|
Ce texte est un « article presslib’ »
(*)
S’il
fallait énoncer le consensus – cette notion si chère aux
financiers – qui semble de dessiner à propos de la situation
économique prévisible dans les pays occidentaux, on serait
tenté de le faire ainsi :
1/
Dans le meilleur des cas, mais ce n’est pas garanti, la croissance sera
très timide et ce sont les services financiers d’une part et la
dépense publique de l’autre qui y contribueront pour
l’essentiel.
2/ Les risques simultanés de l’inflation et de la
déflation subsisteront, paralysant les banques centrales et leurs
armes monétaires.
3/ Le chômage va continuer de croître.
4/ Le secteur bancaire va rester profondément atteint et continuera
d’être globalement incapable de jouer son rôle
d’intermédiation.
5/ La dette publique va continuer d’augmenter, mais les financements de
nouveaux plans de relance ou de la couverture sociale, sous tous ses aspects,
vont devenir plus problématiques.
6/ La chute libre a été enrayée, mais de nouveaux
importants dérapages au sein du système financier ne peuvent
pas être exclus.
7/ Il est illusoire d’attendre des Etats-Unis, comme de la Chine, la
relance de l’économie mondiale et nous ne retrouverons pas de
sitôt la croissance d’avant la crise.
A
partir de ce constat, largement partagé bien qu’avec des
nuances, si l’on ne s’en tient pas aux termes, la discussion est
engagée sur ce qu’il faut en conclure et faire. Et là,
les avis divergent, quand ils existent même ! Les sherpas des chefs
d’Etat du prochain sommet de Pittsburgh ont du pain sur la planche ! Le
directeur général adjoint du FMI, John Lipsky,
comme c’est devenu l’habitude, a choisi de tirer le premier en
cette rentrée et avant ce rendez-vous : « Nos prévisions
de croissances conformes aux dernières données montrent que
l’expansion de l’économie mondiale dans l’année
qui vient présuppose que les économies du G20 continueront
à mener les mesures de relance qu’elles ont promis ».
D’un certain point de vue, il n’a ainsi fait que rappeler les engagement du G20 de Londres, mais il a implicitement
souligné que les gestes n’avaient pas suivi les paroles et
qu’il allait falloir en passer par là. Et c’est
précisément là que le bât blesse. Pour avoir un
peu de croissance à montrer à ses administrés, il faut
payer (avec leur argent) !
On
susurre ici et là que l’administration Obama
préparerait un nouveau plan de relance sans le dire, retardant le plus
possible son annonce, afin de ne pas rendre encore plus aléatoire
l’adoption de la réforme du système de la santé.
Mais les actualisations du déficit prévisionnel
américain cumulé récemment publiées font
déjà à la fois trembler et tempêter les membres du
Congrès, et l’affaire ne sera pas facile à faire adopter.
En Europe, on continue de bricoler pays par pays, tandis que les Allemands
s’arcboutent et pratiquent le « ni-ni » pour tenter
d’échapper à ce qu’ils estiment le pire, auquel ils
ne veulent pas se résoudre. Ni inflation, ni augmentation des
déficits publics. Mais il n’y aura pas d’autre issue que
leur utilisation combinée, sauf à ce que la communauté
internationale réponde favorablement à la lettre envoyée
à ses homologues par Peer Steinbrück,
le ministre allemand des finances, qui écrit sans ambages : « Je
veux discuter avec vous de la manière dont nous pouvons demander, de
manière coordonnée et à l’échelle
internationale, une plus forte contribution des marchés financiers au
financement des immenses coûts de la crise ». Ce qui reviendrait,
si une telle contribution était obtenue, à soulager
d’autant les finances publiques et à ne pas accroître les
déficits, générant ensuite la forte tentation de
réduire le poids de ceux-ci grâce à l’inflation.
La proposition est parfaitement
cohérente, mais quelles chances a-t-elle d’être retenue,
quand on observe le tollé qu’ont suscité les propos de
Lord Turner, le chef du FSA britannique (le régulateur financier),
évoquant pour sa part une taxation de certaines transactions
financières ? Il y a d’ailleurs depuis persisté et
signé, sans se laisser démonter. Et même annoncé
qu’il prononcerait à ce sujet un discours deux jours avant le
sommet de Pittsburgh ! Remarquons que les deux interventions vont dans le
même sens et s’épaulent mutuellement, permettant
d’attendre pour voir si d’autres vont rebondir sur cette
opportunité. Sans nécessairement attendre le renfort de Nicolas
Sarkozy, appuyé du bout des lèvres par Angela Merkel, qui dans toute son audace dépassée
propose de taxer…les bonus des traders.
Nous
assistons à un nouveau jeu de la patate chaude qui pourrait
s’intituler « qui va financer la relance ? » Peut-on croire
que les méga banques vont accepter de le faire, en tout cas sans de
sérieuses contreparties, quand on observe l’intensité du
lobbying qu’elles ont engagé aux Etats-Unis à propos de
l’énorme marché des produits dérivés,
qu’elles considèrent comme crucial pour leurs affaires et que
l’administration Obama cherche à
réguler ?
Il
serait toutefois erroné de penser que cette proposition allemande a
été faite pour la gloire et que ses auteurs accepteront
finalement, n’ayant pas pu convaincre leurs pairs, cette inflation dont
ils combattent la perspective depuis le début de la crise, notamment
en empêchant, puis en limitant fortement, l’adoption de mesures
dites « non conventionnelles » par la BCE. D’autant que si
le gouvernement américain dissimule pour l’instant la
perspective d’un nouveau train de mesures de soutien et de relance
économique, il ne peut pas suggérer à la Fed, dont le
président vient d’être redésigné sur la base
d’un programme contraire, de l’aider en achetant des bons du
trésor pour financer un nouveau plan. Les milieux d’affaires
américains ont clairement fait savoir qu’ils ne voulaient pas de
l’inflation. En Europe, cette question pourrait, si elle devenait
cruciale, aller jusqu’à faire éclater la zone euro, une
perspective devant laquelle tout à chacun réfléchira
avant de s’y engager. En France notamment.
Cette
partie s’avère donc complexe à jouer, d’autant que
la BCE y a apporté sa contribution à propos d’un autre
versant de la situation, en publiant le 28 août un rapport
intitulé « Stabilité du secteur bancaire dans
l’Union européenne », largement passé
inaperçu dans la presse, et qui met pourtant à sa
manière les pieds dans le plat, après les déclarations
passablement inquiètes de son président Jean-Claude Trichet
(qui n’en est pourtant pas coutumier), lors de la rencontre des banques
centrales de Jackson Hole. Le rapport explique que
« …les perspectives de profitabilité des banques de
l’UE en 2009 restent fort incertaines, à tout le moins en raison
de la perspective d’une nouvelle augmentation sensible des coûts
de provisionnement des pertes sur créances ». Il ajoute :
« En dépit des signes montrant apparemment une modération
du rythme de contraction, les perspectives économiques de l’UE
restent dotées d’un degré d’incertitude
élevé. Les risques pour la stabilité demeurent
élevés, car le cycle du crédit n’a pas encore
atteint son point bas, ce qui implique que les pertes sur créances
risquent de ne pas culminer avant la fin 2009 ». La banque centrale
préconise ensuite que les banques s’assurent qu’elles sont
bien pourvues en fonds propres et en trésorerie. Chaque mot
étant pesé, on admirera le « apparemment » dont est
assorti la « modération du rythme de
contraction », renforcé par un « degré
d’incertitude élevé ».
Mais
c’est sur un autre aspect de la situation du système financier
que la BCE pointe le doigt et évoque des dangers, à savoir les
produits dérivés de crédit. Ce qui est signifié,
c’est, dit autrement, que nul n’y voit toujours clair dans ce
domaine, et que le manque d’informations relatives au trading de swaps de défaut de crédit laisse
planer de sérieuses incertitudes. Encore plus inquiétant, la
banque évoque le creusement des spreads
des swaps de défaut de crédit souverain depuis la mi-mars. En
d’autres termes : la « note » attribuée par les
marchés financiers à la dette publique est de plus en plus
mauvaise. Ce qui renvoie au problème précédent,
l’accroissement préoccupant des déficits publics.
Les
gouvernements occidentaux ont cru pouvoir sortir de la crise en pensant
qu’il suffisait de soutenir le système financier et que, un
désendettement progressif aidant, tout rentrerait finalement dans
l’ordre et repartirait comme avant. L’adoption de mesures de
régulation « anti-systémiques » permettant d’éviter
le renouvellement de la chute libre que nous avons connu. Mais ils se sont
doublement trompés. 1/ Le système financier n’est
absolument pas assaini et souffre en plus, désormais, des effets de la
crise économique. 2/ Cette dernière est profonde, oscille entre
déflation et récession, ne présente des signes de sortie
de cette dernière que grâce à l’effet de
financements publics difficiles à renouveler, et qui ne sont en tout
cas pas permanents.
C’est
à nouveau l’impasse. C’est bien pour cela,
d’ailleurs, que la tentation de l’inflation resurgit actuellement,
comme un remède miracle qui n’en serait pas un, et que les
débats vont se polariser autour de lui.
Et
si l’on voulait, pour parachever cet édifice branlant, rajouter
encore une pierre, il suffirait de constater comment la concentration
bancaire déjà acquise rend parfaitement illusoire toutes les
mesures de régulation anti-systémiques annoncées, avant
même qu’elles ne soient décidées et mises en
pratique : un nombre plus petit de plus grosses banques constitue
désormais le club très fermé des « too big to fail
». C’est un fait accompli devant lequel les gouvernements
n’ont plus qu’à s’incliner. Aujourd’hui, et
demain quand il faudra à nouveau les sauver.
*Billet rédigé par
François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
Tous
les articles par Paul Jorion
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion, sociologue et
anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que
spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard :
2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
Les vues présentées par
Paul Jorion sont les siennes et peuvent
évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise
à jour. Les articles
présentés ne constituent en rien une invitation à réaliser
un quelconque investissement. .
Tous droits réservés.
|
|