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Il y a
un an, commentant le mouvement dit « social » contre la
réforme des retraites, j’essayais de répondre à la
question suivante : les salariés du public peuvent-ils faire
grève ? Aujourd’hui, alors que les
enseignants manifestent dans la rue contre les suppressions de postes et se
félicitent de représenter le privé non moins que le public,
je m’interroge : les enseignants du privé peuvent-ils faire
grève ?
Enseignement
privé, financement public
Par
réflexe, par habitude, par égard pour ce droit de grève
dont on fait le fondement de la république, on est tenté de
répondre par l’affirmative, arguant que les salariés du
privé ne sont pas, comme ceux du public, astreints à l’obligation
de faire ce travail que rémunèrent nos impôts. Cependant,
c’est oublier qu’aujourd’hui, si les personnels enseignants
du privé sont des contractuels – et non des fonctionnaires
–, ils sont rémunérés par l’Etat, les
établissements privés étant eux-mêmes
financés en partie par l’argent du contribuable, en partie par
celui des parents d’élèves. Si donc la
légitimité des grèves est douteuse dans le public, elle
ne va pas toujours de soi dans le privé.
Dans ces
conditions, faut-il vraiment s’étonner que
« même dans le privé », la politique du
gouvernement en matière d’éducation soit
aujourd’hui critiquée ? En mettant l’accent sur la
participation conjointe du public et du privé à cette
première grève de la rentrée, les syndicats
espèrent sans doute souligner la gravité de la situation tout
en légitimant leurs propres revendications. Reste que si les
enseignants du privé manifestent avec ceux du public, ce n’est
pas « malgré tout ce qui les oppose » (notamment
cette culture « anti-grève »
que l’on associe aux établissements catholiques), mais
précisément parce que les uns et les autres ont en commun
d’êtres payés par l’Etat.
Plus
d’Etat ou moins d’Etat ?
Ce qui
devrait surprendre, c’est plutôt l’argumentation de ces
grévistes qui nous expliquent que le gouvernement parle de ce
qu’il ne connaît pas. Car si l’Etat n’a pas son mot
à dire et si rien ne vaut l’expérience du terrain,
pourquoi diable les enseignants s’entêtent-ils à
travailler dans des établissements publics ou sous contrat avec
l’Etat ?
Qu’ils
soient issus du public ou du privé, ces défenseurs du service
public devraient, en toute logique, être les premiers avocats du chèque-éducation, qui
combine service public et prestations privées. Si ce dispositif
était adopté en France, la décision de créer ou
supprimer des postes serait laissée à la discrétion de
chaque établissement, confronté à la compétition
des autres établissements ainsi qu’à la
réalité du terrain. Mais cette combinaison entre financement
public (via le chèque-éducation) et compétition (entre
écoles) déplaît fortement à la grande
majorité des enseignants, qui persistent à voir le
fonctionnariat comme le statut « normal » du
pédagogue, et le contrat comme une insulte à sa fonction.
En
d’autres termes, les enseignants grévistes ne veulent pas que
l’Etat se mêle de leurs affaires, mais ils ne veulent pas non
plus d’une liberté qui aurait pour corollaire, outre la
disparition du fonctionnariat, l’obligation de la performance.
Les
enseignants du privé peuvent-ils donc faire grève ? Oui,
si nous parlons bien de cette minorité d’enseignants dont les
revenus sont fonction du choix des parents d’élèves, donc
du mécanisme impersonnel de l’offre et de la demande. Non, si
l’enseignement privé dont il s’agit n’est
qu’une version juridiquement modifiée de l’enseignement
public à la française : une école financée par le
contribuable et trop souvent oublieuse des obligations que cela implique.
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