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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Il
avait pu sembler aux gouvernements européens qu’ils avaient
gagné un répit prolongé, les faits viennent de les
détromper. Non seulement la crise continue, mais elle a repris une
mauvaise tournure en cette fin de semaine. Deux signes qui ne trompent
pas : l’euro continue d’être très
attaqué sur les marchés et les cours des valeurs
financières (les banques) font un nouveau grand plongeon. Seuls, les
taux obligataires sous surveillance renforcée et interventions de la
BCE restent stables, mais à un niveau qui reste très
élevé. Ce n’est pas encore tout à fait la
Bérézina, mais ce n’est pas du tout le soleil qui se
lève sur Austerlitz. Les marchés sont tenaces et ont les
moyens de le faire savoir.
Les
gouvernements grec, espagnol, portugais, et même italien, continuent de
donner des gages en annonçant de nouvelles mesures
d’austérité, mais les marchés n’en
ont cure, car c’est l’euro qu’ils ont pris pour cible dans
l’immédiat, en attendant de voir jusqu’où la BCE
est prête à aller dans son soutien au marché obligataire.
Certains annoncent que le tour de la livre sterling ne devrait pas tarder
à venir, ces rumeurs continentales étant alimentées par
les réactions qu’a suscité le
refus britannique de participer au plan de sauvetage européen…
Qu’attendent
donc les marchés, ces intervenants que l’on n’ose
même pas identifier par leur nom, et qui aspirent au rôle de
démiurges malfaisants ? Ils doutent d’abord de
l’issue de la partie qui s’annonce : la réduction des
déficits et la baisse de la demande des Etats sur les marchés
obligataires, à laquelle ils poussent avec acharnement. Car
déjà s’installe l’idée, chez ceux qui en ont
encore les moyens, que pour être politiquement jouables les sacrifices
vont être étalés dans le temps.
La crise de la
dette financière n’est en effet pas une affaire qui va va se régler en trois ans, comme le gouvernement
Allemand cherche naïvement à l’imposer. Dégonfler
cette bulle ne se fera pas sans accidents de parcours – des restructurations
de dette qui atteindront le système financier – et va contribuer
à ce que cette crise n’en finisse pas.
Ils
ne croient pas d’avantage que les gouvernements européens vont
savoir consolider la Maison Europe, en élargissant l’union
monétaire à une union fiscale, ce qui suppose un accord sur une
politique économique commune. A cet égard, ils constatent que
les seules propositions concrètes émises à ce jour
alignent des règles et des châtiments. Ces derniers sanctionnant
des manquements à des obligations qui ne sont définies
qu’en termes généraux, car il est acquis –
même si ce n’est pas encore reconnu – qu’il faudrait
pour les instituer modifier les paramètres originellement définis
pour le pacte de stabilité européen (en réalité
de circonstance à l’époque).
Enfin,
et surtout, ils sanctionnent une évidence : les perspectives de
croissance économique de l’Europe sont médiocres, pour ne
pas dire nulles, une fois que l’austérité en train
d’être concoctée aura produit tous ses effets.
Sans
doute même vont-ils plus loin, s’interrogeant sur l’ampleur
de ce phénomène qui veut que tous les pays européens
s’engagent simultanément dans la même voie menant à
la dépression, induisant un rétrécissement du
marché intérieur, accentuant encore la pente de celle-ci
étant donné l’importance du commerce intra-Europe.
Y ajoutant, enfin, des considérations sur la place à laquelle
peut prétendre l’Europe dans un monde qui est en train de
changer d’axe, sous les effets de la mondialisation.
La
question, en effet, n’est pas tellement quel niveau de croissance, mais
quel moteur à celle-ci dans ce nouveau contexte très
évolutif ? Les Allemands peuvent toujours avoir l’espoir
qu’ils réorienteront à terme plus ou moins rapproché
leurs flux d’exportation des pays européens – qui ne vont
plus leur offrir les mêmes débouchés – vers les
pays émergents, mais les autres ?
Cette
même question concerne également les Etats-Unis, dont il est
fait grand cas des taux de croissance qui y sont affichés, sans les
analyser et noter les effets des résultats de l’industrie
financière, du déstockage des entreprises et de
l’intervention publique. Utilisant, pour justifier l’optimisme
les concernant, la capacité de rebond des Américains, dans un
nouvel emprunt aux catégories psychologiques les plus sommaires. Ne
prenant pas en compte la poursuite de la détérioration de la
balance commerciale américaine, qui montre bien que la
désindustrialisation des Etats-Unis n’est et ne peut être
stoppée, et a fortiori que le phénomène ne peut plus
être inversé.
D’ailleurs,
les déclarations des dirigeants de la Fed se multiplient actuellement,
comme autant de mises en garde à propos du déficit
américain, valables d’abord pour le gouvernement. En
félicitant chaudement, comme il vient de le faire, José Luis
Rodriguez Zapatero pour les mesures drastiques qu’il vient
d’annoncer, Barack Obama
envoie à ce propos un signal à son pays, qu’il
tempère pour le moment par un discours sur le retour de la croissance,
car les mid-terms
(les élections à mi-mandat) arrivent. En dépit de
l’avantage que leur procure le statut du dollar, les Etats-Unis sont
embarqués dans le même bateau que les Européens. La
boucle est bouclée.
De
la même manière que le capitalisme financier a mis en place, via une redistribution inégalitaire
accrue de la richesse, une machine à fabriquer de la dette, il
s’est fabriqué un nouvel eldorado ; par ses investissements
il a contribué à l’émergence de pays qui sont
désormais les seuls à connaître une véritable croissance,
sur le mode qui lui est consubstantiel : accroissement rapide des
inégalités sociales et exploitation intensive des ressources
humaines et environnementales. Un million de voitures supplémentaire
va circuler en l’espace de cette année à Pékin,
plus 25%, c’est un condensé de ce que connaît la Chine.
La
problématique du moteur de la croissance, qui est indissociable de la
mise en cause de sa conception actuelle, va émerger comme une
question-clé. A laquelle il est nécessaire de trouver une autre
réponse que le repli sur des positions préparées
à l’avance, comme disent les militaires quand ils font retraite,
c’est à dire d’illusoires nouvelles murailles. A
l’image, mais en nettement plus imposant, de celles que les riches se
font construire, pour s’isoler et se protéger. Sauf que cette
fois-ci, ces barrières parqueraient des pauvres, ce qui leur donnerait
un tout autre sens.
A
ce propos, que n’a-t-il pas été dit à propos du modèle
européen et des filets de protection sociale dont il était
garni et qu’il fallait préserver ! Après avoir
été grignotés, ceux-ci sont en danger d’être
sévèrement troués. Au profit d’une autre
conception de la protection sociale, qui, comme une oeuvre
de charité à qui l’on donne pour se faire du bien,
limitera ses bienfaits aux exclus, au Tiers-monde de
l’intérieur. Apposant un léger pansement sur une plaie
que l’on préfère ne pas regarder. Permettant à
ceux qui en bénéficieront de garder le nez au-dessus du niveau
de l’eau, pour le coup moteur d’une nouvelle dynamique
économique, mais imprévue, celle du développement de l’informalité.
Cette activité qui échappe à l’emprise de
l’Etat, moyen de survie des démunis quand elle n’est pas,
à l’opposé de l’échelle sociale,
privilège des nantis qui s’absolvent des contraintes fiscales et
font des affaires comme d’autres pratiquent la corruption
systématique. En bas, le phénomène est
déjà en cours, on commence à en parler, en haut ce
n’est que routine.
En
filigrane, on voit se dessiner les contours d’une société
qui n’est pas celle de nos rêves, dont l’avènement
n’est toutefois pas inéluctable. Les rodomontades des uns et des
autres apparaissent bien dérisoires, marionnettes manipulées
sur le devant de la scène, chargés de mission du réel
pouvoir, celui d’un système qui ne se résoudra jamais
à abdiquer. La seule chose contre laquelle il est totalement
impuissant, c’est sa propre implosion qu’il ne maîtrise
pas. C’est souvent ainsi qu’a marché l’histoire.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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