sous douze mois, une hausse des taux fixes sur dix ans jusqu’à 2,3% (ligne bleue) et une hausse jusqu’à 2,8% des taux fixes sur quinze ans (ligne violette) :

Swiss-mortgage-rates

Cette hausse des taux d’intérêt des prêts immobiliers a « souligné la manière dont les politiques monétaires non-conventionnelles produisent des effets pervers et imprévisibles sur le secteur bancaire européen », a déclaré le Financial Times.

« Il nous a fallu expliquer la raison pour laquelle les taux applicables aux prêts immobiliers ne se sont pas déplacés dans le même sens », a dit Paulo Brügger, trésorier cher Raiffeisen Bank, au FT.

La Suisse est un pays d’épargnants. Et leurs dépôts sont, selon le FT, « la source la plus importante de financements pour les prêts immobiliers suisses, un marché dominé par UBS, Crédit Suisse, ZKB et Raiffeisen ». Il se trouve que des taux de dépôt négatifs offerts aux clients particuliers des banques poseraient beaucoup de problèmes.

« Si nous introduisions des taux négatifs sur les dépôts de nos clients, nous fermerions très vite boutique, a expliqué Brügger. Nos clients ne comprendraient pas. »

Les banques craignent de voir leurs déposants et leurs épargnants retirer leur capital s’ils se trouvaient devoir payer pour leurs dépôts. Les banques ont donc décidé de leur épargner la souffrance de taux négatifs, et sont parvenues à compenser ailleurs.

Et il y a eu un autre problème pour les banques, cette fois-ci en termes de coûts. Voici ce que nous dit le FT :

Dans le même temps, les coûts de financement des prêts immobiliers ont grimpé en raison des effets que les taux négatifs ont eu sur les marchés des capitaux. Les banques ont dû payer plus cher l’utilisation d’instruments de marchés pour couvrir les déséquilibres de maturité entre les dépôts de court terme et les prêts immobiliers de long terme. En conséquence de la hausse du coût de couverture, les taux des prêts immobiliers ont grimpé.

« La réponse apportée par le marché aux taux d’intérêt négatifs a été tout à fait logique en raison de la valeur des dépôts privés », a expliqué Tom Naratil, directeur financier d’UBS, au FT. « La question que nous avons dû nous poser a été de savoir si les autres banques suivraient notre exemple ou si elles chercheraient à récupérer notre part de marché. »

Les banques suisses se sont désormais accordées : aussi ironique que cela puisse paraître, les taux d’intérêt des prêts immobiliers continueront de grimper, non pas malgré, mais en raison de la politique de taux d’intérêt négatifs de la Banque nationale suisse.

Cette absurde politique a eu un autre effet pervers : l’émission d’obligations d’entreprise libellées en francs par les sociétés étrangères a plongé de 28% depuis le début de l’année par rapport à la même période en 2014, pour atteindre 18 millions de francs suisses. Selon les chiffres de Dealogic, 2015 devrait être l’année la plus faible depuis au moins 1995.

Il semblerait que les investisseurs n’apprécient pas de devoir payer pour prêter de l’argent à des emprunteurs à risque – avec pour seul espoir une nouvelle baisse des taux qui, comme le montrent les taux d’intérêt des prêts immobiliers, n’est pas garantie. Face à une faible demande pour ces obligations défavorables, ceux qui continuent de jouer le jeu maintiennent leurs émissions au plus bas pour pouvoir faire grimper les taux.

Comme le montre la débâcle des prêts immobiliers suisses, les marchés peuvent être récalcitrants et redévelopper une volonté individuelle lorsque la situation tire trop vers l’absurde. Ils peuvent contrer la planification centrale. Ce sont là les conséquences inattendues des taux négatifs. Les absurdités donnent lieu à d’autres absurdités, et à bien d’autres surprises.

Les taux d’intérêt négatifs sont désormais dans la caisse à outils de la Banque du Canada, qui s’est lancée dans une nouvelle guerre des monnaies. Autre effet pervers, ces politiques ont des gagnants : les riches chinois qui achètent des propriétés au Canada. Lisez ceci : Bank of Canada Crushes Loonie, Creates Mother of All Shorts

 

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