Le
torchon brûle aux États-Unis et le feu couve en Europe. La
simultanéité de ces deux crises spécifiques exprime au
mieux l’entrée de l’ensemble dans un deuxième
paroxysme et l’accentue.
En
Europe, on découvre très vite que le nouveau sauvetage a
été taillé a minima, ce que les
marchés ne manquent pas de faire savoir à leur
manière. Moody’s menace de faire descendre le dernier cran
à la note grecque. Implacable, le thermomètre des taux
obligataires et des spreads monte et rejoint les
maxima d’avant le sommet. L’Espagne et l’Italie sont droit
dans le collimateur, sonnant la fin des demi-mesures prises à la
sauvette et du théâtre d’ombre. Les émissions
à court terme des deux pays de ce matin sont sans ambiguïtés
: les taux ont grimpé.
La
mise en place des échanges de titres avec les banques, sous
l’égide du gouvernement grec et l’Institute of
International Finance, va commencer début août et va permettre
– pour ce que l’on en saura – de mieux connaître les
détails de ce qui est pudiquement dénommé les procédures.
La navigation va être au plus près.
Le
montage financier mis en place avec le Fonds de stabilisation (FESF) pour
financer les plans de sauvetage est condamné à imploser.
Il est prévu que le Bundestag discute de son avenir à
l’automne, de manière s’annonçant très
houleuse, sous la forme de l’avènement du MES (Mécanisme
européen de stabilité), mais ce nouveau dispositif construit
sur le même modèle est déjà en retard d’un
train. Les partisans de l’émission d’euro-obligations,
dont les rangs grossissent, pensent que le temps travaille pour eux.
En
attribuant au FESF de nouvelles missions pour soulager la BCE, on a
déplacé le problème sans le résoudre, on
l’a même accentué. L’échafaudage que
représente un véhicule spécial chargé
d’opérer de gigantesques prêts et dont les financements
reposent principalement sur des garanties d’État a atteint ses
limites. La question n’est plus d’augmenter l’enveloppe
financière à sa disposition, comme de plus en plus envisagé,
mais de revoir intégralement la copie.
Deux
raisons vont l’imposer : la nécessité de sauver du
naufrage l’Espagne et l’Italie – et toute la zone euro avec
eux – ainsi que l’impossibilité d’emprunter sur le
marché en s’appuyant sur la seule garantie de l’Allemagne
et de la France, la notation de celle-ci n’étant pas
gravée dans le marbre. Passons sur le différentiel qui
s’amenuise entre le taux auquel le FESF emprunte et celui auquel il
prête.
A
court terme, une difficulté de dernière heure vient par
ailleurs de survenir, qui menace le plan lui-même. « Le FMI
continuera de jouer son rôle » a affirmé de
manière sibylline Christine Lagarde, sa directrice
générale, laissant planer l’incertitude sur la
décision de l’institution de co-financer
le nouveau plan européen. Amenant Charles Dallara,
directeur général de l’Institute for International
Finance (IIF), monté en première ligne pour y rester, à
déclarer, depuis Washington également : « Je
pense que non seulement notre offre ne serait plus valide [si le FMI ne
suivait pas], mais le plan Marshall et le programme du FMI pour la
Grèce ne le seraient pas non plus. » C’est pour le
moins une amicale pression sur le FMI, à se demander même qui
commande.
Symbole
des plus frappants, un nouveau personnage est désormais au premier
plan : le représentant attitré des méga-banques. Qui le
nouveau ministre des finances grec, Evangélos
Vénizélos, vient-il hier de
rencontrer à Washington ? Timothy Geithner,
Christine Lagarde… et Charles Dallara !
En
tournant et retournant le paquet européen pour le scruter sous
tous les angles, en raison de la confusion qui s’est instaurée
sur les chiffrages de l’aide effective à la Grèce
qu’il représente. Hugo Dixon, un journaliste de Reuters,
s’est essayé à calculer l’évolution du ratio
dette/PIB en résultant, qui exprime au mieux la capacité de
remboursement d’un pays. Sa conclusion est que, tous effets confondus
et sur la base des hypothèses mêmes de l’IIF, celui-ci va
se détériorer au lieu de s’améliorer… Car il
faut prendre en compte les conséquences de ce que les financiers
appellent le credit enhancement,
les garanties de toutes natures – assurance, collatéral,
etc…- que la Grèce va apporter à ses prêteurs afin
de les compenser d’éventuelles nouvelles pertes. Des
dispositions sur lesquelles on ne s’est pas exagérément
étendu.
Plus
petite mais lourde de conséquences si elle s’élargit, une
autre fuite a été trouvée à la barque. La
Compagnie nationale des commissaires aux comptes français vient
d’estimer nécessaire que les
« événements » liés à
l’application du plan européen soient pris en compte dans les
comptes arrêtés au 30 juin 2011, dont la communication devrait
intervenir début du mois prochain. Cette anodine disposition comptable
a comme effet que la perte de valeur des obligations grecques
décotées de 21 % va devoir être inscrite et faire
l’objet d’une provision correspondante à cette date, en
diminution des résultats.
Mais
cette noble association – qui regroupe les 14.500 commissaires aux
comptes que compte le pays (!) – va plus loin et manifeste ouvertement
les inquiétudes qui se sont d’ailleurs traduites par un examen
de la situation en cours à Bruxelles, en plus discret. A la demande
des banques, la discussion porte sur un étalement des provisions, ce
que les comptables ne veulent pas avaliser, car lorsqu’un risque est
identifié, les règles comptables générales
imposent de le prendre en compte sans délais…
Ces
empêcheurs de tourner en rond soulignent l’importance
d’« une information complète sur l’exposition
aux risques souverains ainsi que sur les estimations retenues en
matière de valorisation des actifs ». Ce que les stress
tests ont fait timidement rentrer par la porte de service, en se contentant
de rendre public des informations de base, sans les prendre en compte, les
comptables veulent le faire par la porte de devant, en les intégrant
dans les comptes des banques.
Chacun,
dans l’immédiat, réagit comme il peut et de la place
où il se trouve. Christian Noyer, gouverneur de la banque de France,
se réjouit pour sa part de la concrétisation à venir
d’un pacte de stabilité plus strict et de
l’avènement de sanctions automatiques en cas de non respect de celui-ci. Il exprime ainsi non seulement
sa vision singulière du renforcement de l’Europe, mais la
nécessité devant laquelle se trouve le gouvernement
français d’entrer sans plus attendre dans le vif du sujet,
c’est à dire d’adopter de nouvelles mesures
destinées à conforter la note AAA de ses finances publiques. Ce
que les financiers appellent dans leur langue détournée la consolidation
budgétaire.
Déja engagée,
l’austérité va gagner la France. D’un
côté un coup de rabot sur les niches fiscales va être
passé, dans l’intention manifeste de rendre moins douloureux
l’effort en le répartissant entre ceux qui vont devoir
l’accomplir. De l’autre, c’est le volet politique : Nicolas
Sarkozy en appelle au dépassement des
« intérêts partisans » pour justifier
l’adoption de la règle d’or budgétaire. Des
roublardises, tout au plus.
Allianz,
la méga-assurance européenne, tire d’autres conclusions.
Elle vient d’annoncer qu’elle allait diversifier son énorme
portefeuille de 150 milliards d’euros. Abandonnant les obligations
souveraines pour investir dans les obligations émises par les grandes
entreprises ou par les pays émergents, et enfin dans les covered bonds (obligations
sécurisées), dont les banques sont friandes. Ce sont des
instruments financiers appartenant à la famille de la titrisation,
mais qui sont adossés à des actifs de qualité et non
sortis du bilan de l’émetteur, qui apportent de fortes garanties
aux investisseurs. En annonçant la réorientation de sa
stratégie d’investissement, Allianz offre une vision
éclairante et à retenir des nouveaux points d’appui de la
finance.
Enfin,
également signalé par la lettre de qualité
éditée de Bruxelles par Susanne Mundschenk
et Wolfgang Münchau, Eurointelligence
à qui ce billet doit beaucoup, la banque irlandaise Allied Irish Bank vient de s’engager sur une voie
toute nouvelle créant un précédent. Principal
prêteur sur le marché hypothécaire, elle va utiliser en
partie les financements publics qui lui ont été
attribués pour se renflouer afin de soulager non pas ses comptes mais
ses clients, prenant donc le problème à la base. Elle ouvre
ainsi en Europe la porte à une autre politique – destinée
ou non à être suivie – dans les autres pays où une
bulle immobilière énorme a éclaté, en premier
lieu en Espagne. Il faudra toutefois examiner, vu les déconvenues des
plans de restructuration de prêts immobiliers américains, la
réalité des résultats irlandais.
Même
réaffirmée sous une version se prétendant adoucie, la stratégie
de résorption de la dette reposant d’un côté sur la
lente remontée de la pente par le système financier, à
qui il est laissé les coudées franches, et de l’autre la
brutale réduction du déficit public par les États,
n’est pas plus qu’hier tenable. C’est devant cet obstacle
que sont toujours placés les dirigeants européens.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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