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Les faits sont têtus

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Published : July 27th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

Le torchon brûle aux États-Unis et le feu couve en Europe. La simultanéité de ces deux crises spécifiques exprime au mieux l’entrée de l’ensemble dans un deuxième paroxysme et l’accentue.


En Europe, on découvre très vite que le nouveau sauvetage a été taillé a minima, ce que les marchés ne manquent pas de faire savoir à leur manière. Moody’s menace de faire descendre le dernier cran à la note grecque. Implacable, le thermomètre des taux obligataires et des spreads monte et rejoint les maxima d’avant le sommet. L’Espagne et l’Italie sont droit dans le collimateur, sonnant la fin des demi-mesures prises à la sauvette et du théâtre d’ombre. Les émissions à court terme des deux pays de ce matin sont sans ambiguïtés : les taux ont grimpé.


La mise en place des échanges de titres avec les banques, sous l’égide du gouvernement grec et l’Institute of International Finance, va commencer début août et va permettre – pour ce que l’on en saura – de mieux connaître les détails de ce qui est pudiquement dénommé les procédures. La navigation va être au plus près.


Le montage financier mis en place avec le Fonds de stabilisation (FESF) pour financer les plans de sauvetage est condamné à imploser. Il est prévu que le Bundestag discute de son avenir à l’automne, de manière s’annonçant très houleuse, sous la forme de l’avènement du MES (Mécanisme européen de stabilité), mais ce nouveau dispositif construit sur le même modèle est déjà en retard d’un train. Les partisans de l’émission d’euro-obligations, dont les rangs grossissent, pensent que le temps travaille pour eux.


En attribuant au FESF de nouvelles missions pour soulager la BCE, on a déplacé le problème sans le résoudre, on l’a même accentué. L’échafaudage que représente un véhicule spécial chargé d’opérer de gigantesques prêts et dont les financements reposent principalement sur des garanties d’État a atteint ses limites. La question n’est plus d’augmenter l’enveloppe financière à sa disposition, comme de plus en plus envisagé, mais de revoir intégralement la copie.


Deux raisons vont l’imposer : la nécessité de sauver du naufrage l’Espagne et l’Italie – et toute la zone euro avec eux – ainsi que l’impossibilité d’emprunter sur le marché en s’appuyant sur la seule garantie de l’Allemagne et de la France, la notation de celle-ci n’étant pas gravée dans le marbre. Passons sur le différentiel qui s’amenuise entre le taux auquel le FESF emprunte et celui auquel il prête.


A court terme, une difficulté de dernière heure vient par ailleurs de survenir, qui menace le plan lui-même. « Le FMI continuera de jouer son rôle » a affirmé de manière sibylline Christine Lagarde, sa directrice générale, laissant planer l’incertitude sur la décision de l’institution de co-financer le nouveau plan européen. Amenant Charles Dallara, directeur général de l’Institute for International Finance (IIF), monté en première ligne pour y rester, à déclarer, depuis Washington également : « Je pense que non seulement notre offre ne serait plus valide [si le FMI ne suivait pas], mais le plan Marshall et le programme du FMI pour la Grèce ne le seraient pas non plus. » C’est pour le moins une amicale pression sur le FMI, à se demander même qui commande.


Symbole des plus frappants, un nouveau personnage est désormais au premier plan : le représentant attitré des méga-banques. Qui le nouveau ministre des finances grec, Evangélos Vénizélos, vient-il hier de rencontrer à Washington ? Timothy Geithner, Christine Lagarde… et Charles Dallara !


En tournant et retournant le paquet européen pour le scruter sous tous les angles, en raison de la confusion qui s’est instaurée sur les chiffrages de l’aide effective à la Grèce qu’il représente. Hugo Dixon, un journaliste de Reuters, s’est essayé à calculer l’évolution du ratio dette/PIB en résultant, qui exprime au mieux la capacité de remboursement d’un pays. Sa conclusion est que, tous effets confondus et sur la base des hypothèses mêmes de l’IIF, celui-ci va se détériorer au lieu de s’améliorer… Car il faut prendre en compte les conséquences de ce que les financiers appellent le credit enhancement, les garanties de toutes natures – assurance, collatéral, etc…- que la Grèce va apporter à ses prêteurs afin de les compenser d’éventuelles nouvelles pertes. Des dispositions sur lesquelles on ne s’est pas exagérément étendu.


Plus petite mais lourde de conséquences si elle s’élargit, une autre fuite a été trouvée à la barque. La Compagnie nationale des commissaires aux comptes français vient d’estimer nécessaire que les « événements » liés à l’application du plan européen soient pris en compte dans les comptes arrêtés au 30 juin 2011, dont la communication devrait intervenir début du mois prochain. Cette anodine disposition comptable a comme effet que la perte de valeur des obligations grecques décotées de 21 % va devoir être inscrite et faire l’objet d’une provision correspondante à cette date, en diminution des résultats.


Mais cette noble association – qui regroupe les 14.500 commissaires aux comptes que compte le pays (!) – va plus loin et manifeste ouvertement les inquiétudes qui se sont d’ailleurs traduites par un examen de la situation en cours à Bruxelles, en plus discret. A la demande des banques, la discussion porte sur un étalement des provisions, ce que les comptables ne veulent pas avaliser, car lorsqu’un risque est identifié, les règles comptables générales imposent de le prendre en compte sans délais…


Ces empêcheurs de tourner en rond soulignent l’importance d’« une information complète sur l’exposition aux risques souverains ainsi que sur les estimations retenues en matière de valorisation des actifs ». Ce que les stress tests ont fait timidement rentrer par la porte de service, en se contentant de rendre public des informations de base, sans les prendre en compte, les comptables veulent le faire par la porte de devant, en les intégrant dans les comptes des banques.


Chacun, dans l’immédiat, réagit comme il peut et de la place où il se trouve. Christian Noyer, gouverneur de la banque de France, se réjouit pour sa part de la concrétisation à venir d’un pacte de stabilité plus strict et de l’avènement de sanctions automatiques en cas de non respect de celui-ci. Il exprime ainsi non seulement sa vision singulière du renforcement de l’Europe, mais la nécessité devant laquelle se trouve le gouvernement français d’entrer sans plus attendre dans le vif du sujet, c’est à dire d’adopter de nouvelles mesures destinées à conforter la note AAA de ses finances publiques. Ce que les financiers appellent dans leur langue détournée la consolidation budgétaire.


Déja engagée, l’austérité va gagner la France. D’un côté un coup de rabot sur les niches fiscales va être passé, dans l’intention manifeste de rendre moins douloureux l’effort en le répartissant entre ceux qui vont devoir l’accomplir. De l’autre, c’est le volet politique : Nicolas Sarkozy en appelle au dépassement des « intérêts partisans » pour justifier l’adoption de la règle d’or budgétaire. Des roublardises, tout au plus.


Allianz, la méga-assurance européenne, tire d’autres conclusions. Elle vient d’annoncer qu’elle allait diversifier son énorme portefeuille de 150 milliards d’euros. Abandonnant les obligations souveraines pour investir dans les obligations émises par les grandes entreprises ou par les pays émergents, et enfin dans les covered bonds (obligations sécurisées), dont les banques sont friandes. Ce sont des instruments financiers appartenant à la famille de la titrisation, mais qui sont adossés à des actifs de qualité et non sortis du bilan de l’émetteur, qui apportent de fortes garanties aux investisseurs. En annonçant la réorientation de sa stratégie d’investissement, Allianz offre une vision éclairante et à retenir des nouveaux points d’appui de la finance.


Enfin, également signalé par la lettre de qualité éditée de Bruxelles par Susanne Mundschenk et Wolfgang Münchau, Eurointelligence à qui ce billet doit beaucoup, la banque irlandaise Allied Irish Bank vient de s’engager sur une voie toute nouvelle créant un précédent. Principal prêteur sur le marché hypothécaire, elle va utiliser en partie les financements publics qui lui ont été attribués pour se renflouer afin de soulager non pas ses comptes mais ses clients, prenant donc le problème à la base. Elle ouvre ainsi en Europe la porte à une autre politique – destinée ou non à être suivie – dans les autres pays où une bulle immobilière énorme a éclaté, en premier lieu en Espagne. Il faudra toutefois examiner, vu les déconvenues des plans de restructuration de prêts immobiliers américains, la réalité des résultats irlandais.


Même réaffirmée sous une version se prétendant adoucie, la stratégie de résorption de la dette reposant d’un côté sur la lente remontée de la pente par le système financier, à qui il est laissé les coudées franches, et de l’autre la brutale réduction du déficit public par les États, n’est pas plus qu’hier tenable. C’est devant cet obstacle que sont toujours placés les dirigeants européens.




Billet rédigé par François Leclerc




Paul Jorion






(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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