La démission surprise du Premier ministre libanais Saad Hariri, le 4
novembre 2017, a provoqué une grave crise politique qui menace de
déstabiliser le pays. La Libano-Suisse Liliane Held-Khawam assure toutefois
que les Libanais sont unis au-delà de leurs appartenances religieuses et ne
veulent pas la guerre.
Va-t-on vers une nouvelle guerre civile au Liban? La question se pose plus
intensément depuis que le Premier ministre Saad Hariri a annoncé à la
télévision le 4 novembre de Riyad, en Arabie saoudite, qu’il démissionnait de
son poste. Le chef de gouvernement sunnite possède la double nationalité
saoudienne et libanaise et passe son temps entre Beyrouth et la capitale
saoudienne.
Suite à l’annonce de sa démission, des voix se sont élevées pour affirmer
que Saad Hariri était en fait retenu contre son gré en Arabie saoudite et que
sa démission lui avait été dictée par le pouvoir saoudien. Une thèse brandie
notamment par des personnalités telles que Hassan Nasrallah, le chef du
puissant parti chiite libanais Hezbollah, et relayée par le président
libanais Michel Aoun.
Dans une autre apparition télévisuelle, le 13 novembre, Saad Hariri a
confirmé sa décision, assuré qu’il était libre et qu’il rentrerait bientôt à
Beyrouth. Certains estiment cependant que cette dernière déclaration a
également été faite sous pression.
Ces incertitudes ont plongé le pays dans une nouvelle crise politique qui
menace de raviver les tensions entre les communautés religieuses du pays.
Liliane Held Khawam, qui a vécu la guerre civile de 1975-1990, donne son
éclairage sur les derniers développements.
Que peut-on dire de la situation actuelle de Saad Hariri en Arabie
saoudite?
On ne peut pas savoir avec certitude s’il est ou non retenu contre son
gré. Mais les personnes qui le font entendre ne sont pas n’importe qui. Il
s’agit tout de même du président lui-même et de Hassan Nasrallah, qui est
toujours incroyablement bien informé. On peut donc penser qu’il y a anguille
sous roche.
Mais il est également possible que Saad Hariri soit arrivé de son propre chef
à la conclusion que sa position était intenable. Il doit en effet faire face
d’un côté à une communauté internationale qui considère le Hezbollah comme
une entité terroriste et le parti chiite de l’autre, qui fait partie de son
gouvernement et constitue un acteur incontournable de la politique libanaise.
Pris entre ces deux forces divergentes, il a peut-être simplement décidé de
jeter l’éponge.
Mais que cherchent donc les Saoudiens?
Là encore, on ne peut faire que des hypothèses. Il est probable que le nœud
du problème soit le désarmement du Hezbollah. Il existe un axe Israël-Arabie
saoudite-Etats-Unis pour lequel le Hezbollah et l’Iran sont les plus grandes
menaces actuelles. Ces Etats font depuis longtemps pression sur le
gouvernement libanais pour qu’il confisque l’armement du principal parti
chiite.
Les Saoudiens assurent que le Hezbollah est présent au Yémen aux côtés des
rebelles Houtis. Ils les considèrent comme responsables d’un envoi de
missiles sur l’Arabie saoudite en provenance du Yémen et en demanderaient des
comptes.
Il est possible que la défaite de Daech en Syrie soit également pour
quelque chose dans tout cela. Certaines forces, qui ont perdu leur avantage
en Syrie, souhaitent avancer leurs pions au Liban. Et ils trouveraient un
avantage à la déstabilisation du pays.
Cette déstabilisation peut-elle se produire?
Je ne pense pas. D’abord parce que personne au Liban n’aurait intérêt à une nouvelle
guerre civile. Ensuite parce qu’il n’y a pas de tensions ni de haine entre
les communautés. Les Libanais se sentent avant tout libanais, au-delà des
différences confessionnelles. Le pays est beaucoup plus uni que ce qu’il peut
apparaître de l’extérieur. D’ailleurs, le soupçon d’une séquestration de Saad
Hariri choque et indigne tous les habitants, y compris les chiites.
Bien sûr, des forces pourraient fomenter les tensions et la haine pourrait
resurgir. Mais le Hezbollah a prouvé qu’il n’était nullement intéressé à une
confrontation. Il y a eu des attentats anti-chiites ces dernières années,
mais qui n’ont pas été suivis de représailles.
De son côté, le gouvernement libanais est tout à fait conscient que ses
forces armées sont inférieures à celles du Hezbollah. Il n’a donc aucune
intention de tenter une opération de désarmement qui équivaudrait à un
suicide.
Les Libanais ont compris depuis longtemps que des intérêts étrangers
étaient à l’œuvre dans leur pays. Ils ont l’habitude de s’arranger entre eux.
Et je pense qu’ils vont y parvenir aussi dans cette situation périlleuse.
(cath.ch/rz)
Liliane Held Khawam est née à Héliopolis (Egypte) et a
vécu au Liban, en France, en Suisse et aux Etats-Unis.
Elle a fondé en 1989 une entreprise basée à Lausanne et active dans le
conseil en stratégie d’entreprise et en management.
Elle est membre de l’association Sarments de Lavaux,
également basée à Lausanne, active dans l’aide aux populations défavorisées
du Liban et du Burkina Faso. Elle gère aussi une page Facebook
de soutien aux chrétiens d’Orient.