Les
eurobonds seront « l’instrument
naturel » permettant de « concilier diminution de la
dette et croissance », le miracle tant attendu étant ainsi
accompli. Telle est la conclusion d’un article de
Henri Elbaz et Hervé Lorenzi de l’Université Paris-Dauphine dans
« La Tribune » d’aujourd’hui, qui
considère leur adoption comme « une certitude »,
lorsque l’Allemagne en viendra à convenir qu’ils
représentent la moins onéreuse des solutions pour elle,
comparée à l’éclatement de la zone euro.
Après
avoir énuméré les variantes possibles d’une
émission de cet instrument de mutualisation de la dette
européenne, reprenant les récentes suggestions émises
par ses défenseurs, les auteurs en viennent à leur
préconisation.
Ils
y voient au passage, sans hélas expliciter leur propos,
l’opportunité « d’un vrai véritable
marché de la dette européenne, nécessaire à la
finance mondiale ». On croit comprendre qu’il s’agit
d’étayer à nouveau celle-ci grâce à des
actifs hier solides et aujourd’hui chancelants. Permettant de mettre
à la disposition des banques des valeurs sans risque afin de conforter
leurs fonds propres. Ce sont toujours les non-dit
qui sont décidément les plus intéressants.
Poursuivant
l’analyse, Henri Elbaz et Hervé Lorenzi remarquent que « la difficulté
actuelle est de suivre pour les pays en difficulté une trajectoire
soutenable, c’est-à-dire telle que le ralentissement de la
croissance ne vienne pas obérer les efforts exigés de réduction
de l’endettement ». D’une manière
générale, « la plupart des pays de la zone euro sont
confrontés à un véritable mur de la dette à court
terme », poursuivent-ils. Ils auraient pu ajouter que c’est
également le cas des établissements financiers qui doivent
faire face au roulement de la leur, qui n’est pas moins gigantesque.
Ils
voient donc dans l’émission d’eurobonds
la possibilité d’allonger la maturité de cette dette,
tout en contenant son taux. Jusque-là, tout va bien.
Afin
d’inciter les Etats à réduire leurs déficits en
dépit de cette facilité – et combattre l’aléa
moral – les eurobonds seraient assortis
d’un dispositif incitatif : un taux plus élevé dans
une deuxième période – une sorte de
pénalité. Fort bien.
Mais
voici le temps fort de la démonstration : le différentiel
de taux, tout du moins dans la première période, entre celui
que le marché accorde à un pays donné et celui dont ces eurobonds seraient porteurs permettrait de
réaliser des économies et de financer – via
« un mécanisme » non identifié –
« des projets porteurs de croissance ». Et donc de
faciliter le remboursement de la dette.
Aucune
estimation chiffrée ne venant à l’appui de cette
construction, il est difficile d’en mesurer la réelle
portée financière. Manque également à
l’appel l’amorce d’une réflexion sur ce que
pourraient être les projets porteurs de croissance. Il est
à craindre que les pistes rabâchées soient dans les
circonstances récessives actuelles des pétitions de principe,
une fois de plus. Même sophistiqué, un montage financier
sophistiqué ne fait pas en soi le printemps !
L’énorme
désendettement reste à accomplir. Jusqu’à quand
faudra-t-il attendre pour qu’il soit reconnu que la stratégie
censée le permettre reste inopérante ? N’ayant plus
les ressources de faire fonctionner à plein régime le moteur
à fabriquer de la dette, le capitalisme financier arrive au terme de
ses contradictions. La baisse tendancielle du taux de profit prédite
par Karl Marx a été surmontée grâce à la
financiarisation de l’économie ; mais la globalisation a
abouti à saper les bases mêmes de l’économie
productive occidentale, faisant reposer l’ensemble sur une pointe.
Poursuivre sur cette voie est un pari de plus, qui a désormais toutes
les chances d’être perdu.
Une
mise à plat générale ne pourra pas être
éludée. Les plus savants parlent de « changement de
paradigme » et annoncent que le temps en est venu, aussi
inconcevable que cela puisse encore paraître. La nature même de
la croissance économique est désormais en question, induisant
une interrogation plus globale sur la société elle-même,
à l’échelle de la planète et non plus seulement
des pays que l’on disait avancés.
Aussi
ingénieux soient-ils, les raccommodages ne sont plus de saison, comme
les événements le démontrent jour après jour.
Certains de ceux qui s’y essayent devront aller plus loin
qu’ils ne sont prêts à le faire et ne le conçoivent
aujourd’hui. D’autres resteront, comme vient de les qualifier
Alistair Darling, ancien ministre travailliste des finances britannique sous
Gordon Brown, pour les avoir bien fréquentés,
« arrogants et stupides ».
Il
faut avoir le courage (en ces temps où il est abusivement
sollicité pour justifier une rigueur destinée aux autres et
menant dans le mur) de remettre en cause ce qui de toute manière le
sera. Et d’abandonner le conformisme pour le coup naturel des possédants
– érigé en catéchisme pour premiers communiants
– afin d’engager une aventure libératrice.
L’époque, désormais, le permet.
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