Les
taux d’intérêt négatifs – appelés intérêts
punitifs en Allemagne – sont passés en Europe d’une impossibilité
flagrante à une solide réalité. Après avoir observé leur fonctionnement,
c’est au tour de la Banque du Canada de
les invoquer aujourd’hui, après une proposition identique faite par la
gouvernante de la Fed Janet Yellen devant un comité de représentants de la
Chambre.
En
Europe, après s’être établie comme dernière méthode de châtiment à la mode
utilisée contre les épargnants en attendant que leur humeur s’améliore,
toutes sortes d’absurdités ont vu le jour. Par exemple, les gouvernements
nationaux qui ont été refinancés peuvent maintenant financer leurs déficits
grâce aux taux négatifs, en demandant de l’argent aux propriétaires de leurs
obligations plutôt qu’en leur en versant. Peut-être l’idée la plus en vogue
a-t-elle été que les banques « paieraient
nos prêts immobiliers. »
Ce
n’était qu’une illusion – du moins en Suisse, où la Banque nationale a pris
la décision de réduire les intérêts portés par les comptes à vue jusqu’à
-0,75% le 15 janvier dernier, le jour du Frankenschock. Ce jour-là, la
Banque nationale suisse a pris la décision d’abandonner le plafonnement du
franc, qui en un rien de temps a gagné 40% contre l’euro et le dollar pour
exterminer les spéculateurs et secouer les marchés globaux des capitaux.
Selon
Crédit Suisse, en conséquence de l’adoption de taux d’intérêt négatifs, 70%
des obligations d’entreprise libellées en francs ont désormais des rendements
négatifs. Et la théorie voulait que les prêts immobiliers suivent la même
voie.
Initialement,
les taux d’intérêt des prêts immobiliers à taux fixe sur dix ans ont plongé
d’1%, certains étant passés sous la barre des 1%. Beaucoup parlaient déjà de
taux d’intérêt zéro et de prêts à taux négatif. Mais quelque chose d’étrange
s’est produit : des conséquences inattendues ont vu le jour.
Les
banques suisses ont pris la décision, pour une raison inexplicable, de gagner
leur pain. Chose qui est très difficile à faire pour une banque dans un
environnement de taux négatifs. Les banques suisses ont donc accompli une
prouesse unique : elles ont fait grimper les taux d’intérêt des prêts
immobiliers. Le taux fixe sur dix ans est désormais de 2%, et le taux fixe
sur 15 ans d’environ 2,5%.
Et elles
s’attendent encore à voir grimper les taux des prêts immobiliers. Crédit
Suisse, dans son plus récent rapport sur les taux de prêt, se lamente du fait
que « l’économie suisse continue de souffrir de la force du franc
suisse », et qu’au troisième trimestre, l’économie avait « stagné
sur un an ». Elle s’attend à voir la Banque nationale suisse
« maintenir les taux d’intérêt à leur niveau actuel », ce qui ne
l’empêche pas de prévoir, sous douze mois, une hausse des taux fixes sur dix
ans jusqu’à 2,3% (ligne bleue) et une hausse jusqu’à 2,8% des taux fixes sur
quinze ans (ligne violette) :
Cette
hausse des taux d’intérêt des prêts immobiliers a « souligné la manière
dont les politiques monétaires non-conventionnelles produisent des effets
pervers et imprévisibles sur le secteur bancaire européen », a déclaré
le Financial
Times.
« Il
nous a fallu expliquer la raison pour laquelle les taux applicables aux prêts
immobiliers ne se sont pas déplacés dans le même sens », a dit Paulo
Brügger, trésorier cher Raiffeisen Bank, au FT.
La
Suisse est un pays d’épargnants. Et leurs dépôts sont, selon le FT, « la
source la plus importante de financements pour les prêts immobiliers suisses,
un marché dominé par UBS, Crédit Suisse, ZKB et Raiffeisen ». Il se
trouve que des taux de dépôt négatifs offerts aux clients particuliers des
banques poseraient beaucoup de problèmes.
« Si
nous introduisions des taux négatifs sur les dépôts de nos clients, nous
fermerions très vite boutique, a expliqué Brügger. Nos clients ne
comprendraient pas. »
Les
banques craignent de voir leurs déposants et leurs épargnants retirer leur
capital s’ils se trouvaient devoir payer pour leurs dépôts. Les banques ont
donc décidé de leur épargner la souffrance de taux négatifs, et sont
parvenues à compenser ailleurs.
Et il y
a eu un autre problème pour les banques, cette fois-ci en termes de coûts.
Voici ce que nous dit le FT :
Dans le
même temps, les coûts de financement des prêts immobiliers ont grimpé en
raison des effets que les taux négatifs ont eu sur les marchés des capitaux.
Les banques ont dû payer plus cher l’utilisation d’instruments de marchés
pour couvrir les déséquilibres de maturité entre les dépôts de court terme et
les prêts immobiliers de long terme. En conséquence de la hausse du coût de
couverture, les taux des prêts immobiliers ont grimpé.
« La
réponse apportée par le marché aux taux d’intérêt négatifs a été tout à fait
logique en raison de la valeur des dépôts privés », a expliqué Tom
Naratil, directeur financier d’UBS, au FT. « La question que nous avons
dû nous poser a été de savoir si les autres banques suivraient notre exemple
ou si elles chercheraient à récupérer notre part de marché. »
Les
banques suisses se sont désormais accordées : aussi ironique que cela
puisse paraître, les taux d’intérêt des prêts immobiliers continueront de
grimper, non pas malgré, mais en raison de la politique de taux d’intérêt
négatifs de la Banque nationale suisse.
Cette
absurde politique a eu un autre effet pervers : l’émission d’obligations
d’entreprise libellées en francs par les sociétés étrangères a plongé
de 28% depuis le début de l’année par rapport à la même période en 2014,
pour atteindre 18 millions de francs suisses. Selon les chiffres de Dealogic,
2015 devrait être l’année la plus faible depuis au moins 1995.
Il
semblerait que les investisseurs n’apprécient pas de devoir payer pour prêter
de l’argent à des emprunteurs à risque – avec pour seul espoir une nouvelle
baisse des taux qui, comme le montrent les taux d’intérêt des prêts
immobiliers, n’est pas garantie. Face à une faible demande pour ces
obligations défavorables, ceux qui continuent de jouer le jeu maintiennent
leurs émissions au plus bas pour pouvoir faire grimper les taux.
Comme
le montre la débâcle des prêts immobiliers suisses, les marchés peuvent être
récalcitrants et redévelopper une volonté individuelle lorsque la situation
tire trop vers l’absurde. Ils peuvent contrer la planification centrale. Ce
sont là les conséquences inattendues des taux négatifs. Les absurdités
donnent lieu à d’autres absurdités, et à bien d’autres surprises.
Les
taux d’intérêt négatifs sont désormais dans la caisse à outils de la Banque
du Canada, qui s’est lancée dans une nouvelle guerre des monnaies. Autre
effet pervers, ces politiques ont des gagnants : les riches chinois qui
achètent des propriétés au Canada. Lisez ceci : Bank
of Canada Crushes Loonie, Creates Mother of All Shorts