‘Le gouvernement des
Etats-Unis dispose d’une technologie appelée « presse à imprimer »
(ou si vous préférez, son équivalent électronique) qui lui permet de produire
autant de dollars qu’il le souhaite sans que cela lui coûte quoi que ce soit…
Les gens savent que l’inflation érode la valeur réelle de la dette du
gouvernement et qu’il est donc dans l’intérêt de leur gouvernement de générer
de l’inflation’ – Ben Bernanke, 2002.
Au cours de notre histoire,
nous avons fait de nombreuses expériences qui continuent aujourd’hui encore
de bénéficier à la race humaine. Nos connaissances en médecine et en
technologie sont incroyables. Nous pouvons désormais soigner des maladies qui
autrefois étaient mortelles et sommes en mesure de communiquer avec des
personnes qui il y a peu de temps ne savaient rien de notre existence.
Il semblerait cependant que
nous n’apprenions rien de nos expériences historiques. Comme nous l’indique Bernanke, deux domaines que nous ne sommes toujours pas
capables de comprendre sont la monnaie et le gouvernement. L’Histoire nous a
de nombreuses fois montré que dévaluer une devise ne pouvait que se terminer
par des pleurs… et un effondrement.
A l’école, nous avons beaucoup
appris des âges et des périodes historiques : l’âge de bronze, le
Moyen-Âge, l’Empire Romain, l’Egypte ancienne, les années folles et la
Renaissance. Aujourd’hui, nous sommes en pleine époque ‘post-moderne’.
Le trait particulier des âges
est qu’ils finissent toujours par s’achever. Le nôtre le fera aussi, bien que
nous ne sachions pas encore ce qui viendra y mettre fin. En observant ce qui
est arrivé à l’Empire Romain, il nous est toutefois possible de nous en faire
une idée. Joseph Tainter décrit l’Empire Romain
comme étant à la fois le plus grand succès et le plus grand échec de
l’Histoire. Voilà qui pourrait aussi être dit de l’ère dans laquelle nous
vivons aujourd’hui.
De nombreuses études académiques
se sont penchées sur cette question de savoir pourquoi l’Empire Romain s’est
effondré – et il semblerait que ce soit dû à des problèmes monétaires,
fiscaux, politiques et militaires.
‘Si ces problèmes se sont tant
entremêlés, c’est parce que tout Etat tend à monopoliser l’émission de
monnaie sur son propre territoire. La politique monétaire sert, bien qu’elle
ne le fasse pas de manière idéale, les besoins des dirigeants d’une nation’ –
Joseph Peden, 1984 [1].
Depuis 1971, c’est exactement
ce à quoi ont aspiré les politiques monétaires. Comme Bernholz
(2003) [2]
l’explique, les gouvernements ont tendance à alimenter l’inflation en temps
de paix - ‘Jamais une hyperinflation n’a été le fruit d’autre chose que d’un
énorme déficit d’Etat’ – puisqu’ils ont tendance à emprunter pour remplir les
promesses faites lors des campagnes électorales.
L’indice du dollar [3]
est né en 1973, deux ans après que le lien du dollar avec l’or ait été
abandonné, ce qui a mis fin au système de Bretton Woods.
Depuis lors, la dévaluation du
dollar n’a été un secret pour personne. Le denier d’argent a été introduit
par l’Empereur Augustus et avait une pureté de 95%. Ce fut Néron qui le
premier, en 68, le dévalua pour porter sa pureté à 92% [4].
La dévaluation du denier, qui
a pu être observée entre Néron et Antonius Pius,
ressemble fortement à celle de l’indice du dollar. Ce qui diffère en revanche
est que le dollar n’a commencé à être dévalué qu’il y a quarante ans.
Mais la dévaluation du denier
ne s’est pas arrêtée là. Les Empereurs Romains ont successivement prolongé la
dévaluation de leur devise jusqu’au IVe siècle. En observant la période qui
s’est écoulée entre la première dévaluation du denier et le moment où il a
cessé d’être largement utilisé, nous pouvons voir à quel point les Empereurs
Romains ont su prolonger leur jeu.
L’Antoninianus
fut introduit en 215 par Caracalla. Il contenait 80% de l’argent contenu par
deux deniers. La pièce fut démonétisée par Héliogabale en 219. Plus tard,
Maxime Pupien et Balbin (238) firent de l’Antoninianus la devise principale. Comme le montre le
graphique, la pièce ne contenait alors plus qu’une quantité infime d’argent.
Contrairement à celle des
deniers, la destruction de l’Antoninianus fut un
processus brutal – passant d’un contenu argent de 49,5% sous Maxime Pupien et Balbin à 5% sous Aurélien en 274.
En comparant l’Antoninianus au dollar, nous pouvons voir que la
dévaluation du dollar est un exemple bien plus frappant de l’abus des
politiques monétaires par le gouvernement que la dévaluation de la monnaie de
Rome.
Pourquoi une dévaluation ?
Pour les mêmes raisons que
nous voyons aujourd’hui de la monnaie être créée à
partir de rien. Le président Barack Obama, le Premier Ministre Britannique
David Cameron et le Premier Ministre japonais Shinzo
Abe ont tous été élus à la tête de pays qui se dirigent tout droit vers
l’insolvabilité. Comme je l’ai expliqué plus tôt, les politiques monétaires
sont destinées à servir les besoins de l’Etat et à permettre au gouvernement
de remplir ses promesses. Les gouvernements nouvellement élus ne sont pas
différents de leurs prédécesseurs – comme nous le montre le graphique
ci-dessous :
Aujourd’hui, les gouvernements
ont tendance à dévaluer leur devise bien plus rapidement qu’à l’époque
Romaine. Mais cela ne veut pas dire que leurs raisons de le faire sont
différentes.
‘Les Empereurs qui arrivaient
au pouvoir étaient souvent confrontés à un gouvernement insolvable et
n’étaient pas dans la capacité d’accumuler des réserves d’urgence. Lorsque des
dépenses extraordinaires étaient nécessaires, les réserves disponibles
n’étaient généralement pas suffisantes. Pour contrer ce problème, Néron
commença dès 64 par entreprendre des politiques que ses successeurs
trouvèrent très vite irrésistibles. Il dévalua le denier d’argent, augmentant
ainsi son contenu en métal de base de 10%... Cela ne s’est pas révélé être
une solution efficace’ – Joseph Tainter, 1990.
La dévaluation du dollar ne
dure aujourd’hui que depuis 40 ans. Les Romains sont parvenus à poursuivre
leur jeu plusieurs siècles durant. Les méthodes par lesquelles ils y sont
parvenus ne sont pas si différentes de celles qu’emploient nos gouvernements
d’aujourd’hui.
‘En dévaluant les devises,
augmentant les taxes et imposant des régulations aux individus, l’Empire
s’assura sa survie quelques siècles durant. Il y est parvenu en augmentant
fortement son propre coût, soit en dévaluant le retour marginal offert à sa
population. Ces coûts ont tant pesé sur la paysannerie que la population ne
parvenait plus à se sortir des épidémies de peste. Des territoires entiers
furent abandonnés et la capacité de l’Etat à s’auto-supporter s’en trouva
dégradée’ – Joseph Tainter, 1990.
La dévaluation du denier s’est
fortement accélérée au cours des IIIe et IVe siècles. L’inflation qui s’est
développée à cette période ne peut être niée.
De nos jours, la défense
utilisée par les banquiers consiste à dire que l’inflation est un phénomène
bien moins dramatique que l’on pouvait autrefois se l’imaginer. Il n’en est pas
moins qu’elle ait mis du temps à s’installer au IIIe siècle – elle s’est
manifestée près de 100 ans après qu’ait commencé la dévaluation du denier,
après la réintroduction de l’Antoninianus. ‘Cette
dévaluation était unique dans le sens où elle a été menée sans politique
monétaire défendable’ – Wassink, 1991 (cité par Bernholz, 2003).
Selon Bernholz
(2003), l’inflation a commencé à accélérer lentement dès 238 ‘parce que la
monnaie saine sortait peu à peu de la circulation, ce qui a au départ
entraîné une faible hausse de la masse monétaire’.
A notre époque, il n’existe
plus aucune monnaie saine qui puisse sortir de la circulation, et il n’existe
aucune politique monétaire défendable. Rien ne va plus. Cela laisse
sous-entendre qu’une forte inflation, qu’elle soit réelle ou reconnue par le
gouvernement, nous attend au tournant.
Les données recueillies par Bernholz mettent en lumière une inflation annuelle
moyenne de 3,65% entre 250 et 293. Elle est ensuite passé
à 22,28% entre 293 et 301. Bernholz précise lui-même
qu’il s’agit d’une inflation impressionnante, compte tenu de la nature du
système monétaire de l’époque, bien qu’elle ne soit rien en comparaison de ce
qu’il pourrait se produire sous un régime papier.
Les avis divergent quant à
l’origine de l’inflation. Est-elle due à un manque de confiance ou à une
dévaluation ? Selon Lendon, la perte de
confiance envers une devise est source d’inflation :
‘Tant
que les pièces en circulation avaient une valeur nominale supérieure au métal
qu’elles contenaient, le public leur faisait confiance. Le risque de voir se
développer une panique était toujours présent, que ce soit suite à la mort
d’un Empereur, à la re-tarification de la monnaie
ou pour quelque autre raison que ce soit. Une fois détruite, la confiance ne
peut être restaurée, et chaque attaque faite à la monnaie ne fait plus que
multiplier les soupçons du public, ce qui fait sans cesse diminuer la valeur
de la pièce et grimper les prix des biens’.
Bien que Bernholz
soit persuadé que la hausse des prix soit la conséquence principale de la
dévaluation d’une devise, ses recherches ne sont jamais parvenues à prouver
qu’une confiance tarie puisse causer des épisodes inflationnistes sous un
système monétaire papier.
A chaque fois que quelqu’un
propose un retour à ne monnaie saine, il se voit accuser de vouloir porter
l’économie un millénaire en arrière. La vérité, c’est que les dévaluations
actuelles ont pour origine des évènements bien antérieurs à l’étalon or des
XIX-XXe siècles – puisqu’elles remontent à l’époque Romaine. Nous vivons dans
le plus développé de tous les âges, mais c’était également le cas des Romains
autrefois. Et regardez où les dévaluations monétaires les ont portés.
[1]
Mises.org (2012) “Inflation and the fall of the Roman Empire” (1984)
mises.org/daily/3663
[2] Bernholz. P. (2003). Inflation and Monetary Regimes:
History, Economics and Political Relationships. Cheltenham: Edward Elgar.
[4] Toutes les données relatives
aux pièces Romaines proviennent de deux sources: Tainter, J (1990) The Collapse of Complex Societies,
Cambridge University Press | Tulane University (date inconnue) “Roman Currency Of The Principate”
http://www.tulane.edu/~august/handouts/601cprin.htm
Merci à Andy Smith pour avoir
attiré mon attention sur les parallèles entre la dévaluation des devises de
Rome et la dévaluation du dollar.