Un
train peut en cacher un autre, sauf au dernier moment : le discours sur la
nécessité de réduire la dépense publique ne
masque plus l’état réel du système financier. Une
multitude de raisons partielles peut être trouvée pour expliquer
la dégringolade en bourse des banques de tous les pays occidentaux,
mais elles s’effacent devant une simple et unique constatation :
la stratégie suivie jusqu’à maintenant est en faillite,
les banques potentiellement aussi d’ailleurs.
Il
s’agissait de donner du temps aux établissements financiers pour
se refaire, en espérant qu’ils contribueraient ensuite à
la relance économique. Quitte à leur laisser la bride sur le
cou et à fermer les yeux sur leurs bilans, puis à
parallèlement s’engager dans une véritable
opération de diversion à propos de la dette publique,
empruntant le discours de la rigueur pour les uns tout en en exonérant
les autres. Précipitant, au bout du compte, l’économie
vers une récession généralisée à tout le
monde occidental, qui se précise, détruisant par la même
toute perspective réaliste de réduire les déficits comme
prévu.
Le
plan A a vécu. Empiler les plans de rigueur
est une aventure dont on voit en Grande-Bretagne ce qu’elle peut
susciter. Ce qui ne signifie pas qu’elle ne doit pas être tentée, faute d’alternative.
Si
l’on s’approche du champ de bataille, le tableau se
précise. Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, les
États viennent de se révéler incapables de prendre les
mesures décisives, faisant des magistraux faux-pas.
À
Washington, Barack Obama a reçu en soirée à la Maison
Blanche Ben Bernanke, le président de la
Fed, auquel se sont joints Tim Geithner,
secrétaire au Trésor, Bill Daley, secrétaire
général de la Maison Blanche et Gene Sperling,
directeur du Conseil économique national. Un geste pour la galerie,
tel que les Français viennent aussi d’y procéder. Aux
discours creux succède la figuration muette.
Plus
important, les six élus républicains nommés pour
participer à la commission bipartisane chargée
d’étudier les nouvelles mesures de réduction du
déficit ont tous signé la promesse de voter contre tout projet
de loi qui viserait à augmenter les impôts. C’est une
nomination sous forme de faire-part pour Barack Obama et l’intention
d’une nouvelle aventure.
Une
même impasse est constatée en Europe. L’intervention
forcée et contrainte de la BCE a été saluée comme
un geste qui sauvait l’Europe, alors que l’essentiel est
ailleurs. Le dispositif monté à grande peine par les
Européens pour financer le roulement de la dette des pays entrant dans
la zone des tempêtes se révèle incapable – en
raison du montage financier sur lequel il repose – de répondre
à l’urgence, si l’Italie ou l’Espagne y entraient
à leur tour. Tout au plus Chypre pourrait être sauvé.
Pis,
toute nouvelle solution consistant à mutualiser à
l’étage supérieure la dette, quand bien même les
Allemands accepteraient de souscrire aux euro-obligations, n’ayant pas
le choix, est désormais devenue peu crédible, pour avoir trop
tardé : le morceau est devenu trop gros à avaler. L’édifice
de la dette publique financée sur fonds privés est parvenu au
bout de sa logique en mettant en évidence que les clients ne sont plus
solvables. Quand ce n’est pas le crédit hypothécaire qui trébuche,
c’est le financement des États…
Les
marchés ont tiré la
conséquence logique de ces deux impasses parallèles. Si les
États ne sont pas en mesure de gérer comme convenu leur dette,
ce sont les banques qui sont désormais à nouveau en
première ligne et vont être sous le feu de la mitraille.
Déjà
morts et enterrés, les stress tests européens avaient
soigneusement écarté de leur analyse la dette souveraine. Les
banques ont depuis plastronné, prétendant amortir le choc du
nouveau sauvetage grec par des comptes tout aussi biaisés et
trompeurs qu’avant. Ne prenant en compte qu’une décote de
21 % de la dette grecque, éludant les pertes sur les produits
dérivés – probablement incalculables d’ailleurs
– et n’incluant pas dans leur provisions
la dépréciation inéluctable de la dette grecque
privée. Les comptes des banques sont toujours aussi truqués,
point à la ligne.
Dans
un premier temps, il a été reconnu que le désendettement
allait être un long processus, avec l’intention de justifier
ainsi le temps qui était accordé aux banques. Le calendrier
étalé d’application de la réglementation de
Bâle III en était une des illustrations. A contrario, il a
été ensuite affirmé que le désendettement des
États devait être accompli en un temps record, mais le rééchelonnement
en cours de la dette grecque démontre que c’est illusoire.
La
patate est toujours aussi brûlante et les banques viennent de se la
faire une nouvelle fois refiler, avec le résultat que l’on a vu.
Les marges de manœuvre des dirigeants politiques se
rétrécissent, qu’ils soient au pouvoir ou dans
l’opposition, structurellement incapables de définir un plan B
(pour emprunter à leur vocabulaire).
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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